Том 7. О развитии революционных идей в России
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Пусть же он спокойно заснет последним сном, мученик, преданный двумя правительствами, у которых на пальцах осталась его кровь…
Слава имени его и мщение!.. Но где же мститель?.. И мы также погибнем на полпути, как он; но тогда вашим строгим и величавым голосом скажите еще раз нашим детям, что за ними остается долг…
Останавливаюсь на воспоминании об Бакунине и жму вам крепко руку, и за него и за себя.
Ницца, 22 сентября 1851.
Michel Bakounine*
Monsieur, Vous avez d'esir'e conna^itie quelques d'etails biographiques sur Bakounine. Je suis profond'ement sensible `a l'honneur que vous me faites en vous adressant `a moi et en me donnant l'occasion de parler de cet homme h'ero"ique avec lequel j'ai 'et'e tr`es li'e.
Puissent ces notes, 'ecrites `a la h^ate, vous servir `a lui faire une couronne de martyr; il est digne, Monsieur, d'en avoir une, tress'ee par vos mains.
Vous avez aussi exprim'e le d'esir d'avoir son portrait; avec le temps je parviendrai peut-^etre `a faire venir celui qui a 'et'e fait en Allemagne en 1843 et que j'ai vu en Russie. Il est assez ressemblant. En attendant, pour vous donner une id'ee des traits de Bakounine, je vous recommande les vieux portraits de Spinoza, qu'on trouve dans quelques 'editions allemandes de ses 'ecrits; il y a beaucoup de ressemblance entre ces deux t^etes.
Michel Bakounine est maintenant ^ag'e de 37 `a 38 ans.
Il est n'e d'une vieille famille aristocratique et dans une position 'egalement 'eloign'ee d'une grande richesse et d'une indigence g^enante. C'est le milieu dans lequel il y a le plus de lumi`ere et de mouvement en Russie. Pour vous donner, Monsieur, une id'ee de ce qui s'agite et fermente au fond de ces familles» si tranquilles `a la surface, il me suffira d''enum'erer le sort des oncles de Bakounine, des Mouravioff, auxquels il ressemblait beaucoup par sa haute taille un peu vo^ut'ee, par ses yeux bleu-clair, par son front large et carr'e, et m^eme par sa bouche assez grande.
Une seule g'en'eration de la famille des Mouravioff donna trois individus magnifiques `a l'insurrection du 14 d'ecembre (deux 'etaient parmi les membres les plus influents; l'un fut pendu par Nicolas, l'autre p'erit en Sib'erie), un bourreau aux Polonais, un procureur g'en'eral au Saint-Synode et, enfin, une 'epouse `a l'un des ministres de S. M.
On peut se figurer l'harmonie et l'unit'e qui r'egnent dans des familles compos'ees d''el'ements aussi h'et'erog`enes.
Michel Mouravioff, le gouverneur militaire de Vilna, aimait `a r'ep'eter:
Bakounine a pass'e son enfance dans la maison paternelle, `a Tver, et pr`es de cette ville dans les possessions seigneuriales de son p`ere. Celui-ci qui passait pour un homme d'esprit et m^eme pour un vieux conspirateur du temps d'Alexandre, ne l'aimait pas trop et se d'ebarrassa de lui, d`es qu'il l'a pu. 11 le placa dans une 'ecole d'artillerie `a P'etersbourg.
Les 'ecoles militaires en Russie sont atroces, c'est l`a que l'on forme, sous les yeux m^emes de l'empereur, les officiers pour son arm'ee. C'est l`a qu'on «brise l'^ame» aux enfants et qu'on les dresse `a l'ob'eissance passive. L'esprit vigoureux et le corps robuste de Bakounine pass`erent heureusement `a travers cette rude 'epreuve. Il finit ses 'etudes et fut admis au service, comme officier d'artillerie. Son p`ere voulant l''eloigner, fit, par l'interm'ediaire des g'en'eraux avec lesquels il 'etait li'e, passer son fils de P'etersbourg dans un parc cantonn'e dans le triste pays de la
Russie Blanche.
Le jeune homme d'ep'erissait dans cette existence ennuyeuse; il devint triste, m'elancolique, au point que ses sup'erieurs commencaient `a avoir des craintes s'erieuses sur l''etat de sa sant'e, et gr^ace `a cela, on ne s'opposa pas, lorsqu'une ann'ee plus tard il donna sa d'emission. Libre du service, contre le d'esir de son P`ere, sans liaisons, sans appui, sans argent, il vint `a Moscou. C''etait en 1836. Il 'etait comme perdu dans cette ville qui lui 'etait inconnue; il cherchait `a donner des lecons de math'ematiques, seule science qu'il connaissait un peu, et n'en trouvait pas. Heureusement, quelque temps apr`es, on le pr'esenta `a une dame que toute la jeunesse litt'eraire d'alors aimait et estimait beaucoup, `a Mme C. L'evachoff (on peut bien nommer cette sainte femme; il y a plus de dix ans qu'elle n'existe plus). C''etait une de ces existences pures, d'evou'ees, pleines de sympathies 'ele, v'ees et de chaleur d'^ame, qui font rayonner autour d'elles l'amour et l'amiti'e, qui r'echauffent et consolent tout ce qui s'approche d'elles. Dans les salons de Mme L'evachoff on rencontrait les hommes les plus 'eminents de la Russie, Pouchkine, Michel Orloff (non le ministre de la police, mais son fr`ere, le conspirateur), enfin, Tchaada"ieff, son ami le plus intime et qui lui a adress'e ses c'el`ebres lettres sur la Russie.
