Том 6. С того берега. Долг прежде всего
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On est forc'e, en France, de r'ep'eter les v'erit'es les plus 'el'ementaires, de revenir sur des principes qui n''etaient pas nouveaux du temps d'un Bacon ou d'un Spinoza. Il n'y a rien d'acquis chez vous, comme par exemple en Allemagne, sous le point de vue scientifique, en Angleterre sous le point de vue du droit. De l`a cette l'eg`eret'e de changement dont nous sommes les continuels t'emoins. Une g'en'eration de r'evolutionnaires devient absolutiste. Apr`es trois r'evolutions on en est encore `a la question de la censure, de la prison pr'eventive, de la transportation sans jugement, parce qu'il n'y a rien de gagn'e d'efinitivement. Cette confusion s'est produite dans la science m^eme par l''eclectisme de M. Cousin, qui lui a donn'e une organisation syst'ematique.
Cette confusion r`egne dans tous les camps, chez les d'emocrates comme chez les absolutistes, `a plus forte raison chez les mod'er'es qui ne savent ce qu'ils veulent, ni ce qu'ils ne veulent pas [136] .
Permettez-moi de vous citer un exemple r'ecent de ce vague dans les id'ees de nos adversaires; je me propose, pour une autre fois, de prendre mon exemple au sein de la famille.
Les journaux royalistes et ultramontains ont cit'e avec enthousiasme un discours de M. Donoso Cort`es. C'est un discours tr`es remarquable sous beaucoup de rapports. L'orateur a profond'ement appr'eci'e la terrible position de l'Europe actuelle, qui est `a la veille d'un cataclysme in'evitable, fatal. Le tableau qu'il en fait est palpitant de v'erit'e. Il repr'esente l'Europe d'esorganis'ee, impuissante, entra^in'ee `a sa perte, mourant de faiblesse, et le monde slave se ruant sur le monde germano-romain, pour se promener l'arme au bras par toute l'Europe.
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Je ne connais qu'un seul 'ecrivain francais qui s'est 'emancip'e des influences traditionnelles, qui a le courage d'une cons'equence logique `a toute 'epreuve et qui ne recule devant aucune v'erit'e, qui s'impose comme d'eduction, – c'est Proudhon.
Il dit:
Eh bien! En attendant cette panac'ee divine, savez-vous ce que propose cet homme qui a trac'e ces paroles de Daniel?
Nous sommes honteux de le dire, il pense sauver le monde en faisant l'Angleterre catholique et en laissant le soin du salut continental aux arm'ees permanentes et `a l'autorit'e monarchique. Il veut d'etourner le terrible avenir en allant vers un pass'e qui n'existe presque plus.
Nous ne croyons pas `a la pathologie du marquis de Valdegamas. Ou le danger n'est pas si grand, ou le rem`ede est trop faible. – L'autorit'e royale est bien restaur'ee, ses arm'ees permanentes ont le dessus, l''eglise triomphe, M. Thiers lui-m^eme est devenu tr`es catholique, la r'eaction ne laisse rien `a d'esirer, – et pourtant le salut ne vient pas. – Est-ce parce que l'Angleterre persiste dans le schisme?
On accuse tous les jours les socialistes de n'^etre fort que dans la critique, dans la constatation du mal, dans la n'egation. Et vous-m^emes, messieurs les antisocialistes?
Pour comble de confusion, la r'edaction d'un journal blanc poudre de perle a ins'er'e dans la m^eme feuille, o`u elle se r'epand en compliments pour M. Donoso Cort`es, les fragments d'une compilation historique (assez m'ediocre). On y raconte sur les premiers si`ecles de la chr'etient'e des faits qui r'efutent compl`etement le point de vue de M. Cort`es.
M. Cort`es se place exactement sur le terrain des conservateurs romains, tels que Pline, Trajan, Diocl'etien, Julien etc. Il voit comme eux le voyaient, par rapport `a Rome, la dissolution de l''etat actuel del'Europe, – il en fr'emit, ce qui est tr`es naturel, car il y a de quoi fr'emir, – et d'esire sauver, `a tout prix, cette soci'et'e mourante. Pour la sauver, il cherche les moyens d'arr^eter l'avenir.
Dans son raisonnement il part (comme les romains) d'une donn'ee fausse, d'une supposition sans preuve, d'une opinion exclusive. Il pense que les formes actuelles de l'existence sociale, telles qu'elles ont 'et'e 'elabor'ees par l'action mutuelle des trois 'el'ements de l'histoire europ'eenne: l''el'ement romain, chr'etien et germanique, – sont les seules possibles. Pourtant nous voyons dans l'histoire ancienne et dans l'Orient contemporain des bases sociales toutes diff'erentes, peut-^etre inf'erieures, mais d'une 'enorme solidit'e.
