Том 7. О развитии революционных идей в России
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L'automne de 1840 Bakounine quitta la Russie; il se rendit a Berlin pour terminer ses 'etudes. Seul de ses amis, j'allais le reconduire jusqu'`a Gronstadt. A peine le bateau `a vapeur fut-il sorti de la Neva, qu'un de ces ouragans baltiques, accompagnes de torrents d'une pluie froide, se d'echa^ina contre nous.
Force fut au capitaine de retourner. Ce retour fit une impression extr^emement p'enible sur nous deux. Bakounine regardait tristement comment le rivage de P'etersbourg, qu'il pensait avoir quitt'e pour des ann'ees, s'approchait de nouveau avec ses quais parsem'es de sinistres figures de soldats, de douaniers d'officiers de police et de mouchards, grelottant sous leurs parapluies us'es.
Etait-ce un signe, un avis providentiel?.. Une circonstance semblable retint Cromwell, lorsqu'il voulait s'embarquer pour J'Am'erique. Mais Cromwell quittait l'Old England et il 'etait au fond enchant'e d'avoir trouv'e un pr'etexte pour y rester. Bakounine quittait la nouvelle cit'e des tzars. Ah! Monsieur, il faut voir l'enthousiasme sans bornes, la joie, les larmes aux yeux, chaque fois qu'un Russe passe la fronti`ere de sa patrie et pense qu'il se trouve maintenant hors du pouvoir de son tzar!
Je montrai `a Bakounine l'aspect lugubre de P'etersbourg et je lui citai ces vers magnifiques de Pouchkine, o`u il jette les mots comme des pierres, sans les lier entre eux, en parlant de P'etersbourg:
Bakounine 'etonna d'abord par sa fougue, par ses talents et par la hardiesse des cons'equences qu'il osait accepter, les professeurs de Berlin; mais bient^ot il s'ennuya et rompit avec le qui'etisme de la science allemande. Bakounine ne voyait d'autre moyen de r'esoudre l'antinomieentre la pens'ee et le fait, que la lutte, et il devint de plus en plus r'evolutionnaire. Il fut au nombre des jeunes litt'erateurs qui protest`erent dans les Annales de Halle, dirig'ees par Arnold R"uge, contre la mani`ere st'erile, aristocratique et inhumaine des professeurs allemands de comprendre la science, contre leur fuite dans les sph`eres de l'absolu, contre leur abstention sans coeur qui ne voulait participer en rien aux fatigues de l'homme contemporain
Les articles de Bakounine, 'ecrits avec beaucoup de verve et de hardiesse, 'etaient sign'es Jules Elysard. Au reste il 'ecriait tr`es peu et travaillait difficilement quand il fallait recourir `a la plume.
En 1843 Bakounine, poursuivi par les r'eactionnaires suisses, fut d'enonc'e par l'un d'eux, Bl"untchli, et recut aussit^ot la sommation de rentrer en Russie. Bl"untchli, journaliste et membre du gouvernement `a Zurich, lors de l'affaire du communiste Weitling, compromit une quantit'e de personnes. Ayant entre ses mains les dossiers de Weitling et de ses amis, il fit une brochure, o`u il rendit public tout ce qu'il devait garder secretr comme magistrat. Il n'y avait aucune lettre adress'ee `a Bakounine ou adress'ee par lui `a Weitling, mais dans je ne sais quel billet Weitling parlait de Bakounine, socialiste russe. Cela a suffi `a Bl"untchli. Apr`es cette d'enonciation il 'etait impossible de rentrer; Bakounine refusa par cons'equent d'obtemp'erer `a l'ordre imp'erial. Alors le tzar le fit juger par son S'enat; on le condamna `a la perte de tous ses titres et `a la d'eportation perp'etuelle des qu'il rentrerait «pour avoir d'esob'ei aux ordres de S. M. et pour avoir tenu une conduite inconvenante `a un officier russe». Bakounine remercia l'empereur par une lettre qu'il fit ins'erer dans les journaux de Paris, o`u il vint se fixer, de lui avoir retir'e ses titres de noblesse.
Exil'e une seconde fois apr`es le d'epart de Bakounine, je n'ai trouv'e les moyens et la possibilit'e de quitter la Russie qu'au commencement de l'ann'ee 1847, et c'est alors que je l'ai revu a Paris. Il menait une vie retir'ee, ne voyait que quelques amis russes et polonais; il fr'equentait Proudhon et allait parfois chez Mme George Sand. Il 'etait fatigu'e, plus triste qu'en Russie, mais 'etait bien loin du d'esespoir; le temps 'etait lourd en 1847. „Expuls'e de Paris apr`es son discours `a l'anniversaire de la ^volution polonaise en 1847, il alla `a Bruxelles. Le 24 f'evrier i ouvrit les portes de la France, d'une grande carri`ere et de la prison 'eternelle. Bakounine rajeunit et se sentit pour la pre-»ere fois dans la possibilit'e de d'evelopper toutes ses forces et toute son activit'e 'energique.
