Европейская аналитика 2018
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Au cours de l’ann'ee 1988, sous la pression des difficult'es internes au bloc socialiste, la “maison commune europ'eenne” prend une consistance strat'egique. L’'economie sovi'etique traverse une zone de turbulences, que M. Gorbatchev ne pense pouvoir surmonter qu’en introduisant une dose suppl'ementaire de propri'et'e priv'ee et de march'e dans le syst`eme de planification sovi'etique. En Europe de l’Est, les revendications d'emocratiques confortent le dirigeant sovi'etique dans sa conviction: l’ouverture politique va dans le sens de l’histoire, vouloir la contenir serait s’opposer `a un courant trop puissant. La confrontation id'eologique remis'ee, l’objectif n’est plus de coop'erer de bloc `a bloc, mais de les fondre dans une Europe 'elargie sur la base de valeurs communes: libert'e, droits de l’homme, d'emocratie et souverainet'e. La diplomatie sovi'etique prend alors des accents gaullistes: c’est un “retour vers l’Europe <…>, civilisation `a la p'eriph'erie de laquelle nous sommes longtemps rest'es” selon les mots du diplomate Vladimir Loukine 13 .
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Cit'e par Rey M.-P. Gorbatchev et la maison commune europ'eenne // Revue russe. 2012. N 38.
“Le syst`eme 'etait `a bout de souffle et il fallait se d'ebarrasser, sans aucun doute, du communisme” convient aujourd’hui Alexandre Samarine, premier conseiller `a l’ambassade de Russie `a Paris, qui rappelle que son pays, membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis 1998, est d'esormais “capitaliste” et “oppos'e au protectionnisme”. “Tout le monde sentait que nous 'etions dans une impasse, abonde un diplomate `a la retraite souhaitant garder l’anonymat. Mais, s’empresse-t-il d’ajouter, personne ne pensait qu’il fallait faire des concessions unilat'erales”.
Marqu'e par la r'epression du Printemps de Prague en 1968, M. Gorbatchev consid`ere d`es son arriv'ee au pouvoir comme caduque la “doctrine Brejnev” sur la souverainet'e limit'ee des “pays fr`eres”. En encourageant les r'eformateurs et en refusant toute intervention par la force, il a enclench'e une dynamique qui finit par lui 'echapper. `A ses concessions, les Occidentaux r'epondent par des promesses (lire ci-contre), la question allemande illustrant le march'e de dupes qui s’engage. “Ce fut une erreur de Gorbatchev. En politique, tout doit ^etre 'ecrit, m^eme si une garantie sur papier est aussi souvent viol'ee”, confiait en juillet 2015 M. Poutine au r'ealisateur am'ericain Oliver Stone 14 .
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Conversations avec Poutine. Paris: Albin Michel, 2017.
Apr`es la chute du mur de Berlin, M. Gorbatchev soutient l’id'ee d’une Allemagne neutre (ou adh'erant aux deux alliances militaires conjointement), ins'er'ee dans une structure de s'ecurit'e paneurop'eenne qui prendrait pour base la Conf'erence pour la s'ecurit'e et la coop'eration en Europe (CSCE) cr'ee en 1975 par l’Acte final d’Helsinki. Point d’orgue de la d'etente est-ouest, avant le regain de tension li'e `a l’intervention sovi'etique en Afghanistan en 1979, cette d'eclaration commune sign'ee par trente-cinq 'Etats r'esultait d’un marchandage entre les deux camps. Les pays occidentaux validaient le principe, d'efendu depuis des ann'ees par Moscou, de l’intangibilit'e des fronti`eres, reconnaissant ainsi la division de l’Allemagne et les acquis sovi'etiques en Europe centrale et orientale. En 'echange, le camp socialiste s’engageait `a respecter les droits de l’homme et des libert'es fondamentales “y compris la libert'e de pens'ee, de conscience, de religion ou de conviction”. Seul organe permanent ou si'egeaient ensemble les 'Etats-Unis, le Canada, l’Union sovi'etique et la plupart des pays europ'eens de l’Est et de l’Ouest, la CSCE constituait aux yeux de Moscou la premi`ere pierre d’un rapprochement des deux Europe.
