Il est amer et doux, pendant les nuits d'hiver,D''ecouter, pr`es du feu qui palpite et qui fume,Les souvenirs lointains lentement s''eleverAu bruit des carillons qui chantent dans la brume.Bienheureuse la cloche au gosier vigoureuxQui, malgr'e sa vieillesse, alerte et bien portante,Jette fid`element son cri religieux,Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente!Moi, mon ^ame est f^el'ee, et lorsqu'en ses ennuisElle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits,Il arrive souvent que sa voix affaiblieSemble le r^ale 'epais d'un bless'e qu'on oublieAu bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts,Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts.
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LXXV
SPLEEN
Pluvi^ose, irrit'e contre la ville enti`ere,De son urne `a grands flots verse un froid t'en'ebreuxAux p^ales habitants du voisin cimeti`ereEt la mortalit'e sur les faubourgs brumeux.Mon chat sur le carreau cherchant une liti`ereAgite sans repos son corps maigre et galeux;L'^ame d'un vieux po`ete erre dans la goutti`ereAvec la triste voix d'un fant^ome frileux.Le bourdon se lamente, et la b^uche enfum'eeAccompagne en fausset la pendule enrhum'ee,Cependant qu'en un jeu plein de sales parfums,H'eritage fatal d'une vieille hydropique,Le beau valet de coeur et la dame de piqueCausent sinistrement de leurs amours d'efunts.
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LXXVI
SPLEEN
J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.Un gros meuble `a tiroirs encombr'e de bilans,De vers, de billets doux, de proc`es, de romances,Avec de lourds cheveux roul'es dans des quittances,Cache moins de secrets que mon triste cerveau.C'est une pyramide, un immense caveau,Qui contient plus de morts que la fosse commune.— Je suis un cimeti`ere abhorr'e de la lune,O`u comme des remords se tra^inent de longs versQui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers.Je suis un vieux boudoir plein de roses fan'ees,O`u g^it tout un fouillis de modes surann'ees,O`u les pastels plaintifs et les p^ales Boucher,Seuls, respirent l'odeur d'un flacon d'ebouch'e.Rien n''egale en longueur les boiteuses journ'ees,Quand sous les lourds flocons des neigeuses ann'eesL'ennui, fruit de la morne incuriosit'e,Prend les proportions de l'immortalit'e.— D'esormais tu n'es plus, ^o mati`ere vivante!Qu'un granit entour'e d'une vague 'epouvante,Assoupi dans le fond d'un Saharah brumeux;Un vieux sphinx ignor'e du monde insoucieux,Oubli'e sur la carte, et dont l'humeur faroucheNe chante qu'aux rayons du soleil qui se couche.
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LXXVII
SPLEEN
Je suis comme le roi d'un pays pluvieux,Riche, mais impuissant, jeune et pourtant tr`es-vieux,Qui, de ses pr'ecepteurs m'eprisant les courbettes,S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres b^etes.Rien ne peut l''egayer, ni gibier, ni faucon,Ni son peuple mourant en face du balcon.Du bouffon favori la grotesque balladeNe distrait plus le front de ce cruel malade;Son lit fleurdelis'e se transforme en tombeau,Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau,Ne savent plus trouver d'impudique toilettePour tirer un souris de ce jeune squelette.Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais puDe son ^etre extirper l''el'ement corrompu,Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent,Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent,Il n'a su r'echauffer ce cadavre h'eb'et'eO`u coule au lieu de sang l'eau verte du L'eth'e.
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LXXVIII
SPLEEN
Quand le ciel bas et lourd p`ese comme un couvercleSur l'esprit g'emissant en proie aux longs ennuis,Et que de l'horizon embrassant tout le cercleIl nous verse un jour noir plus triste que les nuits;Quand la terre est chang'ee en un cachot humide,O`u l'Esp'erance, comme une chauve-souris,S'en va battant les murs de son aile timideEt se cognant la t^ete `a des plafonds pourris;Quand la pluie 'etalant ses immenses tra^in'ees,D'une vaste prison imite les barreaux,Et qu'un peuple muet d'inf^ames araign'eesVient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,Des cloches tout `a coup sautent avec furieEt lancent vers le ciel un affreux hurlement,Ainsi que des esprits errants et sans patrieQui se mettent `a geindre opini^atrement.— Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,D'efilent lentement dans mon ^ame; l'Espoir,Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,Sur mon cr^ane inclin'e plante son drapeau noir.
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LXXIX
OBSESSION
Grands bois, vous m'effrayez comme des cath'edrales;Vous hurlez comme l'orgue; et dans nos coeurs maudits,Chambres d''eternel deuil o`u vibrent de vieux r^ales,R'epondent les 'echos de vos De profundis.Je te hais, Oc'ean! Tes bonds et tes tumultes,Mon esprit les retrouve en lui; ce rire amerDe l'homme vaincu, plein de sanglots et d'insultes,Je l'entends dans le rire 'enorme de la mer.Comme tu me plairais, ^o nuit! Sans ces 'etoilesDont la lumi`ere parle un langage connu!Car je cherche le vide, et le noir, et le nu!Mais les t'en`ebres sont elles-m^emes des toilesO`u vivent, jaillissant de mon oeil par milliers,Des ^etres disparus aux regards familiers.
