Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Il fallait traverser cette foule ; il fallait, en d'epit des difficult'es, sortir de ce palais, prendre le large, et en m^eme temps, entra^iner H'el`ene sans que celle-ci p^ut faire un geste, ou prononcer un mot compromettant.
Un autre e^ut renonc'e `a un projet si fou. Fant^omas, en sa t'em'erit'e coutumi`ere, n’h'esitait pas, tout au contraire, `a d'ecider de l’accomplir.
— Nous sortirons ! murmurait-il.
Et comme Fandor et Juve quittaient le salon orange, brusquement la main du bandit se posait sur l’'epaule d’H'el`ene.
— Un mot, r'ep'etait-il, et Fandor est mort… Songes-y.
Comme H'el`ene, terrifi'ee, le regardait, Fant^omas entra^inait la jeune femme hors de l’embrasure de fen^etre qui, si opportun'ement, venait de leur servir d’abri.
Fant^omas, en quelques gestes, se d'epouillait du maillot noir qui tout `a l’heure moulait son corps. Il portait, en dessous, un costume de cour, bas de soie, culotte de satin, habit `a la francaise.
Fant^omas tirait de sa poche une perruque qu’il coiffait. Il avait si bien l’art de se maquiller que quelques secondes lui suffisaient `a changer son visage.
Alors, le bandit m'etamorphos'e se tournait vers H'el`ene :
— Je suis, murmurait-il, m'econnaissable, et nous allons en profiter. Une voiture m’attend dans la cour du ch^ateau. C’est dans la cour que Juve et Fandor vont aller enqu^eter. Ils me croient devant eux, parti d'ej`a ; tout au contraire, nous allons les suivre…
Et comme H'el`ene le regardait sans comprendre, Fant^omas reprenait :
— C’est Fandor, H'el`ene, qui va nous ouvrir la route. C’est Fandor qui me garantira de ta sagesse. Tu sais quel tireur je suis. Or, nous ne le perdrons pas de vue ; j’ai mon revolver dans ma poche : rappelle-toi qu’un mot, un seul mot imprudent 'echapp'e `a tes l`evres, et Fandor est un homme mort…
Fant^omas avait parl'e d’un ton rude et brusque. D’une voix soudainement devenue aimable il demandait :
— Ton bras, H'el`ene ? Nous allons fuir, mais fuir ensemble…
Et il fallut bien alors qu’H'el`ene s’inclin^at. La main gant'ee de blanc de la jeune femme, sa main tremblante, s’appuya sur le bras de Fant^omas. Ils quitt`erent le salon orange ; ils furent dans le couloir encombr'e de courtisans, de gentilshommes de la chambre, d’officiers et d’huissiers.
Ils pass`erent au milieu de cette foule. Sur l’ordre de Fant^omas, H'el`ene avait jet'e sur ses 'epaules un grand manteau qui tra^inait sur un meuble o`u sans doute le bandit l’avait d'epos'e, et qu’il avait 'et'e prendre myst'erieusement. Ce manteau, vaste et lourd, cachait la toilette de la jeune femme. Nul ne pouvait la reconna^itre, et Fant^omas, de son c^ot'e, gr^ace `a sa perruque, gr^ace `a son maquillage, 'etait impossible `a identifier.
La foule des courtisans s’'ecartait sur leur passage. On les prenait sans doute pour quelques hauts personnages de la bourgeoisie invit'es par la reine `a la c'er'emonie de la signature des brefs parlementaires. On s’'ecartait devant eux, ils passaient…
H'el`ene dut se composer un visage souriant. Tandis que son coeur battait `a se rompre dans sa poitrine, tandis que le d'esespoir faisait glacer son sang dans ses veines, elle trouvait la force d’^ame de sourire, de s’incliner lorsqu’on la saluait, de feindre de s’appuyer galamment au bras de son cavalier.
Faire un geste ? Oser un mot ? Crier au secours ? Ah ! pour rien au monde, en cet instant, H'el`ene ne l’e^ut os'e.