Au cours de l’ann'ee 1990, Gorbatchev n’est pas seul `a d'efendre l’option paneurop'eenne. Les nouveaux dirigeants est europ'eens, souvent d’anciens dissidents marqu'es par leur engagement pacifiste, ne souhaitent pas basculer imm'ediatement dans le camp occidental. Leur pr'ef'erence va d’abord `a la formation d’une r'egion neutre et d'emilitaris'ee, formant un pont entre les deux rives de l’Europe. Au lendemain de son 'election `a la pr'esidence de la Tch'ecoslovaquie, Vaclav Havel choque les Am'ericains, en demandant la dissolution des deux alliances et le d'epart de toutes les troupes 'etrang`eres d’Europe centrale. Le chancelier allemand Helmut Kohl s’irrite des d'eclarations du premier ministre est-allemand Lothar de Maizi`ere favorable `a la neutralisation de Allemagne. En avril 1990, le pr'esident polonais Jaruzelski, dirigeant du premier pays `a avoir ouvert les 'elections `a des candidats non communistes, accepte la proposition de M. Gorbatchev de renforcer provisoirement les troupes du Pacte de Varsovie en Allemagne de l’Est, le temps de mettre en place une structure de s'ecurit'e paneurop'eenne. Il propose m^eme d’y joindre des forces polonaises. Ce n’est qu’en f'evrier 1991 que Hongrie, Pologne, Tch'ecoslovaquie abandonnent cette option en formant le groupe de Visegrad: craignant un retour de b^aton conservateur `a Moscou, ils y affirment leur volont'e commune de s’abriter sous le parapluie am'ericain.
Du c^ot'e ouest europ'een, les dirigeants partagent le souci de poser les bases d’une nouvelle Grande Europe plus autonome de Washington, m^eme s’ils restent attach'es au maintien de l’OTAN en Europe. Le pr'esident francais Francois Mitterrand souhaite ins'erer l’Allemagne r'eunifi'ee dans un syst`eme de s'ecurit'e europ'een 'elargi, m'enageant une place pour la Russie. “L’Europe ne sera plus celle que nous connaissons depuis un demi-si`ecle. Hier, d'ependante des deux superpuissances, elle va, comme on rentre chez soi, rentrer dans son histoire et sa g'eographie. <…>, d'eclare-t-il lors de ses voeux traditionnels du 31 d'ecembre 1989. `A partir des accords d’Helsinki, je compte voir na^itre dans les ann'ees 1990 une Conf'ed'eration europ'eenne au vrai sens du terme qui associera tous les 'Etats de notre continent dans une organisation commune et permanente d’'echanges, de paix et de s'ecurit'e”. Cherchant `a 'eviter l’isolement de l’URSS, M. Mitterrand dessine une architecture paneurop'eenne en cercles concentriques: les douze membres d’alors de la Communaut'e 'economique europ'eenne (CEE) devaient former un “noyau actif”, `a l’int'erieur d’une structure de coop'eration paneurop'eenne 'elargie comprenant les anciens pays communistes. La premi`ere ministre britannique Margaret Thatcher cherche `a envelopper cette puissance allemande en voie d’^etre restaur'ee dans un cadre europ'een. Elle mandate en f'evrier 1990 son minist`ere des affaires 'etrang`eres, Douglas Hurd, pour pousser dans les n'egociations l’option d’une “association europ'eenne 'elargie <…> accueillant les pays est-europ'eens et, `a terme, l’Union sovi'etique” 15 , avant de pr'eciser que cette politique conduira `a renforcer la CSCE.
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Сit'e par Sarotte M.-E., 1989. The Struggle to Create Post-Cold War Europe. Princeton–Oxford: Princeton University Press, 2009.
M. Gorbatchev n’a pas su tirer profit de cette convergence fugace avec des dirigeants ouest europ'eens, favorables eux aussi `a une r'eunification allemande au rythme ma^itris'e, accompagn'ee d’une mont'ee en puissance de la CSCE. Fort de la victoire de l’Union chr'etienne-d'emocrate (CDU) aux premi`eres 'elections libres en R'epublique d'emocratique d’Allemagne (RDA) en mars 1990, le chancelier Kohl pr^one une solution rapide: l’absorption pure et simple de la RDA par la R'epublique f'ed'erale d’Allemagne (RFA). Le temps joue en faveur de M. Kohl et du pr'esident am'ericain Georges Bush, son principal alli'e. L’Union sovi'etique a besoin d’argent ; Washington, qui ne peut d'ecemment financer son adversaire, enjoint Bonn `a se montrer g'en'ereux. Les 13,5 milliards de marks promis l’Allemagne, au titre de contribution au rapatriement des troupes sovi'etiques, rendent l’URSS plus conciliante.
Avec le trait'e Start de 1990, les Occidentaux ont obtenu une r'eduction drastique des arsenaux nucl'eaires, les “d'emocraties populaires” sont tomb'ees les unes apr`es les autres, mais lorsque Gorbatchev r'eclame une aide 'economique lors du sommet du G7 `a Londres en juillet 1991, les Am'ericains disent qu’ils ne sont pas pr^ets `a faire des investissements “non rentables”. L’effondrement de l’Union sovi'etique en d'ecembre 1991 tient lieu de coup de gr^ace au projet paneurop'een. Dans les ann'ees qui suivent, Washington estime que la disparition du pays `a qui avaient 'et'e faites des promesses orales les lib`ere de leur engagement. C’est donc le mod`ele pr'efigur'e par la r'eunification allemande qui s’impose au reste de l’Europe, `a savoir l’absorption de l’Est par l’Ouest: l’Alliance atlantique int`egre par vagues successives les anciennes d'emocraties populaires, plus les ex-r'epubliques sovi'etiques baltes (voir la carte ci-contre). L’Union europ'eenne en fait autant.