Il quitta Paris au mois de mars 1848 pour porter ses conseil sa parole aux Slaves autrichiens. Chemin faisant, il rencontra' dans la For^et Noire, une commune de paysans en pleine insurection, allant prendre le ch^ateau. Bakounine se souviem de son 'etat d'artilleur, leur enseigne les mouvements et les dispositions n'ecessaires pour prendre le ch^ateau, leur donne des instructions et remonte dans la voiture pour continuer sa route.
Lorsque Bakounine vint `a Prague, il y trouva le congr`es slave d'ej`a r'euni. Pr'esent'e par un d'eput'e de la Galicie, il fU[invit'e `a prendre part aux travaux de ce premier concile d'une nationalit'e qui se r'eveillait enfin, apr`es des si`ecles de l'ethargie. On y parlait toutes les langues slaves, il ne manquait qu'une seule, la langue russe. Personne au monde ne pouvait mieux repr'esenter l'id'ee r'evolutionnaire de la petite minorit'e de sa patrie que Bakounine, lui Russe, ami des Polonais, arm'e de tout ce que la science allemande pouvait donner, et socialiste, comme les hommes les plus avanc'es de la France. Bakounine, d`es son apparition, acquit une influence immense et tr`es populaire. Son ext'erieur noble et tout `a fait slave, son 'energie, son caract`ere ouvert, sa parole claire et profonde, ralli`erent autour de lui les hommes effectivement r'evolutionnaires de la Boh`eme et les Slaves autrichiens.
Vous connaissez, Monsieur, l'histoire de la r'evolution de Prague. C'est l'histoire typique de toutes les r'evolutions, 'ecloses `a la suite du 24 f'evrier. Victoires faciles au commencement, les vainqueurs se sentant profond'ement indignes d'^etre vainqueurs, une foi aveugle aux concessions hypocrites du pouvoir, discussions oiseuses et formalit'es, perte de temps, prise d'armes inopportune et d'efaite compl`ete.
Windichgraetz 'etait enchant'e des barricades `a Prague, tout comme Marrast et Cavaignac l'ont 'et'e le 22 juin 1848 `a Paris. Il bombarda la ville pendant six jours. D`es le commencement du combat Bakounine descendit dans la rue, mais `a la fin il u
У avait rien `a faire. Windichgraetz devait 'ecraser par les canons et les masses. La population montrait des sympathies autrichiennes. Bakounine abandonna la ville, lorsque la d'efaite 'etait consomm'ee et alla attendre de meilleurs jours `a Dessau.Jamais dans aucun pays on n'a vu un spectacle plus ignoble, l^ache, que celui que donnaient au peuple allemand leurs gouvermants en 1849. Louis-Napol'eon, Pie IX sont des h'eros de Dit'e de franchise et de loyaut'e `a c^ot'e de ces mis'erables Habsburg et Hohenzollern avec leurs coll`egues de Saxe, Wurtemberg, Hesse, Bade, etc. Le spectacle de ces trahisons, de ces parjures, petites cruaut'es `a la fois sanguinaires et mesquines, qui indign`erent Pask'evitch en Hongrie, rendit furieux les derniers hommes libres en Allemagne, qui n'avaient pas fl'echi devant la r'eaction; on 'etait plus qu'indign'e: le coeur se remplissait d'un d'esir insurmontable de vengeance et de repr'esailles. Les monstruosit'es commises par les Prussiens dans le duch'e de Bade, par exemple, 'etaient telles, que j'ai entendu de braves bourgeois allemands, qui, leur vie enti`ere, n'ont jamais os'e penser `a contester les droits des rois et des grands, me dire, p^ales et tremblants de rage: «Ah! si un jour nous pouvions 'etrangler de nos mains un officier prussien!» Le parti r'evolutionnaire, sous cette influence nerveuse et f'ebrile, avec l'exaltation du d'esespoir et de l'offense, tenta un supr^eme effort `a Dresde.
Bakounine 'etait l`a, triste, irrit'e; il n'en pouvait plus, comme le montrait une lettre qu'il adressa `a un de ses amis de Ko then avant la r'evolution de Dresde. D`es que le mouvement se prononca `a Dresde, il apparut sur les barricades, on l'y connaissait et on l'y aimait beaucoup.
Un gouvernement provisoire fut constitu'e. Il vint lui offrir ses services. Plus 'energique que ses amis, sans ^etre investi d’un commandement formel, il devint le chef militaire de la ville assi'eg'ee. C'est l`a qu'il manifesta non seulement un courage, mais aussi une pr'esence d'esprit h'ero"iques, imperturbables.
Lorsqu'il apprit que les soldats du roi n''etaient pas bien decid'es `a massacrer leurs fr`eres, qu'ils avaient des scrupules,qu’ils m'enageaient m^eme les 'edifices, Bakounine proposa de mettre les chefs-d'oeuvre de la galerie de Dresde sur les murs et barricades. Cela aurait effectivement arr^et'e les assi'egeants. «Et s'ils tirent?» – r'epliqu`erent les membres de la municipalite. «Tant mieux, laissez-leur l'infamie de cette barbarie. La municipalit'e esth'etique ne le voulut pas. C'est ainsi qu'une s'erie de mesures r'evolutionnaires et terroristes, prpos'ees par Bakounine, fut rejet'ee.