Pi?ces choisies
Шрифт:
LE DOCTEUR regarde attentivement le permis de conduire et le rend `a JEANNE.
LE DOCTEUR. (Perplexe.) Tout est en ordre.
JEANNE. Vous en doutiez ? Je ne vous demande pas vos papiers, parce que je sais qui vous ^etes. Il ne serait pas superflu, bien s^ur, de v'erifier votre licence, mais cela est l’affaire du parquet et moi je suis avocate. `A ce propos, voici ma carte de visite.
LE DOCTEUR. Que me vaut l’honneur de votre visite ?
JEANNE. La sant'e de mon mari m’inqui`ete.
LE DOCTEUR. Elle m’inqui`ete aussi. Mais je pr'ef`ererais en parler avec vous, seul `a seule.
JEANNE. (`A Michel.) Ch'eri, attends-moi dans la salle d’attente, ensuite, nous irons ensemble `a la maison.
MICHEL sort docilement.
LE DOCTEUR. Savez-vous, que votre… heu-heu… mari est malade ?
JEANNE. Qui mieux que moi peut le savoir ?
LE DOCTEUR. Et savez-vous quelle est sa maladie ?
JEANNE. Il souffre d’amn'esie.
LE DOCTEUR. Depuis quand ?
JEANNE. ('Etonn'ee.) Que signifie
LE DOCTEUR. Depuis quand est-il malade ?
JEANNE. ('Etonn'ee.) Comment ? Vous ne savez pas ?
LE DOCTEUR. Pourquoi devrais-je le savoir ?
JEANNE. Mais voyons, vous le suivez depuis deux ans !
LE DOCTEUR. Moi ? Deux ans ??
JEANNE. Docteur, qu’arrive-t-il `a votre m'emoire ? Comment pouvez-vous soigner des malades, si vous-m^eme ne vous souvenez de rien ?
LE DOCTEUR. Bien, deux ans, soit. Parlez-moi de la maladie de votre mari en termes plus pr'ecis. Votre cohabitation est-elle difficile ?
JEANNE. Quelle femme trouve facile de vivre avec son mari ?
LE DOCTEUR. Nous n’allons pas entrer dans les probl`emes personnels, parlons des probl`emes m'edicaux. Quelles sont les manifestations concr`etes de sa maladie ?
JEANNE. Il se souvient de choses tr`es compliqu'ees et lointaines, et oublie les plus simples. Il peut, par exemple, se remplir une tasse de caf'e et oublier de le boire. Ou bien avaler deux fois le m^eme m'edicament.
LE DOCTEUR. Ca m’arrive aussi.
JEANNE. (Caustique.) J’ai d'ej`a pu m’en rendre compte.
LE DOCTEUR. Comment supportez-vous tout cela ?
JEANNE. Je suis quelqu’un qui agit en vertu du devoir. Je fais non ce qui me pla^it, mais ce que je dois faire. Je mange non ce qui me pla^it, mais ce qui contient moins de calories. Je fr'equente non ceux qui me sont agr'eables, mais ceux qui me sont utiles. Je ne vis pas avec le mari avec qui je voudrais ^etre, mais avec celui qui m’est 'echu. Se plaindre et se lamenter est inutile. Il faut travailler, travailler comme un boeuf et porter sa croix.
LE DOCTEUR. Je vous admire.
JEANNE. Merci. Mais, finalement, mon ex-mari n’est pas une si mauvaise personne. Il y a pire. Je me r'ep`ete cela cent fois par jour. Chaque femme devrait se le r'ep'eter. Il y a pire.
LE DOCTEUR. Pourquoi avez-vous dit « ex-mari » ? Seriez-vous divorc'es ?
JEANNE. Pas le moins du monde. Nous sommes l'egalement mari'es. Mais qu’est-ce qu’un mari qui oublie ce qu’un mari – un homme – ne doit pas oublier ? Vous me comprenez ?
LE DOCTEUR. M-m-m… Et que faites-vous dans ces cas-l`a ? Vous le lui rappelez ?
JEANNE. S’il faut rappeler `a un homme de telles choses, alors il n’y a plus rien `a esp'erer.
LE DOCTEUR. Vous avez raison.
JEANNE. Savez-vous, `a quelle conclusion m’a amen'ee l’exercice du droit ? Plus il y a d’hommes qui oublient, plus il y a de femmes qui souffrent.
LE DOCTEUR. L’exercice de la m'edecine aussi arrive `a la m^eme conclusion. Cependant, dites-moi, ne vous est-il pas venu `a l’esprit, que l’oubli de ces choses par votre mari, pouvait s’expliquer par le fait que… hum-hum…
JEANNE. Qu’il a une femme ?
LE DOCTEUR. C’est vous qui l’avez dit, pas moi.
JEANNE. Ne me faites pas rire, cela est exclu.
LE DOCTEUR. Oui ? Et comment r'eagiriez-vous si nous faisions la supposition que, peu avant vous, serait venue avec lui ?… Comment vous dire ca ?… Naturellement, ce n’est qu’une supposition…
JEANNE. Ne tournez pas autour du pot, docteur. Jouez franc jeu. J’ai les nerfs solides.
LE DOCTEUR. N’allez pas le juger. Selon moi, il a oubli'e qui 'etait sa femme.
JEANNE. Il s’en souvient parfaitement. (Elle appelle son mari.) Michel !
MICHEL entre.
JEANNE. Ch'eri, dis `a cette personne, comment je m’appelle.
MICHEL. L’aurait-il oubli'e ?
JEANNE. Il l’a su, mais il l’a oubli'e. (Avec ironie.) Cette personne souffre d’amn'esie.
MICHEL. (Au docteur.) Je suis sinc`erement d'esol'e pour vous.
LE DOCTEUR. Moi aussi je suis d'esol'e pour moi.
MICHEL. Pourquoi ne suivez-vous pas un traitement ? Je peux vous recommander un bon m'edecin. Voici sa carte de visite.
LE DOCTEUR. (Jetant un oeil sur la carte.) Je vous remercie, c’est ma carte ! Dites-nous, plut^ot, comment s’appelle cette dame.
MICHEL. 'Etrange question. Vous pensez que je ne sais pas comment s’appelle ma propre femme ? Ma femme, avec qui j’ai 'et'e dans la m^eme 'ecole ?
LE DOCTEUR. Bon, mais comment s’appelle-t-elle, bon sang ?
MICHEL. Jeanne. Pourquoi ?
JEANNE. Rien, ch'eri. Tu peux retourner dans la salle d’attente. (Sur un ton s'ev`ere.) Et tu n’en bouges pas !
MICHEL sort.
LE DOCTEUR. Bizarre. Si ce n’'etait pas sa femme, qui 'etait-ce, donc ?
JEANNE. Qui ?
LE DOCTEUR. La femme qui 'etait ici avant vous.
JEANNE. Si c’est vrai, alors je sais qui elle est.
LE DOCTEUR. (Avec int'er^et.) Tiens donc ? Et qui est-elle ?