Том 6. С того берега. Долг прежде всего
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On peut encore concevoir qu'en donnant le change aux esprits, en les 'eblouissant, en les trompant, par un but fantastique, on rend impossible la r'esistance. Napol'eon l'a prouv'e. Mais est-ce par des moyens pareils que proc`ede la r'eaction?
Les deux moyens de M. Cort`es sont le retour `a l'autorit'e monarchique et `a la foi catholique, c'est-`a-dire `a la superstition et `a la terreur.
Mais en premier lieu, nous demanderons `a M. Cort`es comment nous ferons pour avoir une foi que nous n'avons plus, pour ne pas douter l`a, o`u nous doutons, ne pas savoir ce que nous connaissons? Cette question n'est pas nouvelle, Byron l'а d'ej`a pos'ee `a une dame pi'etiste qui voulait le convertir au schisme de l''eglise anglicane.
Donc, il ne reste que la terreur.
On pardonne beaucoup en faveur du progr`es, et pourtant la terreur, lorsqu'elle se fit, m^eme au nom du progr`es et de la libert'e, souleva avec raison tous les coeurs g'en'ereux.
Et la r'eaction demande la terreur comme moyen de r'epression, pour maintenir un statu quo, dont la d'ecr'epitude et l'impuissance ont 'et'e constat'ees avec tant d''energie par notre orateur. Elle veut la terreur pour reculer, elle veut consacrer l'enfance pour nourrir le p`ere cacochyme.
Avez-vous s'erieusement pens'e au sang qu'il vous faudra r'epandre pour retourner aux temps heureux de l''edit de Nantes et de l'inquisition? Remarquez-le bien, je ne dis pas que cela soit impossible, je connais trop le genre humain pour en douter; mais cela ne sera possible que lorsqu'on se permettra des Saint-Barth'el'emy et des massacres de Septembre. Il vous faudra, pour cela, assassiner tout ce qu'il y a d''energique dans notre g'en'eration, d'eporter, d'ecimer tout ce qui pense, 'ecrit, agit; il vous faudra enfoncer le Peuple encore plus dans l'ignorance et le spolier compl`etement pour augmenter ses arm'ees permanentes, il vous faudra passer par un infanticide moral de toute la g'en'eration suivante… et tout cela pour sauver une forme sociale 'epuis'ee, qui ne suffit plus ni `a vous, ni `a nous, pour se pr'eserver de la barbarie et de l'invasion russe, au nom de la civilisation.
Mais o`u est, de gr^ace, la diff'erence entre l'invasion russe, la barbarie et votre civilisation catholique?
Sacrifier des hommes, des g'en'erations, le d'eveloppement d'une 'epoque enti`ere `a l''etat actuel. Y pensez-vous, philanthropes chr'etiens? Mais est-ce qu'en g'en'eral ce Moloch d'Etat est le but de l'homme; autant vaudrait dire que le gant est le but de la main ou le toit le but de la maison. Quant `a moi, je ne connais aucune forme d'existence sociale, aucune question politique, patriotique ou th'eologique, pour laquelle je voulusse donner la b'en'ediction `a l'assassinat, pour laquelle je voulusse proposer de sacrifier un seul ^etre humain. L'homme a bien le droit de se d'evouer, de se sacrifier lui-m^eme. Mais, en v'erit'e, l'h'ero"isme de l'abn'egation pour les autres est trop facile pour ^etre une vertu. Il arrive, par malheur, qu'au milieu des orages populaires, les passions longtemps comprim'ees se d'echa^inent, sanguinaires et implacables, sans m'enagements et mis'ericorde; nous pouvons les comprendre, les accepter, en nous couvrant la t^ete, mais les 'elever `a la hauteur d'une th'eorie, les recommander comme moyen, jamais!
Et n'est-ce pas cela que fait M. Cort`es en se faisant le pan'egyriste du soldat disciplin'e de l'arm'ee permanente?
Vous dites que le pr^etre et le soldat sont beaucoup plus pr`es (l'un de l'autre) qu'on ne le pense; aveu sinistre! – Ce sont les deux extr'emit'es qui se rapprochent, comme ces deux ennemis rest'es seuls sur la terre dans
L''eglise chr'etienne s'est servie des soldats d`es le jour o`u elle devint religion d'Etat. C'est vrai, mais jamais elle n'osa avouer cette apostasie; elle sentait bien ce que cette alliance avait de mensonger, d'hypocrite; c''etait une des mille concessions qu'elle faisait au temporel, tant m'epris'e par elle. N'en voulons pas `a l'Eglise pour cela, c''etait une n'ecessit'e dict'ee par la force des choses, et qui tenait `a l'essence m^eme de la doctrine chr'etienne, 'eminemment transcendantale, utopique. L''etique abstraite de l'Evangile ne fut jamais qu'un noble r^eve, sans aucune chance de se r'ealiser.
