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ЖАНРЫ

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LUI. Et comment as-tu support'e cela?

ELLE. Je me suis veng'ee.

LUI. Comment?

ELLE. (Apr`es un petit silence.). Je ne sais pas si je dois te dire.

LUI. Vas-y, puisque tu as commenc'e.

ELLE. Oui, et puis on va se s'eparer… Pas vrai?

LUI. Oui, bien s^ur. (Pause.) Mais pourquoi ce silence?

ELLE. (Le ton de sa voix change.). 'Ecoute, si ca t’int'eresse. J’ai d'ecid'e de devenir moi-m^eme Don Juan. Plus exactement Dona Juana. Il s'eduisait les femmes, je s'eduirais les hommes. Le plus grand nombre possible. Puisque ce genre d’homme est vu comme un h'eros, pourquoi une femme ne deviendrait-elle pas une h'ero"ine 'egalement?

LUI. (Le front assombri, il s’'ecarte de la femme.). Alors, tu as r'eussi?

ELLE. En gros, oui.

LUI. 'Etrange vengeance.

ELLE. Peut-^etre.

LUI. Et stupide. Car celui qui t’a quitt'ee n’en a rien su. Et s’il a su, il n’en a eu que faire.

ELLE. Pareil pour moi.

LUI. Et `a combien de noms se monte ta liste donjuanesque?

ELLE. Beaucoup. Et le plus int'eressant, c’est que depuis c’est toujours moi qui les ai quitt'es et non pas eux qui m’ont quitt'ee.

LUI. Sans doute t’a-t-il fallu de grands efforts pour d'epasser le nombre de ton idole?

ELLE. Non, pas vraiment. C’est Don Juan qui a d^u faire des efforts pour s'eduire les femmes, parce qu’elles r'esistaient. Et elles r'esistaient parce que c’est cela qu’on attend d’elles. Mais les hommes ne songent m^eme pas `a r'esister. Tu t’offres, ils acceptent tout de suite. De plus, ils s’estiment vainqueurs. C’est m^eme ennuyeux. C’est pourquoi j’ai d'ecid'e de les vaincre par une autre voie.

LUI. Comment pr'ecis'ement?

ELLE. Pas comme tu le penses. Il suffisait `a Don Juan de coucher avec une femme, pour que cela soit percu comme sa victoire. Mais pour moi, se donner, ce n’est pas une victoire sur l’homme, c’est une d'efaite. Et moi je veux vaincre. Je veux r'eellement le s'eduire, qu’il tombe amoureux de moi. Et c’est de loin plus difficile.

LUI. M^eme pour une femme comme toi?

ELLE. La principale difficult'e c’est que l’on permet `a l’homme de prendre l’initiative, et pas `a moi, comme tu l’as expliqu'e. Et il m’a fallu braver les convenances et me lancer. Le reste s’av'era assez simple.

LUI. Et comment, selon toi, rend-on les hommes amoureux?

ELLE. En gros, comme avec les femmes. Par la flatterie. Grossi`erement, droit dans les yeux. Presqu’`a la Hugo :

« Comment, disaient-elles,

Attirer Achille,

Sans br^uler nos ailes?»

(Apr`es une pause :)

«Flattez, disaient-ils. »

LUI. Et ca marche?

ELLE. Infaillible. Certes, il y a une diff'erence. Si l’homme arrive `a ses fins par des promesses d’amour 'eternel, la femme, au contraire, est oblig'ee de promettre de ne pas s’imposer `a jamais. Cela effraie l’homme. Non, rien qu’une nuit. Qu’une heure. Tu es libre. Tu n’es pas li'e. Tu n’es tenu `a rien. Tu peux dispara^itre, partir quand bon te semble, o`u bon te semble.

LUI. (Avec froideur.). Id'ee int'eressante.

ELLE. Tellement rebattue, que s’en est m^eme ennuyeux.

LUI. Et moi aussi, tu as tent'e de me prendre de la m^eme facon?