Fant^omas avait toujours la main dans la poche de son habit. Il feignait d’y chercher quelque chose, un mouchoir, une bo^ite `a poudre de riz, peut-^etre ; son geste 'etait naturel, ordinaire, mais H'el`ene, h'elas ! ne pouvait s’y tromper. Ce que Fant^omas tenait, c’'etait son revolver. Le Ma^itre de l’effroi avait eu raison, elle 'etait en son pouvoir, elle se tairait… elle ne dirait rien… car Fandor 'etait `a cinquante m`etres devant eux, Fandor qui ne se doutait point qu’un revolver le menacait, Fandor qu’une imprudence de sa part pouvait irr'evocablement condamner.
Et H'el`ene, crisp'ee par l’effort moral qu’elle devait s’imposer, se disait :
— Je ne puis rien tenter. Je ne puis rien essayer… Fant^omas tirerait, Fandor serait mort, et certainement, `a la faveur du scandale, Fant^omas s’'echapperait.
Le couple tragique traversa de la sorte les vastes galeries du palais royal.
Fandor et Juve, comme l’avait devin'e Fant^omas, se rendaient, en effet, `a la cour du ch^ateau o`u sans doute ils voulaient, en interrogeant les factionnaires, essayer de retrouver la piste du bandit, qu’ils supposaient logiquement parti devant eux.
La d'emarche m^eme de Fandor et de Juve servait Fant^omas. Le bandit les accompagnant de loin, en effet, parvenait ainsi tout naturellement dans cette cour du ch^ateau o`u, comme il l’avait annonc'e `a H'el`ene, une voiture l’attendait. C’'etait une superbe automobile, une limousine puissante, que conduisait un chauffeur au masque 'energique.
— Montez, H'el`ene.
Fandor 'etait toujours `a quelques m`etres. Un dernier regard d’H'el`ene supplia Fant^omas.
H'elas ! l’^ame de Fant^omas 'etait inaccessible `a la piti'e.
— Montez, r'ep'eta le bandit.
Et H'el`ene, une fois encore, dut ob'eir `a l’ordre qu’on lui donnait.
Alors que Juve et Fandor, alors que son mari 'etait `a quelques pas d’elle, alors qu’elle ne pouvait point douter que Fandor e^ut donn'e jusqu’`a la derni`ere goutte de son sang pour la sauver, la prisonni`ere de la peur dut embarquer dans cette voiture qui allait sans doute la conduire vers de tragiques destin'ees…
H'el`ene, d'efaillante, s’installa sur les coussins de l’automobile. Fant^omas prenait place `a c^ot'e d’elle. Le chauffeur d'emarra…
— Attention, disait alors Fant^omas. Voici l’instant capital… N’oubliez pas…
La voiture effectuait un grand virage dans la cour du palais, pour se diriger vers la grille, et, de l`a, gagner les rues d’Amsterdam. Elle allait fr^oler Juve et Fandor. Il suffisait d’un regard de Fandor ou de Juve, d’un cri d’H'el`ene, pour que Fant^omas fut irr'em'ediablement pris.
Fant^omas, pourtant, demeurait impassible, supr^emement calme.
— Attention, r'ep'etait-il simplement. Il faut que vous vous enfonciez sur cette banquette ; voici un 'eventail, servez-vous-en, je ne veux pas qu’on vous apercoive…
Cette derni`ere cruaut'e, cette cruaut'e qui contraignait H'el`ene `a se cacher elle-m^eme, il fallut bien que la jeune femme la sub^it.
Comme l’avait dit Fant^omas, H'el`ene s’'eventa. `A l’instant o`u la voiture fr^olait Juve et Fandor, marchant doucement, tout doucement, et cela pour ne point attirer l’attention, le policier et le journaliste qui interrogeaient un homme de garde, se retournaient et, d’un regard anxieux, d'evisageaient les occupants de la voiture.
Ni Juve, ni Fandor ne purent voir H'el`ene. Ils distingu`erent en revanche, et parfaitement, les traits du gentilhomme qui occupait cette automobile. Mais, pendant les quelques secondes que durait cette vision, Juve et Fandor ne pouvaient pas mat'eriellement avoir le temps de reconna^itre Fant^omas d'eguis'e, grim'e, Fant^omas qui n’'etait plus ni lui-m^eme, ni le Grand 'Eclusier, qui, merveilleux acteur, s’'etait savamment compos'e un visage nouveau.