Pi?ces choisies
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ELLE. Comme vous l’avez dit auparavant, c’'etait immoral. Pour vous, seules les femmes d’une certaine cat'egorie peuvent se conduire ainsi.
LUI. En gros, oui.
ELLE. Mais si ca n’avait pas 'et'e moi mais vous qui 'etiez venu vous asseoir `a ma table, vous 'etiez mis `a me dire des compliments et `a m’inviter `a passer la nuit avec vous, c’aurait 'et'e moral?
LUI. Eh bien… Oui, c’aurait 'et'e moral.
ELLE. Pourquoi?
LUI. (Haussant les 'epaules.). Il faut bien que quelqu’un fasse preuve d’initiative, sinon le genre humain s’'eteindrait.
ELLE. Fasse preuve d’initiative? Parfait. Mais pourquoi pas moi? Quand j’ai commenc'e `a parler avec vous au restaurant, vous avez pris cela pour du d'evergondage. Et si j’avais tent'e aussi de vous 'etreindre, comme vous venez de le faire vous-m^eme? Qu’auriez-vous pens'e alors de moi?
LUI. `A chaque jeu ses r`egles.
ELLE. Il en r'esulte que, dans ce jeu, il est juste permis aux femmes d’^etre la proie mais pas le chasseur. Je ne reconnais pas de telles r`egles.
LUI. Les femmes aussi chassent. Simplement, elles ont leurs propres proc'ed'es.
ELLE. Laissons ces plaisanteries. Je vois que toutes ces discussions sur l’'egalit'e des sexes, les pr'ejug'es 'ecul'es, la libert'e sexuelle et ainsi de suite ne valent pas un clou. Au fond, la morale reste inchang'ee : l’homme peut tout, la femme tr`es peu. Elle doit rester assise, baisser timidement les yeux et attendre qu’on s’int'eresse `a elle. Et si je n’accepte pas cette morale, on me traite de je ne sais trop quoi. C’est bien ca?
LUI. Oui et non.
ELLE. Alors pourquoi, lorsqu’il est question de moralit'e, attend-on immanquablement d’une femme de la discr'etion, de la puret'e, de la pudeur et caetera? Pourquoi n’exige-t-on pas la m^eme chose d’un homme? Pourquoi, pour le dire dans un style soutenu, y a-t-il des femmes d'echues mais pas d’hommes d'echus?
LUI. Selon vous, les normes de conduite des femmes ont 'et'e invent'ees par les m'echants et affreux hommes? Mais elles ont leur origine dans la nature elle-m^eme. C’est justement de ca qu’il 'etait question, aujourd’hui, `a notre conf'erence.
ELLE. Selon votre psychobiologie? C’est, je crois, comme ca que s’appelle votre sp'ecialit'e? N’est-ce pas ennuyeux?
LUI. Que dites-vous l`a! (S’animant :) C’est extr^emement int'eressant. Et savez-vous en quoi cela consiste? Le fait est que notre psychologie, nos repr'esentations de l’interdit et du permis, du bien et du mal… (S’interrompant.) Excusez-moi, cela vous ennuie, sans doute.
ELLE. Pourquoi donc? Continuez.
LUI. Non, ce n’est int'eressant que pour moi. Vous allez trouver ca trop sp'ecial et abscons.
ELLE. Qu’y a-t-il l`a d’abscons? (Avec le ton d’un conf'erencier tout `a fait s'erieux mais des 'etincelles de joie dans les yeux :) Il me semble que vous vouliez dire que notre psychologie, nos repr'esentations de l’interdit et du permis, du bien et du mal se forment d`es le plus jeune ^age sous l’influence de la famille, de l’'ecole, des 'educateurs, des enfants du m^eme ^age, des livres, des films, des coutumes et des traditions nationales, bref de notre milieu social. Au bout du compte, se forme une psychologie d'etermin'ee par la soci'et'e ou, pour le dire autrement, une psychologie sociale.
L’homme l’'ecoute avec un 'etonnement grandissant.
ELLE. Mais l’^etre humain n’est pas seulement un ^etre raisonnable, il est aussi un animal ayant une nature biologique. En lui se trouvent depuis sa naissance des instincts naturels, des d'esirs et des peurs. L’'etouffement de la psychologie naturelle de l’homme par l’'education et par la vie en soci'et'e conduit `a toutes sortes de complexes et m^eme `a des dysfonctionnements psychiques. Ces questions sont 'etudi'ees en d'etail dans les travaux capitaux de Fox, Kislevski et Zarembo.
LUI. (Explosant.). Qu’est-ce que ca veut dire, bon sang!
ELLE. (Sur le ton de l’innocence.). Quoi donc?
LUI. Mais c’est mon expos'e! Presque mot pour mot!
ELLE. Non!? Qui l’aurait cru!
LUI. Cessez de faire l’imb'ecile! Qui ^etes-vous, bon sang?
ELLE. Comment? Une fille de petite vertu.
LUI. Suffit! Vous y 'etiez aussi? Pourquoi ne vous ai-je pas vue? Vous ^etes psychologue?
ELLE. Toutes les femmes sont psychologues.
LUI. Vous savez tr`es bien que je parle de votre profession. Si vous n’^etes pas psychologue, vous ^etes biologiste?
ELLE. Non.
LUI. Oh et puis, je n’y comprends rien. Qui ^etes-vous? Que voulez-vous? D’o`u vous vient cette connaissance des langues? Et comment connaissez-vous mes travaux? Je suis s^ur que vous m’espionnez, mais pourquoi?
ELLE. Je vous assure que je ne vous espionne pas. Je m’int'eresse simplement `a vous.
LUI. Non, il y a quelque chose qui n’est pas clair dans tout ca. Votre conduite est une 'enigme.
ELLE. Je vous ai d'ej`a dit que toutes les 'enigmes semblent inexplicables tant qu’on ne d'ecouvre pas le mot. Alors elles se r'ev`elent terriblement simples et n’apportent que d'esenchantement.
LUI. Une chose est claire pour moi depuis un moment d'ej`a, c’est que vous n’^etes pas une fille de trottoir. Vous ^etes trop instruite et intelligente.
ELLE. M^eme des femmes instruites sont contraintes de gagner leur vie.
LUI. Il me semble que votre voix m’est famili`ere. Ne nous sommes-nous pas d'ej`a rencontr'es?
ELLE. Non. Je veux croire que si nous nous 'etions rencontr'es, vous vous seriez souvenu de moi.
LUI. C’est juste.
ELLE. Cessez de vous casser la t^ete sur une 'enigme qui n’existe pas. Continuons plut^ot notre controverse.
LUI. Mais d’abord, buvons.
ELLE. `A notre rencontre? C’est d'ej`a fait.
LUI. Non, nous avons bu `a notre s'eparation. Votre toast n’'etait pas heureux, portons en un nouveau.
ELLE. D’accord.
Ils choquent les verres et boivent.
ELLE. Passez-moi votre assiette, je vais vous servir. (Elle lui sert un hors-d’oeuvre.)
LUI. Merci.
ELLE. Et si on revenait `a notre controverse? J’y tiens.
LUI. Pourquoi? Nous d'ebattions? Sur quoi?
ELLE. Vous 'etiez sur le point de m’expliquer pourquoi vous pouvez choisir une femme qui vous pla^it, tandis que moi je ne peux pas choisir un homme.
LUI. Ce n’est pas tout `a fait ca. L’homme choisit, mais la femme est en droit d’accepter ou de refuser le choix de l’homme. C’est pourquoi, au bout du compte, c’est elle qui choisit.