Mme L'evachoff devina par cette intuition sagace, particuli`ere aux femmes dou'ees d'un grand coeur, la forte trempe du caract`ere et les facult'es extraordinaires de l'ex-artilleur. Elle l'introduisit dans le cercle de ses amis. C'est alors qu'il rencontra Stank'evitch et B'elinnski, avec lesquels il se lia intimement.
Stank'evitch [75] le poussa `a l''etude de la philosophie. La rapidit'e avec laquelle Bakounine, qui ne connaissait alors que tr`es peu la langue allemande, s'assimilait les id'ees de Kant et de Hegel et se rendait ma^itre et de la m'ethode dialectique, et du contenu sp'eculatif de leurs 'ecrits, a 'et'e 'etonnante. Deux ann'ees apr`es son arriv'ee `a Moscou, ses amis 'etaient tellement devanc'es par lui, qu'ils s'adressaient ordinairement `a lui, lorsqu'ils trouvaient quelques difficult'es. Bakounine avait un don magnifique pour d'evelopper les th`eses les plus abstraites, avec une lucidit'e qui les mettait `a la port'ee de chacun et sans rien perdre de leur profondeur id'ealiste. C'est pr'ecis'ement le r^ole que je pr'etends ^etre celui qui est d'evolu au g'enie slave par rapport `a la philosophie; nous avons de grandes sympathies pour la sp'eculation allemande, mais nous aspirons encore plus vers la clart'e francaise.
75
J'ai parl'e de ce jeune homme remarquable, mort en Italie,dans
Шаbrochure: Sur les id'ees r'evolutionnaires en Russie, pages 30–31.Bakounine pouvait parler des heures enti`eres, disputer depuis le soir jusqu'au matin sans se fatiguer, sans perdre ni le fil dialectique de l'entretien, ni Г ardeur de la persuasion. Et il 'etait toujours pr^et `a commenter, 'eclaircir, r'ep'eter, sans le moindre dogmatisme. Cet homme 'etait n'e missionnaire, propagandiste, pr^etre. L'ind'ependance, l'autonomie de la raison, telle 'etait sa banni`ere alors, et, pour 'emanciper la pens'ee, 1 faisait la guerre `a la religion, la guerre `a toutes les autorit'es. Et comme chez lui l'ardeur de la propagande s'alliait `a un tr`es grand courage personnel, on pouvait d`es lors pr'evoir que, dans e 'epoque telle que la n^otre, il deviendrait un r'evolutionnaire fougueux, ardent, h'ero"ique. Toute, son existence n''etait qu'une oeuvre de propagande. Moine de l''eglise militante de la r'evolution, il allait par le monde pr^echant la n'egation du christianisme, l'approche du dernier jugement de ce monde f'eodal et bourgeois, pr^echant le socialisme `a tous et la r'econciliation aux Russes et aux Polonais. Il n'avait pas d'autre vocation dans sa vie, ni d'autre int'er^et; il 'etait compl`etement indiff'erent aux conditions ext'erieures de son existence.
Quittant sa patrie, Bakounine ne s'est jamais souci'e de ce qu'il abandonnait son h'eritage. Il n'a jamais pens'e comment il ferait pour d^iner le lendemain. Avait-il un peu d'argent – il le d'epensait, sans compter, follement; il le donnait `a d'autres. N'en avait-il pas? Cela n'abattait pas son courage, il en riait avec ses amis, il savait r'eduire sa vie `a presque rien, il se refusait tout, et non seulement il ne s'en plaignait pas beaucoup, mais en effet il souffrait moins que les autres, il acceptait le manque d'argent, comme une maladie.
Il 'etait jeune, beau, il aimait faire des pros'elytes parmi les femmes, beaucoup 'etaient enthousiasm'ees de lui, et pourtant aucune femme n'a jou'e un grand r^ole dans la vie de cet asc`ete r'evolutionnaire; son amour, sa passion 'etaient aillieurs.
J'ai fait la connaissance de Bakounine en 1839. Je revenais alors `a Moscou d'un premier exil et commencais `a travailler dans des 'ecrits p'eriodiques, dirig'es par B'elinnski, ami intime de Bakounine. Nous pass^ames ensemble une ann'ee. Bakounine me poussait de plus en plus dans l''etude de Hegel, je t^achais d'importer plus d''el'ements r'evolutionnaires dans sa science aust`ere.