La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— P'erouzin, pourquoi allez-vous chercher midi `a quatorze heures. C’est bien simple, Juve, en tant que policier, est un homme fini, us'e, perdu. Il veut prendre femme. C’est son droit. Mieux encore, c’est tr`es naturel.
— Nalorgne, vous voyez les choses trop simplement. Ce qui arrive n’est pas d^u au hasard seul. Fant^omas qui nous tombe sur le dos…
— Vous vous en plaignez ?
— Non. Mais il y a aussi cette H'el`ene, que nous ne connaissons ni d’`Eve ni d’Adam, qui nous demande de lui rechercher Fandor, puis, voil`a que, convoqu'es par un certain M. Ronier, nous tombons sur Juve. Tout cela n’est pas clair.
— Limpide, au contraire. Cela prouve que nos affaires s’arrangent de mieux en mieux et qu’apr`es avoir crev'e de faim nous allons faire fortune. Songez donc, P'erouzin, `a la Pr'efecture de police, on nous a dit encore tout r'ecemment que nos d'emarches allaient ^etre couronn'ees de succ`es, et voyez-vous l’'eclat que cela donnerait `a nos affaires ? MM. Nalorgne et P'erouzin, inspecteurs de la S^uret'e, de la vraie S^uret'e et, en outre, travaillant avec… Ah, je ne nous donne pas six mois pour ^etre millionnaires.
— Croyez-vous que Juve ne sait pas que nous l’avons reconnu ?
— Il ne se doute de rien.
— Pourquoi, poursuivit P'erouzin, se dissimule-t-il sous un faux nom ?
— Rendez-vous compte, P'erouzin, que Juve, `a l’heure qu’il est, est fini, archi-fini, incapable m^eme de faire un geste. Or, quelle peut ^etre la pens'ee de cet homme qui a pass'e les dix derni`eres ann'ees de sa vie `a poursuivre… Il a peur.
— Fant^omas ne sait pas qui est M. Ronier.
— Non, Fant^omas ne le sait pas encore.
8 – LES CLIENTS DE
« `A l’Enfant J'esus ». C’est `a peine si l’on pouvait en croire ses yeux, et cependant l’infect bouge qui terminait la rue Championnet, du c^ot'e de la Chapelle, portait cette enseigne.
C’'etait un marchand de vin, un zinc ne payant pas de mine, sale, exigu, enfum'e, qui s’intitulait ainsi a) parce que de son toit l’on apercevait les tours du Sacr'e-Coeur ; b) parce que le patron de l’assommoir se pr'enommait Joseph ; c) parce que ce Joseph, Auvergnat d’ailleurs, pr'etendait que sa boutique, vu les tr'esors de victuailles qu’elle contenait, ressemblait `a s’y m'eprendre `a l’'Eden perdu `a cause de notre m`ere `a tous, mauvaises raisons au demeurant.
— Par exemple, ajoutait-il, ce sont les vierges, saintes ou non, qui manquent dans la maison.
Et, de fait, le troquet du p`ere Joseph 'etait le rendez-vous de toute la racaille du quartier, des apaches en veine de paresse, et des filles du trottoir. L’'etablissement, toujours d'esert le matin, peu achaland'e l’apr`es-midi, se remplissait, d`es la nuit tomb'ee, d’une client`ele interlope et qui, jusqu’aux petites heures, ne cessait de faire le tapage le plus infernal en absorbant des liquides de feu ou d’encre.
La police restait indulgente, car c’'etait l’un des endroits les plus commodes pour y retrouver les malfaiteurs. Et, en outre, on chuchotait volontiers, dans les services de la S^uret'e, que le p`ere Joseph, `a l’occasion, 'etait de bon conseil.
Ce soir-l`a, un samedi, vers onze heures, l’ Enfant J'esusregorgeait de clients.
