Чтение онлайн

ЖАНРЫ

Том 7. О развитии революционных идей в России
Шрифт:

Le roman russe n'est que de l'anatomie pathologique; ce n'est qu'une constatation du mal qui nous ronge, une accusation continuelle de soi-m^eme, accusation sans r'epit ni mis'ericorde. Ici l'on n'entend point la voix douce descendue des ci eux, et qui annonce `a Faust le pardon de la jeune fille coupable. Ici l'on ne cherche pas de consolation; le doute, la mal'ediction, seuls 'el`event ici la parole. Et pourtant, si la Russie peut ^etre sauv'ee, elle le sera par ce sentiment profond de notre situation, et par le peu de soin que nous mettons `a le cacher devant le monde.

«Celui qui avoue franchement ses d'efauts, sent qu'il y a en l ii quelque chose qui 'echappe et r'esiste `a la chute; il comprend qu'il peut racheter son pass'e, et non seulement relever la t^ete, mais devenir, comme dans la trag'edie de Byron, Sardanapale le h'eros, de Sardanapale l'eff'emin'e».

Le peuple russe ne lit pas. Vous le savez bien, Monsieur, ce n''etait pas non plus le peuple d'es campagnes qui lisait les Voltaire et les Diderot; c''etaient la noblesse et une partie du tiers 'etat. La partie 'eclair'ee du tiers 'etat appartient en Russie `a la noblesse. Cette derni`ere se constitue de tout ce qui a cess'e d'^etre peuple; elle a m^eme un prol'etariat nobiliaire, qui se fond en partie dans l''el'ement populaire, et un autre prol'etariat affranchi qui remonte vers le haut et s'ennoblit. Cette fluctuation, ce va-et-vient continuel, imprime `a la noblesse russe un caract`ere que vous ne trouverez pas dans les classes privil'egi'ees du reste de l'Europe. En un mot, toute l'histoire russe, depuis Pierre Ier n'est que l'histoire de la noblesse et de l'influence que la civilisation europ'eenne a exerc'ee sur cette derni`ere. J'ajouterai ici que le-nombre de la noblesse en Russie, 'egale au moins la moiti'e du chiffre des 'electeurs en France, apr`es la loi du 31 mai.

Pendant le XVIIIe si`ecle, la litt'erature n'eo-russe poursuivait le proc`es de l''elaboration de cette langue riche, sonore et magnifique que nous 'ecrivons aujourd'hui, langage souple, 'energique, apte `a exprimer les id'ees les plus abstraites de la m'etaphysique allemande, et la phrase l'eg`ere, p'etillante d'esprit, de la conversation francaise. Cette litt'erature, 'eclose sous l'inspiration du g'enie de Pierre Ier, pr'esentait un caract`ere gouvernemental, il est vrai, mais gouvernemental alors signifiait r'eformateur, presque r'evolutionnaire.

Le tr^one imp'erial, jusqu'au moment de la grande R'evolution de 89, se drapait majestueusement dans les plus beaux plis de la civilisation et de la philosophie europ'eennes. Catherine II m'eritait qu'on lui repr'esent^at des villages en carton et des palais en planches fra^ichement badigeonn'ees; personne ne. connaissait mieux qu'elle l'art de la mise en sc`ene. Au palais de l'Ermitage s''etalaient `a l'envi Voltaire, Montesquieu, Beccaria. Vous connaissez, Monsieur, le revers de la m'edaille.

Cependant, un accent inattendu, 'etrange, commencait `a troubler le concert triomphal des apologies pindariques de la cour. Ce son, vibrant d'une ironie sarcastique, d'une tendance fortement prononc'ee vers la critique, vers le scepticisme, ce son, dis-je, 'etait le seul susceptible de vitalit'e, de d'eveloppement ult'erieur. Le reste, temporaire et exotique, devait n'ecessairement p'erir.

Le v'eritable caract`ere de la pens'ee russe po'etique ou sp'eculative, se d'eveloppe dans toute sa force depuis l'av`enement au tr^one de Nicolas. Le trait distinctif de ce mouvement, c'est une 'emancipation tragique de la conscience, une n'egation implacable, une ironie am`ere, un malheureux retour sur soi-m^eme. Un rire fou l'accompagne parfois, mais ce rire n'a en lui rien de gai.

Jet'e dans un milieu accablant, dou'e d'une grande sagacit'e, d'une logique fatale, le Russe s'affranchit brusquement de la religion et des moeurs de ses p`eres.

Le Russe 'emancip'e est l'homme le plus ind'ependant de l'Europe. Qui est-ce qui pourrait l'arr^eter? Serait ce le respect pour son pass'e?.. Mais l'histoire de la Russie nouvelle ne commen-ce-t-elle pas par une n'egation absolue de la nationalit'e et de la tradition?

Serait-ce cet autre pass'e ind'efini, la p'eriode de P'etersbourg peut-^etre? Ah, celui-l`a ne nous oblige `a rien;

«ce cinqui`eme acte d'une trag'edie sanguinaire jou'ee dans un lupanar» [61] nous 'emancipe, mais il ne nous impose aucune croyance.

61

Ainci aue l’a dit admirablement un collaborateur du journal Il Progresso,dans un article la Russe, publie le 1er ao'ut 1851.

