L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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— J’vas br^uler mes croquenots. C’est tout de m^eme malheureux que je n’aie pas pens'e `a emporter un tapis.
La sueur, pourtant, lui perlait au front, et m^eme, `a un moment donn'e, comme une flamm`eche voltigeait, il n’eut que le temps d’'eteindre une m`eche de cheveux qui s’'etait enflamm'ee.
— H'e l`a, pas de blagues ! Faut pas que je me roussisse et que je me d'efigure. Qu’est-ce qu’elle dirait ma gonzesse ?
Il 'etait pauvrement v^etu d’une petite veste courte en toile bleue, comme en portent les ouvriers serruriers, les m'ecaniciens. Il ne semblait pas mis'erable, mais plut^ot laborieux, il devait appartenir `a la classe des travailleurs qui gagnent bien leur vie, des apprentis qui ont un bon m'etier dans les mains.
Sentinelle ne tirez pas !
C’est un oiseau qui vient de France.
Il commencait la plus sentimentale des romances lorsque, dans le fracas incessant des 'eboulements qui l’entouraient, quelque chose de stup'efiant arrachait `a sa chanson le titi parisien :
— Ah mazette, j’parierais bien un verre chez le prochain troquet, qu’il y a l`a quelqu’un qui se ballade comme moi dans les ruines.
`A ce moment, le gamin se trouvait au centre m^eme de l’incendie, perdu derri`ere les murs noir^atres, en 'equilibre sur une trav'ee de fer surplombant le vide des caves. Et, dans le lointain il avait cru apercevoir une ombre rapide.
— Alors, on serait deux, murmurait-il d'epit'e, on serait deux `a s’offrir la ballade. Ah ! mais, pas de ca. Chasse r'eserv'ee. J’aime pas les braconniers.
Quittant sa poutre, le gosse voulait se diriger vers le coin des ruines o`u il avait cru qu’un autre curieux avait r'eussi `a passer. Mais comme le gosse avancait, comme il se courbait pour 'eviter une 'enorme poutre r'eduite `a l’'etat de brasier ardent qui se dressait vers lui, une exclamation d’horreur fusa de ses l`evres :
— Sainte Vierge, ma m`ere. C’est tout de m^eme 'epouvantable. S^ur que c’est Juve.
Il venait de faire une horrible trouvaille. Tomb'ee entre deux pans de mur, coinc'ee l`a, une t^ete humaine grill'ee, r^otie, les chairs en lambeaux, les os noircis de suie, `a l’horrible rictus, apparaissait.
La victime avait d^u tomber d’un 'etage 'elev'e, ses os avaient gliss'e jusque dans les caves, et seul le cr^ane plus volumineux s’'etait accroch'e `a ce pan de muraille, o`u les flammes, en le l'echant, l’avaient d'epouill'e, s'ech'e, lui avaient donn'e cet aspect terrifiant.
— Eh bien, celui-l`a, il est pas beau. Et dire que c’est Juve, que ca ne peut ^etre que Juve. Eh bien, c’est rigolo tout de m^eme, il avait pas la t^ete plus grosse que moi.
Et en m^eme temps, avec cette inconscience de l’'epouvantable, qui est particuli`ere aux tr`es jeunes gens, il tendait la main, comme pour prendre le cr^ane.
Mais l’enfant n’acheva pas son geste. Au milieu m^eme du bruit des 'eboulements continuels, des claquements du foyer, des cr'epitements des flammes, une voix 'energique lui ordonnait :
— Ne touche pas. Laisse ca.
Et dans le d'esert des ruines, il 'etait si surprenant d’entendre parler que, stup'efait, l’enfant se retourna. `A moins de cinq m`etres, debout sur un muretin `a demi 'ecroul'e, il y avait un homme. Ni un pompier, ni un agent.
C’'etait un bourgeois, habill'e de v^etements confortables sinon cossus, la silhouette grande, mince, robuste, il tenait sur ses l`evres, un mouchoir blanc, `a travers lequel il respirait. Et il poursuivait :
— Laisse cela, petit. Tu ne sais pas qui c’est, et il ne faut pas y toucher. D’abord, que fais-tu l`a ?