M. Cort`es suppose que la civilisation ne peut se d'evelopper que dans les formes politiques de l'Europe actuelle. Et pourtant la Gr`ece et Rome sont l`a pour prouver le contraire. Il est facile de dire (comme l'a fait l'orateur) que le monde ancien a 'et'e cultiv'e et non civilis'e. C'est de la scolastique, de pareilles distinctions n'ont de succ`es qu'en th'eologie. La civilisation du monde antique a 'et'e une civilisation de minorit'e, comme la n^otre. Comme la n^otre, pour ^etre possible, elle avait besoin d'antropo-phagie. Mais il ne s'ensuit pas encore qu'on ait le droit de donner la pr'ef'erance au monde moderne, si pr'ef'erance il y a, sous ces d'enominations de culture et de civilisation. Le monde qui a commenc'e par l'Iliade, qui a produit Phydias, qui s'est r'esum'e dans un Aristote, et qui, vers son d'eclin, terminait sa belle carri`ere par Horace, 'etait bien cultiv'e et bien civilis'e. M. Cort`es n'a pas m^eme remarqu'e qu'en disant lui-m^eme que la seule source de notre civilisation est le christianisme, il en a reconnu le caract`ere historique, c'est-`a-dire temporel. Loin de voir l'aube matinale d'une nouvelle journ'ee, d'une civilisation beaucoup plus humaine encore que la civilisation chr'etienne, M. Cort`es, toujours tourn'e vers le pass'e, ne voit que la dissolution des formes absolues pour lui, et au del`a la barbarie et l'invasion russe.
Frapp'e de cette lugubre perspective, il cherche des moyens de salut; mais o`u trouver un point d'appui, quelque chose de stable dans ce monde agonisant? Tout est
«pourriture», tout se d'ecompose… Pouss'e par le d'esespoir, il s'adresse `a la mort morale et `a la mort physique; il veut s'appuyer sur le soldat et sur le pr^etre.Quelle est donc cette organisation sociale qui demande de pareils moyens de salut?
Et quelle qu'elle soit, vaut-elle la peine d'^etre conserv'ee `a ce prix?
Nous sommes d'accord avec M. Cort`es, l'Europe telle qu'elle est `a pr'esent, s'en va. Le socialisme, d`es sa premi`ere apparition, depuis le saint-simonisme, l'a dit; sur ce point toutes les 'ecoles socialistes ont 'et'e d'accord.
La grande diff'erence entre les r'evolutionnaires politiques et les socialistes consiste en ce que les hommes politiques voulaient faire des r'eformes et des am'eliorations en restant sur le m^eme terrain que le monde catholique. Le socialisme, au contraire, a proclam'e la n'egation la plus compl`ete de l'ordre des choses existant, il a ni'e la monarchie et la repr'esentation souveraine, les tribunaux et les droits, le code civil et le code criminel, il a ni'e l'Europe f'eodale, catholique, comme le faisaient, par rapport `a Rome, Saint Paul ou Saint Augustin, ces hommes qui disaient en face aux Romains: «Pour nous, vos vertus sont des vices, votre sagesse est folie; comme il en est pour vous de notre sainte foi».
Une pareille n'egation, si elle s'enracine et se r'epand, si elle agite toute une g'en'eration, n'est pas un caprice d'une imagination maladive, elle n'est pas le cri individuel d'une ^ame froiss'ee par le monde, mais bien un arr^et de mort prononc'e contre un monde d'ecr'epit et qui ne tardera pas `a ^etre ex'ecut'e.
L'Europe actuelle tombera sous la protestation du socialisme, non seulement parce que son iniquit'e est devenue manifeste, mais encore parce qu'elle a 'epuis'e toutes ses forces vitales, absorb'e son propre sang, sa pulpe nerveuse; parce qu'enfin elle n'est plus capable de continuer son d'eveloppement: elle n'a rien `a faire, rien `a dire, rien `a produire; elle se jette dans le pass'e pour fuir l'avenir; elle r'eduit son activit'e au conservatisme; elle n'agit pas: elle garde sa place!
Vous voulez arr^eter l'accomplissement des 'ev'enements que vous pr'evoyez! Mais que conservez-vous donc avec tant de z`ele, avec tant d'obstination?.. Vous pouvez r'eussir pour un temps quelconque, je ne dis pas le contraire.
Telle est la part du lion de la volont'e humaine dans les affaires d'histoire; l'histoire n'a nullement ce caract`ere de pr'edestination forc'ee qu'on enseigne dans les 'ecoles catholiques et qu'on pr^eche dans les 'eglises philosophiques. Elle a un 'el'ement tr`es variable dans sa formule; c'est l''el'ement de la volont'e subjective. L'homme improvise, il cr'ee. Mais naturellement, cet 'el'ement a ses bornes et ses conditions; et ce n'est pas une r'evolution universelle qui pourrait ^etre arr^et'ee pour longtemps par des regrets et par des violences.