D'un autre c^ot'e, votre pass'e `a vous, occidentaux, nous sert d'instruction, et voil`a tout; nous ne nous consid'erons nullement comme ex'ecuteurs testamentaires de votre histoire.

Vos doutes, nous les acceptons; votre foi ne nous 'emeut pas. Vous ^etes pour nous trop religieux. Vos haines, nous les partageons; votre attachement pour l'h'eritage de vos anc^etres, nous ne le comprenons pas; nous sommes trop opprim'es, trop malheureux pour nous contenter d'une demi-libert'e. Vous avez des m'enagements `a garder; des scrupules vous retiennent; nous autres, nous n'avons ni m'enagements, ni scrupules, mais la force nous manque pour le moment…

C'est de l`a, Monsieur, que nous vient cette ironie, cette rage qui nous exasp`ere, qui nous mine, qui nous pousse en avant, qui nouS conduit quelquefois en Sib'erie, `a la torture, en exil, `a une mort pr'ecoce. L'on se d'evoue sans aucun espoir; par d'ego^ut, parrinui… Il y a vraiment quelque chose d'insens'e dans notre vie, mais rien de banal, rien de stationnaire, rien de bourgeois.

Ne nous accusez pas d'immoralit'e parce que nous ne respectons pas ce que vous respectez. Depuis quand reproche-t-on aux enfants trouv'es de ne pas v'en'erer leur parents? Nous sommes libres, car nous commencons par nous-m^emes. Le traditionnel en nous, c'est notre organisme, c'est notre nationalit'e; ils sont inh'erents `a tout notre ^etre; c'est l`a notre sang, notre instinct, et nullement une autorit'e obligatoire. Nous sommes ind'ependants, car nous ne poss'edons rien; nous n'avons presque rien `a aimer; il y a de l'amertume, de l'offense dans chacun de nos souvenirs. La civilisation, la science, on nous les a tendues au bout d'un knout.

Qu'avons-nous donc `a d'em^eler avec vos devoirs traditionnels, nous, les mineurs, les d'esh'erit'es? Et comment pourrions-nous franchement accepter une morale fan'ee, une morale ni chr'etienne ni humaine, existant seulement dans les exercices de rh'etorique, et dans les r'equisitoires des procureurs? Quelle v'en'eration voudrait-on nous inspirer pour ce pr'etoire de votre justice barbaro-romaine, pour ces vo^utes lourdes, 'ecrasantes, sans air, sans lumi`ere, reb^aties au moyen ^age, et repl^atr'ees par les affranchis du tiers 'etat? Ce n'est peut-^etre pas l`a le guet-apens des tribunaux russes, mais qui pourrait nous prouver que c'est de la justice? Nous voyons clairement que la distinction entre vos lois et les oukases g^it principalement dans la l'egende du pr'eambule. Les oukases commencent par une v'erit'e accablante:

«Le tzar l'ordonne»; vos lois portent en t^ete le mensonge offensant de la triple devise r'epublicaine, l'invocation ironique du nom du Peuple francais. Le Code-Nicolas est dirig'e exclusivement contre les hommes et en faveur de l'autorit'e. Le Code-Napol'eon ne nous para^it pas avoir d'autre caract`ere. Nous tra^inons assez de cha^ines que la force nous a impos'ees pour les alourdir encore d'autres, dues `a notre Propre choix. Sous ce rapport nous nous trouvons parfaitement egaux `a nos paysans. Nous ob'eissons `a la force brutale; nous sommes esclaves parce que nous n'avons pas le moyen de nous affranchir-toutefois du camp ennemi, nous n'accepterons rien.

La Russie ne sera jamais protestante.

La Russie ne sera jamais juste-milieu.

La Russie ne fera pas de r'evolution, dans le seul but de se d'efaire du tzar Nicolas et d'obtenir, pour prix de sa victoire, des repr'esentants-tzars, des tribunaux-tzars, une police-tzare, des lois-tzares.

Nous demandons trop peut-^etre, et nous ne parviendrons `a rien. C'est possible, mais nous ne d'esesp'erons pas; la Russie avant 1848 ne pouvait, ne devait entrer dans la phase r'evolutionnaire: elle n'avait qu'`a faire son 'education, et elle Га fait en ce moment. Le tzar lui-m^eme s'en apercoit; aussi assomme-t-il `a coup de massue les universit'es, les id'ees, les sciences; il s'efforce d'isoler la Russie de l'Europe, de tuer la civilisation; il fait son m'etier.

R'eussira-t-il?

Je l'ai dit ailleurs: il ne faut pas se fier aveugl'ement `a l'avenir; chaque foetus a droit au d'eveloppement, mais chaque foetus ne se d'eveloppe pas pour cela. L'avenir de la Russie ne d'epend pas d'elle seule; il est li'e `a celui de l'Europe enti`ere. Qui pourrait pr'edire le sort du monde slave, lorsque la r'eaction et l'absolutisme auront vaincu la R'evolution en Europe?

Il p'erira peut-^etre, qui le sait?

Mais alors l'Europe p'erira aussi…

Et l'histoire continuera en Am'erique…

Поделиться с друзьями: