La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— Ah, mon bonhomme, vous revoil`a, eh bien, vous n’y couperez pas. Ah sapristi, vous en avez un toupet, vous. Qu’est-ce que vous veniez faire ici ?
C’'etait Herv'e Martel, descendu de son automobile devant le commissariat de police, au moment m^eme o`u M. Bertrand y arrivait. Herv'e Martel 'etait bl^eme de fureur, M. Bertrand bl^eme de rage.
— Mais l^achez-moi donc, criait l’encaisseur, pour qui me prenez-vous ? qu’est-ce que vous avez ?
Puis soudain, il reconnut la personne chez qui il avait 'et'e toucher les fonds le matin m^eme :
— Hein ? quoi ? c’est vous ?
— H'e oui, bandit, voleur, escroc, faussaire.
Tandis que, sur le trottoir, les badauds s’amassaient, les agents du poste, tir'es de leur somnolence par les 'eclats de la dispute, se h^at`erent de s'eparer les deux hommes :
— Allons, entrez, entrez, vous vous expliquerez devant le commissaire.
Devant le commissaire, en effet, les deux hommes s’expliqu`erent.
— Monsieur, d'eclarait Herv'e Martel, d'esignant M. Bertrand, s’est pr'esent'e chez moi `a huit heures du matin, muni d’une fausse facture de la maison Norel. Croyant avoir affaire `a un honn^ete encaisseur, j’ai naturellement sold'e mon d^u. Ah, ouitche, il n’y avait pas vingt minutes que cet escroc 'etait parti de chez moi que le v'eritable encaisseur de la maison Norel se pr'esentait.
— Mais je ne savais pas que ma facture 'etait fausse, protestait M. Bertrand, je ne savais pas que je vous escroquais, et d’ailleurs, vos dix mille francs les voil`a. Tenez, je les ai encore sur moi. Je venais les rapporter au commissaire.
***
Mais pourquoi les associ'es n’avaient-ils pas attendu ce pauvre Bertrand, encore au commissariat en train d’essayer de convaincre ses interlocuteurs ?
M. Bertrand n’'etait pas parti du Caf'e blancdepuis dix minutes pour aller effectuer l’encaissement qu’on lui avait confi'e, que Nalorgne et P'erouzin avaient la vive surprise d’entendre un garcon de caf'e crier `a haute voix leurs noms :
— Au t'el'ephone, MM. Nalorgne et P'erouzin.
— Allo, cria Nalorgne.
— C’est vous, Nalorgne ? c’est bien vous ? demanda une voix inconnue.
— C’est moi. Que me voulez-vous ?
— Fichez le camp avec P'erouzin, fichez le camp tout de suite, dare dare. Rentrez au Contentieux. Le truc est br^ul'e. On vous recherche. Allez, d'ebinez.
Ils 'etaient partis sans demander leur reste.
Nalorgne et P'erouzin, une heure plus tard, car ils avaient fait, par prudence, d’'enormes d'etours, r'eint'egraient leur Contentieux.
— Nous n’avons plus qu’`a attendre, disait P'erouzin, Prosper va nous rejoindre 'evidemment.
— Certainement, nous serons renseign'es dans dix minutes.
C’est `a trois heures seulement qu’ils entendirent une clef grincer dans leur serrure.
— Voil`a Prosper.
Prosper, seul, en effet, poss'edait une clef de l’officine.
Des pas cependant se faisaient entendre dans le corridor. Puis on traversait le salon d’attente, enfin la porte du cabinet de travail s’ouvrit.
Ce n’'etait pas Prosper, c’'etait M. Bertrand. Seulement le M. Bertrand qui entrait dans le cabinet de travail n’avait v'eritablement rien du M. Bertrand qu’ils avaient vu le matin m^eme au Caf'e blanc. Il 'etait plus grand, moins maigre, il avait surtout une tout autre assurance.
Et puis, voil`a qu’il savait les noms des deux associ'es :
— Bonjour Nalorgne, bonjour P'erouzin, vous allez bien ?
De stup'efaction, ni l’un ni l’autre des deux associ'es ne r'epondaient.
M. Bertrand continua :
— H'e, h'e, ma parole, seriez-vous devenus muets ? ou encore ne me reconna^itriez-vous pas ? Vous savez bien qui je suis, voyons ?
Nalorgne, 'ebahi par l’arriv'ee de ce visiteur inattendu, se demandant ce que tout cela pouvait signifier, balbutia :
— Vous ^etes notre employ'e, monsieur Bertrand ?… mais comment se fait-il ?
Nalorgne n’acheva pas.
Avec une inconcevable rapidit'e, M. Bertrand, tout en 'eclatant de rire, un rire bruyant qui emplissait l’'etude, jetait `a la vol'ee son chapeau, arrachait une perruque couvrant son cr^ane, arrachait sa moustache, sa barbe, se redressait et, en m^eme temps, sa main s’armait d’un revolver.
— Votre employ'e, faisait-il, vraiment, vous croyez que je suis votre employ'e ? ah, la bonne plaisanterie, non, mes amis, je ne suis l’employ'e de personne, je suis le Ma^itre.
Et comme P'erouzin et Nalorgne, terrifi'es par le revolver braqu'e sur eux, tremblaient de tous leurs membres, l’inconnu achevait :
— Je suis le ma^itre, mes amis, le ma^itre de tous et de tout. Le meilleur des ma^itres, le ma^itre qui, d'esormais, aura sur vous droit de vie et de mort, qui vous punira terriblement si vous le trompez, vous r'ecompensera magnifiquement si vous marchez droit. Allons, regardez-moi bien. Me reconnaissez-vous ?
Ils regard`erent cet homme d’une quarantaine d’ann'ees, grand, mince, souple, `a la figure 'energique, `a la face rase, intelligente. Il parlait d’une voix pos'ee, d’une voix de commandement qui n’admettait pas de r'eplique :
— Regardez-moi bien, Nalorgne, et P'erouzin, car, `a partir d’aujourd’hui, je vous le r'ep`ete, vous ^etes mes lieutenants d'evou'es, tr`es d'evou'es, vous m’entendez ? Car, j’ai non seulement droit de vie sur vous, mais encore, apr`es ce que je sais, il me serait facile de vous livrer `a la police, vous et Prosper, Prosper, qui sera mon troisi`eme lieutenant dans quelques minutes. Prosper, dont j’ai imit'e la voix au t'el'ephone pour vous faire quitter le petit Caf'e blanc. Allons, vous me reconnaissez maintenant, je suppose ? Non ? eh bien, je me nomme et comprenez bien qu’il s’agit pour vous d’^etre sages, je ne suis pas M. Bertrand, M. Bertrand n’a jamais exist'e, je suis le Roi du Crime, le Ma^itre de l’Effroi. Et vous, d'esormais, vous ^etes mes complices. Remerciez-moi, car lorsque Fant^omas fait l’honneur `a quelqu’un de s’associer `a sa fortune, ce sont des actions de gr^ace qu’on lui doit.
7 – JUVE SE CACHE
Saint-Germain, r'esidence estivale, est 'egalement une ville fort agr'eable `a habiter en hiver.
Ce matin-l`a, le temps 'etait clair et froid. Avenue des Violettes, un vieux domestique s’occupait `a astiquer avec conscience la plaque de cuivre d’un bouton de sonnette.
Il fut soudain interrompu dans son travail par la voix claire et forte d’une femme qui l’interpellait :
— Et alors, monsieur Jean, ca va toujours ? et votre patron, monsieur Ronier ? comment se porte-t-il, ce matin ?
— Merci, merci bien, vous ^etes bien honn^ete de vous occuper de nous. Oui, ca va toujours.
Mais la marchande de lait insistait :
— Et ses douleurs, `a M. Ronier ?
— Eh bien, qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse `a ses douleurs ? ce sont des douleurs comme les autres, il en souffre et ce n’est pas pendant l’hiver qu’il faut esp'erer qu’il se remettra. D’ailleurs, qu’est-ce que cela peut bien vous fiche, `a vous, la sant'e de mon patron ?