En 1993, M. Mitterrand s’offusque de l’adh'esion des pays de l’Est `a l’OTAN, une alliance qu’il voulait voir devenir plus politique, moins militaire. Aux 'Etats-Unis aussi, quelques voix s’'el`event tr`es t^ot pour alerter des dangers d’une telle dynamique. Elle risque de produire chez la Russie la r'eaction nationaliste qu’elle est cens'ee pr'evenir. M^eme le p`ere de la doctrine de l’endiguement de l’expansionnisme sovi'etique en 1946, George F. Kennan, d'enonce d`es 1997 l’'elargissement de l’OTAN comme “la plus fatale erreur de politique am'ericaine depuis la guerre”. “Cette d'ecision de l’Occident, pr'evient l’ancien diplomate, va porter pr'ejudice au d'eveloppement de la d'emocratie russe, en r'etablissant l’atmosph`ere de la Guerre froide <…>. Les Russes n’auront d’autre choix que d’interpr'eter l’expansion de l’Otan comme une action militaire. Ils iront chercher ailleurs des garanties pour leur s'ecurit'e et leur avenir”. Critique de l’hubris am'ericaine, M. Jack Matlock, l’ambassadeur des 'Etats-Unis en Union sovi'etique entre 1987 et 1991, note que “trop d’hommes politiques am'ericains voient la fin de la guerre froide comme s’il s’agissait d’une quasi-victoire militaire. <…> La question n’aurait pas d"u ^etre – 'elargir et non l’OTAN – mais plut^ot d’explorer comment les 'Etats-Unis pouvaient garantir aux pays d’Europe centrale que leur ind'ependance serait pr'eserv'ee et, en m^eme temps, cr'eer en Europe un syst`eme de s'ecurit'e qui aurait confi'e la responsabilit'e de l’avenir du continent aux Europ'eens eux-m^emes” 16 .
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Matlock J. Superpower illusions: how myths and false ideologies led America astray – and how to return to reality. New Haven: Yale University Press, 2010.
Dans les ann'ees 1990, affaiblie par le chaos 'economique et social, la Russie n’a gu`ere les moyens de d'efendre ses int'er^ets g'eopolitiques. Mais la timidit'e de sa r'eaction tient aussi `a sa volont'e de pr'eserver son statut de grande puissance en tant que partenaire privil'egi'e des Am'ericains. Or, sur ce point, les Occidentaux ont laiss'e `a la Russie quelques raisons d’esp'erer. Moscou a r'ecup'er'e son arsenal nucl'eaire dispers'e dans les anciennes r'epubliques sovi'etiques avec la b'en'ediction de Washington; elle conserve son si`ege au conseil de s'ecurit'e des Nations; elle se voit offrir de si'eger dans le club des grandes puissances capitalistes, le G7. “Il r'egnait `a l’'epoque une atmosph`ere d’euphorie, se rappelle l’ancien vice-ministre des affaires 'etrang`eres (1986–1990) Anatoli Adamichine, nous pensions ^etre dans “le m^eme bateau que l’Occident” 17 ”. Les dirigeants russes ne pr'esentent pas tout . de suite l’'elargissement comme une menace militaire. Ils s’inqui`etent plut^ot de leur isolement, qu’ils s’efforcent de pr'evenir en avancant une s'erie de propositions 18 . Boris Eltsine formule d`es d'ecembre 1991 le souhait que son pays rejoigne l’organisation “`a long terme”. Son ministre des affaires 'etrang`eres russe Andre"i Kozyrev 'evoque la possibilit'e de subordonner l’Alliance aux d'ecisions `a la CSCE (en passe de devenir l’OSCE).
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Lenta.ru. 2018. 15 mai. URL: www.lenta.ru (date of access 15.09.2018)
18
Marten K. Reconsidering NATO expansion: a counterfactual analysis of Russia and the West in the 1990s // European Journal of International Security. 2017. Vol. 3, part 2.
L’intervention de l’OTAN en ex-Yougoslavie en 1999, hors de tout mandat des Nations unies, fait prendre `a la Russie la mesure de sa rel'egation strat'egique. L’Alliance atlantique, dont elle est exclue, lui appara^it alors comme le bras arm'e d’un camp vainqueur, tellement assur'e de sa force qu’il entend l’imposer, y compris en dehors de sa zone. “Le bombardement de Belgrade par l’OTAN [en 1999] a suscit'e une tr`es grave d'eception pour ceux qui, comme moi, croyaient dans le projet de la maison commune europ'eenne”, nous confie Youri Roubinski, premier conseiller politique `a l’Ambassade de Russie `a Paris entre 1987 et 1997. “L’'elan vers l’Europe impuls'e par Gorbatchev a cependant continu'e d’exercer sa force d’inertie positive de nombreuses ann'ees”.