Eh bien! ce que l'Eglise n'a jamais os'e, a 'et'e fait par M. Cort`es. Il a eu l'audace de mettre le soldat `a c^ot'e du pr^etre, l'autel `a c^ot'e du corps de garde, l'Eglise `a c^ot'e de la caserne, l'Evangile qui pardonne `a c^ot'e du code militaire qui fusille les fr`eres.
Messieurs, chantons un De profundis ou un Te Deum si vous le voulez; c'en est fait de l'Eglise et de l'arm'ee!
Enfin, les masques sont tomb'es, on s'est reconnu. Oui, le pr^etre et le soldat sont des fr`eres; ils sont les malheureux enfants de la confusion morale, du dualisme dans lequel l'humanit'e se d'ebat. Et celui qui dit:
«Aime ton prochain et ob'eis `a l'autorit'e», dit la m^eme chose que l'autre qui r'ep`ete: «Ob'eis `a l'autorit'e et fais fe`u sur ton prochain».L'abn'egation chr'etienne est aussi contraire `a la nature que l'assassinat par ob'eissance. Il fallait d'epraver, pervertir toutes les notions les plus simples dans la conscience de l'homme pour lui faire accepter une d'emence pareille comme v'erit'e, comme devoir. Une fois ceci accept'e, qu'il faut d'etester la terre et honorer le ciel, qu'il faut m'epriser le temporel, le seul bien que l'on a, et chercher l''eternel, qui n'existe que dans notre facult'e d'abstraction, on parvient ais'ement `a accepter aussi que n'est rien, que l'Etat est tout, que le «salus populi supremo, lex est», que «pereat mundus et fiat justitia», et toutes les autres maximes qui sentent la chaire br^ul'ee, qui rappellent la torture, le triomphe, l'ordre.
Mais pourquoi donc M. Cort`es a-t-il oubli'e le troisi`eme membre conservateur, l'ange-gardien des soci'et'es qui s''ecroulent, – le bourreau?
Est-ce parce que le bourreau se confond de plus en plus avec le soldat, gr^ace `a la noblesse d'^ame des chefs et `a la rigueur de l'ob'eissance passive?
Dans le bourreau brillent au supr^eme degr'e toutes les vertus qu'honore M. Cort`es: la v'en'eration de l'autorit'e, l'ob'eissance passive, l'abn'egation de soi-m^eme. Il n'a pas besoin de la foi d'un pr^etre, ni de l'enthousiasme du danger qui anime le soldat. Il tue avec sang-froid, impassible comme la loi, comme le couteau; il tue pour venger la soci'et'e; il tue au nom de l'ordre; il entre en concurrence avec tous les sc'el'erats, et sort victorieux, appuy'e sur la soci'et'e. Moins fier que le pr^etre et le soldat, il n'attend aucune r'ecompense ni des dieux, ni des hommes; il ne cherche pas la gloire, il abdique son honneur, sa dignit'e d'homme, le tout pour le triomphe de l'ordre.
Justice donc `a l'homme de la justice vengeresse. Nous disons aussi `a la mani`ere de Cort`es: «Le bourreau est beaucoup plus pr`es du pr^etre qu'on ne pense».
Oh! le bourreau joue un grand r^ole chaque fois qu'on crucifie un monde nouveau – ou qu'on guillotine un vieux spectre!
Et `a propos du Calvaire et des bourreaux, passons aux pers'ecutions des chr'etiens, passons aux fragments de M. Capefigue, si vous n'avez pas une bonne histoire des premiers si`ecles sous main. Ou, ce qui est bien mieux, ouvrons Tertullien et les premiers P`eres, d'un c^ot'e, et les 'ecrits des d'efenseurs de l'ordre, des conservateurs romains, de l'autre. M^eme lutte, m^eme acharnement, m^eme 'energie, exprim'es dans les m^emes termes. Les chr'etiens sont trait'es par Celse ou Julien comme des r^eveurs, des utopistes, comme des visionnaires; ils sont fl'etris parle nom d'ennemis de l'Etat, de la famille, de la propri'et'e, comme assassins d'enfants. – On croit lire un premier-Paris enrag'e du Constitutionnel, ou de l'Assembl'ee Nationale.
Si les amis de l'ordre romain ne provoquaient pas `a des massacres, c'est que le paganisme 'etait plus humain, plus tol'erant que les conservateurs hauts bourgeois et orthodoxes, c'est que Rome antique ne connaissait pas encore l'exp'edient catholique des Saint-Barth'el'emy, glorifi'e jusqu'`a nos jours par les fresques du Vatican. L'esprit est le m^eme; s'il y a une diff'erence, elle n'existe que dans les calculs et les individualit'es; c'est la diff'erence entre le rapporteur Bauchard et le rapporteur Pline, entre la cl'emence de C'esar Trajan, son horreur des d'enonciations, et la cl'emence de C'esar Cavaignac, qui ne partageait pas cette susceptibilit'e, et notez bien que cette diff'erence est un v'eritable progr`es: le pouvoir a tellement baiss'e, qu'un Pline ou un Trajan devient aujourd'hui impossible, `a la t^ete d'un Etat ou d'une comission d'enqu^ete.