L'agent secret (Секретный агент)
Шрифт:
— Monsieur le commissaire, il y a un inspecteur de la S^uret'e qui vous demande d’urgence… il affirme que vous l’avez fait appeler ?…
— Qu’il entre !…
Le personnage que l’agent annonca sous cette qualit'e toujours impressionnante : « Inspecteur de la S^uret'e » 'etait `a peine apparu dans l’encadrement de la porte que le commissaire de police se leva et, les deux mains tendues, s’avanca vers lui :
— Vous, Juve ! Ah ! je suis content de vous voir… Comment allez-vous ?
C’'etait, en effet, le c'el`ebre inspecteur, le policier Juve que les hasards du service amenaient au commissariat de police ! Juve n’avait gu`ere chang'e. C’'etait toujours le m^eme homme, un peu trapu, un peu fort, mais 'etonnamment vif, agile, rest'e jeune, malgr'e sa moustache grisonnante, malgr'e la voussure des 'epaules qui, par moments, semblaient plier sous le poids des fatigues pass'ees…
— Juve !
Lorsque `a la suite de la terrible affaire Dollon, connue dans le public sous le nom de
Depuis lors, rien n’avait pu le mettre sur la piste de Fant^omas. Aucun crime ne s’'etait produit dans des circonstances pouvant permettre de supposer la participation de l’insaisissable meurtrier…
Le policier commencait `a se demander si, bien que n’ayant pas 'et'e assez heureux pour arr^eter ce roi des assassins, ce g'enie du crime, il n’avait pas toutefois r'eussi, en le d'emasquant une fois encore, `a l’obliger `a la fuite, `a le mettre dans l’impossibilit'e de nuire ?…
C’'etait du moins ce qu’il disait, ce qu’il pr'etendait, ce qu’il s’efforcait de persuader `a ses chefs, qu’il tentait de faire consid'erer comme vrai par l’opinion publique qui, sachant que Juve 'etait un h'eros, continuait `a se passionner pour ses moindres faits et gestes.
Rapidement le commissaire du quartier Wagram mit l’inspecteur au courant des incidents qui l’avaient conduit `a t'el'ephoner `a la Pr'efecture :
— Vous comprenez, mon cher Juve, fit-il, que d`es que je m’apercus que ce malheureux officier portait dans sa serviette des documents secrets, int'eressant la D'efense Nationale, je ne me suis pas souci'e de confier cela `a un agent ordinaire. C’est pourquoi je me suis permis de demander `a la Pr'efecture…
Juve interrompit le magistrat :
— Vous avez bien fait, monsieur le commissaire, de pareilles choses sont excessivement graves et on ne saurait trop prendre de pr'ecautions. Vous avez la serviette de ce mort ?
— La voici, mon bon ami…
Juve se saisit du portefeuille et l’ouvr^it :
— On ne sait jamais ce qui peut arriver, d'eclara-t-il, si vous le voulez bien, monsieur le commissaire, je m’en vais dresser un bordereau des pi`eces que vous me remettez, je vous laisserai ce bordereau et j’en prendrai un double que je donnerai contre recu au bureau de l’'Etat-Major… De la sorte ma propre responsabilit'e ainsi que la v^otre seront parfaitement d'egag'ees…
Juve et le commissaire s’occupaient depuis quelques minutes `a ce rapide travail de d'epouillement, lorsque soudain, l’inspecteur se leva, et tenant un papier `a la main, marchait de long en large dans le cabinet du commissaire de police, puis se tournant vers le magistrat, interrogeait :
— Vous avez lu cela ?
— Quoi donc ? Non…
— Lisez-le…
Le magistrat prenait le document que lui tendait l’inspecteur. Il lut :
« 'Etat des pi`eces qui m’ont 'et'e soumises par le Deuxi`eme Bureau de l’'Etat-Major dont j’ai sign'e le recu et que je m’engage `a rapporter et `a remettre contre d'echarge au Deuxi`eme Bureau de l’'Etat-Major, le lundi 7 novembre…
»— Eh bien ? interrogea-t-il…
— Eh bien, reprit Juve, comparez les documents qui sont mentionn'es sur cette liste, monsieur le commissaire, avec ceux qui se trouvent dans cette serviette… ce sont les m^emes…
— Naturellement ! ce sont les m^emes ! je le pense bien… cela prouve tout simplement, j’imagine, que cet officier est mort au moment o`u il se rendait `a son bureau pour restituer les papiers et documents qui lui avaient 'et'e confi'es ? Que voyez-vous de surprenant `a cela ?
Juve hocha la t^ete :
— Je vois, fit-il, – il donnait ainsi sans s’en douter une extraordinaire preuve du flair merveilleux dont il 'etait dou'e, – je vois, monsieur le commissaire, que ce que je craignais est vrai… oui, cette liste est bien celle des documents qui sont contenus dans cette serviette, mais…
— Mais quoi ?…
— Mais il en manque un…
Les deux hommes, f'ebrilement, compuls`erent les papiers du capitaine Brocq. Juve avait dit vrai : il manquait en effet un plan, le document N° 6…
— Sapristi… murmura le commissaire, pourvu que cela ne fasse pas encore un scandale d'esagr'eable… Comment savoir si ce document a 'et'e perdu en voiture, s’il a d'ej`a 'et'e restitu'e par le capitaine, ou bien si…
— Ou bien s’il a 'et'e vol'e, ponctua la voix de Juve.
Et la supposition que le policier formulait ainsi – lui qui ne pouvait se douter cependant des craintes que le capitaine Brocq avait eues pendant ses derni`eres minutes de vie, – 'etait si grave, si terrible, si lourde de cons'equences, que le commissaire de police, a son tour, se prit `a trembler :
— Vol'e ! r'ep'eta-t-il, vol'e, mais par qui ? O`u ? Comment ? dans le trajet de la place de l’'Etoile, ici ? pendant qu’on amenait le mort au commissariat ?… Juve, c’est invraisemblable…
Le policier, se promenait toujours dans le cabinet du commissaire de police, le front soucieux, la mine inqui`ete :
— Je n’aime pas ces histoires-l`a, d'eclara-t-il, toutes les affaires o`u sont m^el'ees des officiers et surtout des officiers du Deuxi`eme Bureau, sont terriblement d'elicates… On ne sait jamais o`u elles peuvent vous conduire… ces officiers-l`a, voyez-vous, monsieur le commissaire, ce sont, en v'erit'e, de par leurs fonctions, les ma^itres de toute la d'efense militaire de la France… et dame !…
Juve s’interrompit brusquement, puis questionna :
— Dites-moi, je pourrais voir le corps de ce pauvre homme ?
— Certes… mais que voulez-vous chercher ?
Le commissaire de police guida Juve vers une des salles du commissariat o`u le cadavre du capitaine Brocq gisait 'etendu sur le sol. Des mains pieuses avaient allum'e une bougie et, 'etant donn'e la qualit'e du disparu, deux gardiens de la paix veillaient, attendant que l’on v^int r'eclamer le d'efunt…