— J’sais pas qui c’est ? commenca-t-il. Eh bien vous en avez de bonnes, vous. C’est de P'ekin ou de New York que revient monsieur, ou p’t’^etre qu’il n’a pas 'et'e `a la la"ique. Monseigneur ne sait pas lire ? Je n’sais pas qui c’est ? Pour un sou, monsieur peut se procurer au choix tous les grands canards de Paris, et monsieur verra qu’on sait bien qui qu’est mort : c’est Juve.
— Tu crois que c’est Juve ?
— Dame.
— Le policier Juve ? tu crois cela, petit ?
— Je le reconnais.
— Ah ca, comment es-tu l`a ? comment es-tu venu jusqu’ici ?
— Et vous ?
— Est-ce que tu ne te rends pas compte, maudit garnement, que d’une minute `a l’autre, tu peux te faire 'ecrabouiller par une muraille, par une pierre, par une poutre ?
— Vous m’emb^etez.
Et comme l’homme le regardait d’un air furieux, comme il allait l’atteindre, d’un bond le gosse se mit hors de port'ee. Il sauta par un prodige d’'equilibre sur une poutrelle fumante, l`a, prenant son 'elan, agrippa la saillie d’un mur, n’y toucha qu’une seconde puis, se trouva `a califourchon assis au sommet d’une cloison dont un des angles br^ulait encore, et qui, sous son poids, pourtant l'eger, se prit `a trembler dangereusement :
— Dites donc, continua le gosse, et vous ? qu’est-ce que vous fichez l`a ? Vous ne m’avez pas r'epondu. Coucou, il est parti le fils `a sa m`ere.
L’homme, pourtant, debout pr`es du cr^ane, consid'erait toujours le gamin :
— Comment t’appelles-tu ?
— Et vot’ soeur ? rallia-t-il, est-ce qu’elle porte des corsets ou des soutiens-gorge ?
— Ne parle pas si fort, les pompiers peuvent venir d’un instant `a l’autre.
— Et alors ?
— Dis-moi comment tu t’appelles ?
— Zut.
— Ah, tu vas voir.
— Je ne vais rien voir du tout. D’abord y a trop de fum'ee et puis ensuite si vous approchez, je me laisse d'egringoler sur vous avec ma muraille.
'Evidemment, il n’y avait rien `a faire pour intimider un pareil gavroche.
L’inconnu qui ne semblait plus pr^eter la moindre attention au danger qui l’environnait de tous c^ot'es, haussa les 'epaules, et reprit sur un ton plus doux :
— R'eponds-moi donc… d’abord, comment se fait-il que tu ne travailles pas aujourd’hui ? Tu es ouvrier ? Apprenti ?
— Oui, mon prince.
— Alors ?
— Alors, mon prince, on ne travaille pas aujourd’hui, parce que, mon patron a clamec'e, on l’enterre. L’usine est ferm'ee. Et comme ca et vous ?
— 'Ecoute, petit, fit-il, je suis ton ami et tu vas le voir… Mais il faut me r'epondre. Dis-moi seulement ce que tu es venu faire ici ?
— C’que je suis venu faire ? De la police. Oui, mon prince. N’ouvrez pas des yeux si grands, vous allez tomber dedans. Parfaitement. On sait ce qu’on sait. Fant^omas est une crapule et Juve, tout carbonis'e qu’il est, 'etait un grand homme. Tiens, j’ai lu toutes ses histoires. Je connais toutes ses aventures `a lui et `a son poteau, Fandor. Hier soir, on annonce sa mort. Bon, que je me suis dit, c’est extraordinaire que Juve se soit fait r^otir, s’agit d’aller voir si c’est vrai, et me voil`a. Je suis venu. Tout `a l’heure, on ne voulait pas me laisser passer. Bah, je ne suis pas si gros qu’un flic puisse m’emp^echer de me glisser sous ses pattes. Et en avant la fanfare, monseigneur, je suis entr'e dans les d'ecombres, pour y faire une enqu^ete comme on dit. J’voulais savoir si Juve 'etait mort. Voil`a sa t^ete `a ce pauv’ vieux. Juve est mort : dommage.