Pi?ces choisies
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LE DOCTEUR. Vous vouliez, d'ej`a auparavant, me dire quelque chose de tr`es important, mais l’arriv'ee de cette personne vous en a emp^ech'ee.
IR`ENE. Oui.
LE DOCTEUR. Mais avouez donc, enfin !
IR`ENE. Vous allez me m'epriser.
LE DOCTEUR. Ne dites pas de b^etises. (Et, comme Ir`ene se tait, il continue.) Si vous ne vous d'ecidez pas `a avouer, alors permettez que je le fasse. Vous ^etes la femme que je r^evais de rencontrer depuis longtemps. Si vous n’aviez pas 'et'e mari'ee, je vous aurais fait une proposition. Seulement, ne riez pas de moi.
IR`ENE. J’ai envie de pleurer, pas de rire.
LE DOCTEUR. R'efl'echissez : si on ne r'eussit pas `a gu'erir votre mari, il vous faudra de toute facon vous s'eparer de lui. Et alors, je m’occuperai de lui et de vous. Je suis bien pourvu et je ferai ce qu’il faut pour vous rendre heureuse. Et, c’est le plus important, j’ai un penchant pour vous.
IR`ENE. C’est effectivement le plus important.
LE DOCTEUR. `A pr'esent, dites-moi, ce que vous vouliez me dire.
IR`ENE. Justement, il m’est `a pr'esent encore plus difficile de m’y r'esoudre. Le fait est que…
Entre JEANNE. Ne s’attendant pas `a voir IR`ENE en compagnie du DOCTEUR, elle s’arr^ete m'edus'ee.
IR`ENE. Pourquoi restes-tu plant'ee ? Viens t’asseoir.
LE DOCTEUR. ('Etonn'e.) Vous vous connaissez ?!
IR`ENE. Comme vous le voyez.
LE DOCTEUR. Je ne comprends rien.
IR`ENE. Nous n’allons pas tarder `a vous expliquer. Laissez-nous seulement discuter seule `a seule, d’abord. Je vous appellerai.
Pause. LE DOCTEUR sort.
Le pot aux roses est d'ecouvert. La banque exige le remboursement.
JEANNE. (Elle est abasourdie.) D'ej`a ?
IR`ENE. Ca devait arriver un jour ou l’autre.
JEANNE. Oui, mais c’est quand m^eme tellement inattendu. Et tellement terrible. (Se ressaisissant.). Il nous faut, sans perdre de temps, mener jusqu’au bout notre manigance contre le docteur.
IR`ENE. Je ne veux pas.
JEANNE. Pourquoi ?
IR`ENE. R'efl'echis toi-m^eme aux r^oles peu envieux que nous jouons. Pourras-tu, apr`es cela, te respecter ?
JEANNE. Mieux vaut ne pas se respecter `a l’air libre, que se respecter dans sa ge^ole.
IR`ENE. Ce que nous faisons n’est pas bien.
JEANNE. Nous ne faisons que nous battre pour nous.
IR`ENE. Tout en brisant le docteur.
JEANNE. Je ne comprends pas, tu t’es amourach'ee de lui, ou quoi ?
IR`ENE. Et si c’est le cas, tu dis quoi ?
JEANNE. Je dis qu’il y a un ^age o`u les femmes ne tombent plus amoureuses.
IR`ENE. Cet ^age-l`a n’existe pas pour les femmes.
JEANNE. Reste raisonnable. De toute facon, il n’y a pas d’autre issue.
IR`ENE. Il y a une issue : tout avouer.
JEANNE. Et mettre en l’air toute notre vie.
IR`ENE. Ne t’inqui`ete pas, je prends tout sur moi.
JEANNE. Tu crois que c’est de l’h'ero"isme, mais c’est une connerie.
IR`ENE. C’est un calcul. (Avec douceur.) R'efl'echis toi-m^eme. Si nous menons `a bien notre plan, alors, le plus probable, c’est que nous serons pris tous les quatre : nous trois, pour escroquerie et le docteur pour une fausse carte m'edicale. Mais en cas d’aveu, je suis seule `a faire de la prison et vous restez en libert'e. De plus, vous avez des enfants, alors que moi je suis seule. Et je ne parle pas de la conscience nette.
JEANNE. (Apr`es avoir longuement pes'e le pour et le contre.) Tu as s^urement raison. (Elle pleure.) Mais quelle ordure je suis : c’est ensemble que nous avons fait des conneries et c’est toi seule qui devras payer. Pardonne-moi. (Elle enlace Ir`ene.)
Les deux femmes sanglotent sur l’'epaule l’une de l’autre.
IR`ENE. Alors ? On fait venir le docteur ?
JEANNE. Fais-le venir, si tu veux.
IR`ENE. (Elle s’approche de la porte et fait venir le docteur.) Vous pouvez entrer.
LE DOCTEUR revient dans son cabinet. Les deux femmes essuient leurs larmes.
Eh bien, vous ne comprenez toujours rien ?
LE DOCTEUR. Absolument rien.
IR`ENE. Nous allons tout vous expliquer. Le fait est que… (`A Jeanne.) Je pr'ef`ere que tu racontes.
JEANNE. Bien. (Au docteur.) D’abord, buvez vos gouttes. Et asseyez-vous.
LE DOCTEUR s’ex'ecute docilement.
Commencons `a faire les pr'esentations. Moi je suis la femme de Michel, il est mon mari. Marina est sa soeur et il est son fr`ere. Vous saisissez ?
LE DOCTEUR. (Tout d'econcert'e.)
JEANNE. Patientez. Il n’a absolument pas besoin de soins car plus sain que lui tu meurs.
LE DOCTEUR. Attendez, et son amn'esie…
JEANNE. C’'etait de la simulation. Il a une excellente m'emoire. Ce n’est pas pour rien qu’il a la r'eputation de meilleur joueur de cartes de notre ville.
LE DOCTEUR. Alors pourquoi avez-vous…
JEANNE. (Sur le ton d’un avocat.) Docteur, si vous ne cessez pas de poser des questions, nous ne terminerons jamais.
LE DOCTEUR. Pardon.
JEANNE. `A pr'esent, 'ecoutez. Il y a deux ans, Michel perd, au casino, une grosse somme. Il supplie Ir`ene de lui donner cette somme et lui promet de la lui rendre rapidement. Sinon, dit-il, on peut l’abattre. Ir`ene lui fait un transfert d’argent par la banque et moi, malheureusement, je n’ai pas tent'e de l’en dissuader. Je craignais pour mon mari et les enfants.
LE DOCTEUR. Et ensuite ?
JEANNE. Michel, au lieu de rendre cet argent, le perd, l`a aussi, au jeu. La dette double. Il court `a nouveau voir ma soeur et la supplie de le sauver. Ir`ene aime mon fr`ere `a perdre la m'emoire et c`ede. Et de cette facon, nous nous enfoncons tous petit `a petit dans un trou dont il n’est plus possible de sortir. Vous n’imaginez pas comme c’est dur : savoir que votre mari joue, qu’il est sur la pente descendante et qu’il entra^ine avec lui toute la famille… L’aimer, vouloir le sauver et ne pas ^etre en 'etat de rien changer…