L'agent secret (Секретный агент)
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— Hein ! mon gaillard, tu la connais ! Faut croire qu’il y a des soirs o`u tu ne t’emb^etes pas.
En homme exerc'e, l’h^otelier collait son oeil `a l’orifice qu’il venait de faire.
— Ah ! nom de Dieu !…
— Quoi donc ? interrogea la vieille femme alarm'ee. C’est-y que la chambre est vide ?…
— Vide, r'ep'eta l’h^otelier, non, mais…
L’homme 'etait devenu tout p^ale, il fouilla dans sa poche, en tira un tournevis : en un tour de main, il avait d'etach'e la serrure… il se pr'ecipita aussit^ot dans la pi`ece, suivi de la tante Palmyre qui bient^ot piailla `a son tour :
— Ah ! Seigneur, doux J'esus, qu’est-ce qu’elle a ?…
Nichoune, 'etendue dans son lit, aurait paru dormir si deux d'etails 'etranges n’avaient aussit^ot frapp'e les regards. Le visage de la jeune femme 'etait violac'e, et elle avait les deux bras en l’air affreusement blancs.
L’h^otelier et la vieille femme s’apercurent que les bras de Nichoune 'etaient maintenus dans cette position verticale au moyen d’une ficelle assez forte, attach'ee aux poignets, qui 'etait fix'ee au ciel-de-lit…
— Mais, s’'ecria l’h^otelier, elle est morte !
La tante Palmyre, qui, quelques instants auparavant, n’avait cess'e de protester de sa sinc`ere affection pour sa charmante ni`ece, ne paraissait pas autrement impressionn'ee. Elle jetait de rapides regards tout autour de la pi`ece, sans manifester d’'emotion. Attitude qui ne dura qu’une seconde… Soudain, la vieille femme 'eclata en lamentations, poussa des cris percants. Dieu ! qu’elle 'etait encombrante dans sa douleur. L’h^otelier effar'e ne savait que faire. Avec de grands gestes, il imposa silence `a la vieille :
— Taisez-vous ! faites pas de bruit !.. bougez pas !… surtout ne touchez `a rien avant l’arriv'ee de la police…
— La police ! geignait la tante Palmyre, mais c’est 'epouvantable !…
Toutefois, `a peine l’h^otelier s’'etait-il retir'e, que la vieille, avec une dext'erit'e remarquable se mit `a chercher dans les meubles en d'esordre et, ma^itrisant une extr^eme surprise, prenait en h^ate un certain nombre de papiers qu’elle enfouissait dans son corsage tout en jetant des regards inquiets du c^ot'e du couloir.
`A peine eut-elle termin'e que l’h^otelier revenait, accompagn'e d’un agent de police…
En vain le p`ere Louis s’efforcait d’attirer le gardien de la paix jusque dans la pi`ece. L’agent ne voulait rien savoir.
— Que je vous dis, r'ep'etait-il de sa grosse voix, que ce n’est pas la peine que je consid`ere ce cadavre… que M. le commissaire, il va arriver tout `a l’heure et qu’il fera lui-m^eme les constatations l'egales…
Dix minutes environ s’'ecoul`erent. Le magistrat annonc'e se pr'esenta, accompagn'e de son secr'etaire, et proc'eda aussit^ot `a un interrogatoire sommaire de l’h^otelier. Mais il 'etait impossible, en pr'esence de la tante Palmyre, de faire le moindre travail s'erieux. L’insupportable vieille ne comprenait rien aux questions, parlait `a tort et `a travers.
— Retirez-vous, madame, je vous entendrai tout `a l’heure.
— Mais o`u faut-il que j’aille ?
— O`u vous voudrez, au diable, hurla le commissaire.
— Eh bien, c’est pas pour dire, r'etorqua la vieille femme, tout commissaire que vous ^etes, vous ^etes rudement mal embouch'e…
Et la tante Palmyre ajouta :
— Dire que personne de vous n’y a pens'e encore, j’m’en vas aller jusqu’au coin chercher des fleurs.
***
Il faut croire que les fleuristes 'etaient rares, car la vieille femme avait sans s’arr^eter travers'e toute la ville.
Elle 'etait d'esormais devant la gare et, comme elle consultait l’horloge :
— Bigre ! je n’ai que le temps, murmura-t-elle.
La m'eg`ere traversa la salle d’attente, fit poinconner son billet, un coupon de retour, et acc'eda au quai au moment pr'ecis o`u un employ'e criait :
— Les voyageurs pour Paris, en voiture !…
La tante Palmyre s’installa dans un compartiment de seconde, r'eserv'e aux dames seules…
Un inspecteur contr^olait les billets `a l’arr^et de Ch^ateau-Thierry.
— Pardon, monsieur, fit-il en r'eveillant un voyageur qui s’'etait assoupi, mais vous ^etes dans les dames seules !
L’homme se frotta les yeux.
— Je vous demande pardon, fit-il, je vais changer de place…, c’est une erreur…
Par le couloir, le voyageur gagna un autre compartiment, y transportant un ballot de v^etements envelopp'e d’un ch^ale multicolore…
Une heure apr`es, le train de Ch^alons arrivait `a Paris. Le gros voyageur regarda sa montre :
— Onze heures quarante-cinq, j’ai encore le temps.
Il sauta dans un taxi et dit au m'ecanicien :
— Rue Saint-Dominique, au minist`ere de la Guerre.
***
Peu apr`es le d'epart inopin'e du colonel Hofferman, Juve avait quitt'e le sous-secr'etaire d’'Etat, mais, au lieu de quitter le minist`ere il 'etait mont'e au Deuxi`eme Bureau de l’'Etat-Major et s’'etait fait annoncer au commandant Dumoulin.
Bien que se connaissant fort peu, le commandant Dumoulin et Juve sympathisaient.
Juve 'etait mont'e `a tout hasard, esp'erant que peut-^etre il apprendrait du nouveau, mais le commandant Dumoulin ne savait rien ou ne voulait rien dire, et Juve, apr`es une conversation banale, allait se retirer, lorsque la porte s’ouvrit.
Le colonel Hofferman entra.
Le colonel avait les yeux brillants, l’air radieux.
Le colonel, ayant apercu Juve, le salua d’un sourire 'enigmatique.
— Ah ! par exemple, monsieur, je ne m’attendais pas `a vous retrouver ici… mais puisque vous y ^etes, vous me saurez gr'e de vous donner des nouvelles !…
Juve ouvrait des yeux interrogateurs. Le colonel continua :
— J’ai rendu hommage `a votre perspicacit'e tout `a l’heure et je reconnais encore que vous avez fort bien pronostiqu'e en nous annoncant que le capitaine Brocq avait une ma^itresse ; malheureusement ce n’'etait pas du tout celle que vous croyez. Ce n’'etait pas non plus une femme du monde, tout au contraire…
— Avez-vous l’intention de me la faire conna^itre ?
— Mais bien certainement, monsieur !… Cette ma^itresse, c’est une fille… une chanteuse de caf'e-concert, une nomm'ee Nichoune… de Ch^alons !