Pi?ces choisies
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LE VISITEUR. La facture ? Alors, je crains de ne jamais me rappeler mon nom.
LE DOCTEUR. Avec vous, il y a de quoi perdre la raison !
LE VISITEUR. Ne prenez pas cela trop `a coeur. Fumez une cigarette, d'etendez-vous. J’ai de bonnes cigarettes. Vous en voulez ? (Il met la main dans sa poche.) Tenez, prenez tout le paquet.
LE DOCTEUR. (Prenant le paquet.) Ce ne sont pas des cigarettes. Ce sont des jeux de cartes.
LE VISITEUR. Des cartes ? Tant mieux. Faisons une partie, ca vous distraira.
LE DOCTEUR. Je n’ai pas de temps `a consacrer `a de telles stupidit'es. De plus, je ne sais m^eme pas jouer.
LE VISITEUR. Je vous apprendrai. (Il bat vite les cartes et les distribue.) Admettons que vous misiez dix euros sur la dame de pique. Alors…
LE DOCTEUR. (Il prend machinalement les cartes, mais, se ressaisissant les jette sur la table.) Vous vous trouvez dans un cabinet m'edical, et non pas au casino ! L’auriez-vous oubli'e ? Je suis m'edecin lib'eral, et mon temps, c’est de l’argent, beaucoup d’argent ! Vous voulez que je le perde au jeu ?
LE VISITEUR. (Confus.) Pardon. (Il range les cartes.)
LE DOCTEUR. (Las.) Vous savez quoi ? Donnez-moi, finalement, une cigarette. Bien qu’en r'ealit'e, j’aie cess'e de fumer depuis longtemps.
LE VISITEUR. Tenez, je vous en prie.
LE DOCTEUR. ('Etonn'e.) Mais ce ne sont pas des cigarettes, voyons, c’est la carte d’identit'e. (Il regarde la carte d’identit'e, compare la photographie avec le visage de l’Homme. R'ejoui.) Oui, c’est votre carte d’identit'e !
LE VISITEUR. Eh bien, qu’est-ce que je vous disais ? J’ai une excellente m'emoire.
LE DOCTEUR. (Regardant la carte d’identit'e.) Bien, cher Michel, nous avons, enfin, fait connaissance. (Il introduit les donn'ees dans l’ordinateur.) Michel… Grelot. Grelot, c’est vous ?
MICHEL. Et qui d’autre encore ?
LE DOCTEUR. Bon, d’accord. Venons-en, enfin, `a votre affaire. De quoi vous plaignez-vous ? Soyez pr'ecis.
MICHEL. (D'etermin'e.) Il 'etait temps. Vous me d'ecevez. Je vous paie r'eguli`erement des sommes exorbitantes et lorsqu’un poids-lourd m’a fonc'e dessus, vous n’avez m^eme pas boug'e le petit doigt.
LE DOCTEUR. Premi`erement, vous ne m’avez vers'e aucune somme, encore moins exorbitante. Deuxi`emement, je n’ai jamais eu vent qu’un poids-lourd vous ait fonc'e dessus.
MICHEL. 'Etrange oubli. Pourtant, je vous ai envoy'e `a ce propos une lettre, `a laquelle vous n’avez m^eme pas daign'e r'epondre.
LE DOCTEUR. Je n’ai le souvenir d’aucune lettre.
MICHEL. Donc, vous souffrez d’amn'esie. Le coup fut tr`es fort, les cons'equences lourdes. Vous avez 'et'e simplement oblig'e de prendre imm'ediatement des mesures.
LE DOCTEUR. (Ajoutant les donn'ees sur la fiche m'edicale.) Avez-vous 'et'e gravement bless'e ?
MICHEL. Le c^ot'e droit a 'et'e s'erieusement endommag'e.
LE DOCTEUR. (Ajoutant les donn'ees sur la fiche m'edicale.)
MICHEL. Et les deux phares cass'es.
LE DOCTEUR. (En col`ere.) Qui a le c^ot'e endommag'e ? Vous ou la voiture ?
MICHEL. La voiture, bien s^ur.
LE DOCTEUR. Et que vous est-il arriv'e ? Vous vous ^etes cogn'e la t^ete ?
MICHEL. Pourquoi, tout `a coup ? Je vais tr`es bien. Pas une 'egratignure.
LE DOCTEUR. Alors, pourquoi devais-je prendre imm'ediatement des mesures ?
MICHEL. Et qui me paiera une compensation ?
LE DOCTEUR. Une compensation ? Pour quoi ? Ce n’est tout de m^eme pas moi qui conduisais le poids-lourd.
MICHEL. Non. Mais vous ^etes mon agent d’assurances. Quand avez-vous l’intention de me r'egler la r'eparation ?
LE DOCTEUR. Mon cher, je ne suis pas agent d’assurances. Je suis m'edecin lib'eral. Docteur. Vous comprenez ? Docteur.
MICHEL. (Perplexe.) Docteur ?
LE DOCTEUR. Docteur, docteur. (Il lui parle doucement et patiemment.) Vous ^etes venu voir le docteur. Le docteur, pas l’agent d’assurances.
MICHEL. Oui, c’est vrai… J’avais compl`etement oubli'e. Pardon.
LE DOCTEUR. (Pr'eoccup'e.) Je sens que votre maladie est des plus s'erieuses. Des plus s'erieuses.
MICHEL. Mais on peut en gu'erir ?
LE DOCTEUR. Comment vous dire… C’est une chance que vous soyez venu me voir moi pr'ecis'ement. Un autre m'edecin pour rien au monde ne vous soignerait.
MICHEL. Oui, vous l’avez d'ej`a dit.
LE DOCTEUR. Donc ca, vous vous en souvenez ?
MICHEL. Bien s^ur.
LE DOCTEUR. C’est bien. Et d’une mani`ere g'en'erale, vous souvenez-vous de quelque chose ?
MICHEL. Je me souviens de tout. De mon enfance, de l’'ecole, du travail. Mais je peux compl`etement oublier ce qu’il m’est arriv'e une semaine ou une heure plus t^ot. Et puis soudain me rappeler. Et oublier `a nouveau. C’est affreux.
LE DOCTEUR. Tout va bien, tout va bien, rien n’est irr'eparable.
MICHEL. Comment s’appelle ma maladie ?
LE DOCTEUR. C’est une des formes de la scl'erose. Difficile de dire pour l’instant, laquelle pr'ecis'ement. Il en existe beaucoup. (Ajoutant les donn'ees sur la fiche m'edicale.) Comment vous sentez-vous physiquement ?
MICHEL. Normal.
LE DOCTEUR. Quel comportement votre femme a-t-elle `a votre 'egard ?
MICHEL. Normal.
LE DOCTEUR. Quand avez-vous eu des rapports intimes avec elle pour la derni`ere fois ?
MICHEL. (Apr`es une longue r'eflexion.) Je ne me rappelle pas.
LE DOCTEUR. (Se prenant par la t^ete de d'esespoir.) Mon cher, soyons honn^ete, vous ^etes un cas un peu difficile. Faisons une petite pause.
MICHEL. Pourquoi ?
LE DOCTEUR. Parce que je suis fatigu'e. Et je suis pris d’un mal de t^ete.
MICHEL. (Compatissant.) Je peux vous donner un comprim'e…
LE DOCTEUR. (Il hurle.) Pas la peine ! Avalez-le vous-m^eme ! (Se reprenant.) Excusez-moi, je suis effectivement fatigu'e. O`u en 'etions-nous ?