Dans la fum'ee, dans le remugle ^acre du tabac et de l’alcool `a bas prix, une clameur s’'eleva. Arc-bout'e au chambranle, un ivrogne en houppelande crasseuse et pantalon de velours `a patte d’'el'ephant ne parvenait pas `a p'en'etrer dans la salle, par cons'equent, `a en fermer la porte.
— La lourde, y caille ! hurlaient les loustics.
Enfin ce client impr'evu appela au secours :
— H'e, patron, viens-t’en voir `a m’aider `a franchir la passe. C’est malheureux de penser qu’il faut maintenant avoir un pilote pour entrer dans ta cale s`eche. Mets-en voir un coup pour rentrer ma carcasse au bassin de radoub.
Le p`ere Joseph resta au comptoir :
— Plus souvent, grogna-t-il, que j’irai chercher un homme saoul.
Mais l’individu, toujours en lutte avec le battant de la porte, protestait :
— Ben quoi, puis apr`es, un homme saoul n’est pas d'eshonor'e. S^ur que je suis saoul. Mais ca arrive `a des gens tr`es bien. Du moment que j’ai l’argent pour payer, personne n’a le droit de me refuser `a boire. Ca oui, par exemple. Je d'efends bien `a n’importe qui de venir me le reprocher, ce que je bois, puisque je le paie.
Le froid p'en'etrait. Il fallait ou le faire sortir ou le faire rentrer. Un homme se leva, gros et couvert de crasse des pieds `a la t^ete, compl`etement chauve, mais une 'epaisse barbe embroussaillait ses joues et son menton.
— Je vais le vider, d'eclara-t-il.
Et il s’approcha de l’autre qui restait accol'e au montant.
— Ah, par exemple, elle est bien bonne celle-l`a, dit l’ivrogne, c’est bien toi, D'egueulasse ?
Et le petit gros ainsi interpell'e par le grand maigre de s’'ecrier :
— Ca, par exemple, ca d'epasse tout, Fumier, vieille saloperie, qu’est-ce que tu viens faire l`a.
Ils s’accol`erent, puis gagn`erent le comptoir :
— J’en paie un, dit Fumier.
— J’offre l’autre r'epliqua D'egueulasse.
Oui, ils avaient de l’argent ces surprenants personnages, si bizarres vraiment qu’on pr^etait l’oreille pour 'ecouter leurs 'epanchements apr`es ces retrouvailles.
D’ailleurs, D'egueulasse et Fumier ne cherchaient pas `a s’entretenir en secret, et c’est d’une voix tonitruante, comme s’ils 'etaient abominablement sourds l’un et l’autre, qu’ils se racontaient leurs aventures, depuis l’'epoque d'ej`a lointaine o`u les hasards de l’existence les avaient s'epar'es. Car tous deux 'etaient du m^eme pays, originaires d’un village du centre de la France qu’ils avaient quitt'e pour venir `a Paris en sabots. Mais la fortune ne les avait pas favoris'es, et, au lieu de troquer leurs rustiques chaussures contre des bottines vernies, comme il arrive aux parvenus, ils n’avaient pu 'echanger les galoches de bois que contre de vieux souliers ramass'es au hasard du ruisseau. Non, ils ne se plaignaient pas du sort :
— Moi, d'eclarait D'egueulasse avec une emphatique vanit'e, je suis dans la Marine. C’est `a Cherbourg que je gratte depuis d'ej`a une pi`ece de cinq ans. Mon boulot, c’est d’aller avec la drague, autrement dit la Marie-Salope, ramasser les ordures du patelin qu’on fout dans l’entr'ee du port et je te prie de croire que c’est le bon m'etier, parce que plus que tu en cherches, plus que t’en trouve.
— C’est rigolo, expliquait Fumier, on voit bien qu’on est pays tous les deux, car moi je travaille comme toi dans le m^eme fourbi. Tant^ot, je suis embauch'e pour racler la boue le long des trottoirs et dans les rues, tant^ot c’est pour farfouiller dans les poubelles et rechercher dans les carcasses de zhomards et les trognons de choux si les bourgeois ont pas laiss'e tomber un bibelot que ca vaut la peine.