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LXXX
LE GO^UT DU N'EANT
Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte,L'espoir, dont l''eperon attisait ton ardeur,Ne veut plus t'enfourcher! Couche-toi sans pudeur,Vieux cheval dont le pied `a chaque obstacle bute.R'esigne-toi, mon coeur; dors ton sommeil de brute.Esprit vaincu, fourbu! Pour toi, vieux maraudeur,L'amour n'a plus de go^ut, non plus que la dispute;Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la fl^ute!Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur!Le Printemps adorable a perdu son odeur!Et le Temps m'engloutit minute par minute,Comme la neige immense un corps pris de roideur;Je contemple d'en haut le globe en sa rondeurEt je n'y cherche plus l'abri d'une cahute.Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute?
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LXXXI
ALCHIMIE DE LA DOULEUR
L'un t''eclaire avec son ardeur,L'autre en toi met son deuil, Nature!Ce qui dit `a l'un: S'epulture!Dit `a l'autre: Vie et splendeur!Herm`es inconnu qui m'assistesEt qui toujours m'intimidas,Tu me rends l''egal de Midas,Le plus triste des alchimistes;Par toi je change l'or en ferEt le paradis en enfer;Dans le suaire des nuagesJe d'ecouvre un cadavre cher,Et sur les c'elestes rivagesJe b^atis de grands sarcophages.
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LXXXII
HORREUR SYMPATHIQUE
De ce ciel bizarre et livide,Tourment'e comme ton destin,Quels pensers dans ton ^ame videDescendent? R'eponds, libertin.— Insatiablement avideDe l'obscur et de l'incertain,Je ne geindrai pas comme OvideChass'e du paradis latin.Cieux d'echir'es comme des gr`eves,En vous se mire mon orgueil;Vos vastes nuages en deuilSont les corbillards de mes r^eves,Et vos lueurs sont le refletDe l'Enfer o`u mon coeur se pla^it.
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LXXXIII
L'H'EAUTONTIMOROUM'ENOS
`A J.G.F.
Je te frapperai sans col`ereEt sans haine, comme un boucher,Comme Mo"ise le rocher!Et je ferai de ta paupi`ere,Pour abreuver mon Saharah,Jaillir les eaux de la souffrance.Mon d'esir gonfl'e d'esp'eranceSur tes pleurs sal'es nageraComme un vaisseau qui prend le large,Et dans mon coeur qu'ils so^ulerontTes chers sanglots retentirontComme un tambour qui bat la charge!Ne suis-je pas un faux accordDans la divine symphonie,Gr^ace `a la vorace IronieQui me secoue et qui me mord?Elle est dans ma voix, la criarde!C'est tout mon sang, ce poison noir!Je suis le sinistre miroirO`u la m'eg`ere se regarde!Je suis la plaie et le couteau!Je suis le soufflet et la joue!Je suis les membres et la roue,Et la victime et le bourreau!Je suis de mon coeur le vampire,— Un de ces grands abandonn'esAu rire 'eternel condamn'es,Et qui ne peuvent plus sourire!
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LXXXIV
L'IRR'EM'EDIABLE
I
Une Id'ee, une Forme, un ^EtreParti de l'azur et tomb'eDans un Styx bourbeux et plomb'eO`u nul oeil du Ciel ne p'en`etre;Un Ange, imprudent voyageurQu'a tent'e l'amour du difforme,Au fond d'un cauchemar 'enormeSe d'ebattant comme un nageur,Et luttant, angoisses fun`ebres!Contre un gigantesque remousQui va chantant comme les fousEt pirouettant dans les t'en`ebres;Un malheureux ensorcel'eDans ses t^atonnements futiles,Pour fuir d'un lieu plein de reptiles,Cherchant la lumi`ere et la cl'e;Un damn'e descendant sans lampe,Au bord d'un gouffre dont l'odeurTrahit l'humide profondeur,D''eternels escaliers sans rampe,O`u veillent des monstres visqueuxDont les larges yeux de phosphoreFont une nuit plus noire encoreEt ne rendent visibles qu'eux;Un navire pris dans le p^ole,Comme en un pi`ege de cristal,Cherchant par quel d'etroit fatalIl est tomb'e dans cette ge^ole;— Embl`emes nets, tableau parfaitD'une fortune irr'em'ediable,Qui donne `a penser que le DiableFait toujours bien tout ce qu'il fait!
II
T^ete-`a-t^ete sombre et limpideQu'un coeur devenu son miroir!Puits de V'erit'e, clair et noir,O`u tremble une 'etoile livide,Un phare ironique, infernal,Flambeau des gr^aces sataniques,Soulagement et gloire uniques,— La conscience dans le Mal!