ELLE. (Sur un ton provocateur.). Et qu’est-ce qui te distingue des autres? `A propos, n’est-il pas temps que tu ailles `a l’a'eroport?

LUI. Tu as beaucoup d’esprit, beaucoup de fiel mais peu de coeur.

ELLE. On voit tout de suite que la remarque 'emane d’un biologiste.

Pause.

LUI. Je crois que je vais y aller.

ELLE. N’est-il pas trop t^ot?

LUI. J’attendrai l’avion `a l’a'eroport. De toute facon, je ne m’endormirai pas. (Il prend son porte-documents, y jette sa cravate, son rasoir 'electrique et ses autres rares affaires.)

ELLE. Tu pars comme ca? Sans aucune h'esitation?

LUI. Je pars comme ca.

Pause.

LUI. Supposons que je reste et que je fasse l’amour avec toi. Peut-^etre que ca me plaira. Peut-^etre, cela 'eveillera-t-il en moi quelque chose de plus que la sympathie. Et ensuite, tu te mettras `a rire, tu prendras ton carnet, tu noteras et diras :

« C’est bon, tu es dans la liste. Num'ero cent. Tu peux y aller. » C’est bien ca, non?

La femme se tait.

LUI. Non, je ne changerai pas mon programme. Tu te fais une fiert'e maintenant de ce que c’est toujours toi qui quittes, eh bien! cette fois-ci c’est toi qu’on quitte.

ELLE. Ce n’est pas grave, je survivrai. J’ai d'ej`a connu ca. Et puis, nous ne nous quittons pas. Nous nous s'eparons simplement, faute d’avoir pu nous rencontrer.

LUI. Tant mieux. (L’homme fait claquer son porte-documents, fait quelques pas vers la sortie, mais s’arr^ete.) Je veux seulement demander… Comment es-tu au courant, quand m^eme, de ce qui s’est dit `a la conf'erence?

ELLE. C’est la seule chose qui te tracasse en ce moment?

LUI. Non, mais… Tu n’es pas oblig'ee de le dire.

ELLE. J’y ai particip'e en tant qu’interpr`ete. Quand tu lisais ton rapport, je le traduisais instantan'ement en francais, et quand les Francais ou les Espagnols lisaient leurs rapports, je les traduisais en russe.

LUI. Voil`a donc pourquoi ta voix m’est famili`ere!

ELLE. Oui, tu l’as entendue dans les 'ecouteurs. Tu vois, que tout est simple.

LUI. Mais la traduction simultan'ee, qui plus est, de textes sp'ecialis'es, exige un haut degr'e de qualification.

ELLE. Oui. Et pour ca, on me paie bien. Tu voulais savoir comment je gagnais ma vie et combien je touchais, maintenant tu le sais. Au fait, ton rapport m’a beaucoup int'eress'ee.

LUI. Tu y as compris quelque chose?

ELLE. Figure-toi qu’`a l’universit'e nous avons aussi 'etudi'e la psychologie, si bien que j’ai m^eme trouv'e int'eressant de t’'ecouter. Ce n’est pas pour rien que sur Internet il y a des milliers de liens vers ton nom.

LUI. Je vois que tu t’'etais bien pr'epar'ee.

ELLE. « Connais-toi et connais ton ennemi, ainsi cent fois tu vaincras dans cent batailles ». C’est un aphorisme chinois. Mais je n’ai pas vaincu.

LUI. Et tu le voulais?

ELLE. Beaucoup. Toute la soir'ee j’ai craint qu’`a tout moment tu ne te l`eves et partes et je m’efforcais de te retenir par tous les moyens. Au moins cinq minutes encore, une minute… Voil`a pourquoi tant^ot je jouais les prostitu'ees, tant^ot je simulais la femme honn^ete, avec des mani`eres tant^ot exquises, tant^ot vulgaires. J’enflammais ta curiosit'e, t’app^atais, minaudais, faisais l’int'eressante pourvu seulement que tu ne partes pas. Pourvu que tu ne partes pas…

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