L'agent secret (Секретный агент)
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— Vous me disiez tout `a l’heure que le professeur Barrel, de l’Acad'emie de M'edecine, s’'etait trouv'e par hasard pr'esent au moment du d'ec`es ?… demanda Juve.
— En effet…
— `A quelle cause attribue-t-il la mort ?
— Tiens, c’est vrai, je n’y pensais plus, vous allez peut-^etre me renseigner, mon cher Juve. Le professeur pr'etend que la mort est due `a un ph'enom`ene d’inhibition… qu’est-ce que cela signifie inhibition ?
— Inhibition… dit-il, peuh !… c’est un mot savant, un mot tr`es savant…
— Qui veut dire ?
— Qui ne veut rien dire… Parfaitement ! ca ne veut rien dire, dit-il… inhibition, c’est l’'etiquette dont on catalogue toutes les morts que l’on ne peut pas expliquer… Rigoureusement, cela se traduirait :
— De sorte, Juve, que vous concluez que M. le professeur Barrel a d'eclar'e que cet officier 'etait mort par inhibition, parce qu’en fait il ignorait de quoi il 'etait mort ?
— Exactement…
Juve s’'etait agenouill'e sur le sol et pench'e sur le cadavre, il l’examinait.
— Que cherchez-vous donc, Juve ?
— La cause de cette inhibition…
— Vous ne trouvez rien ?
Juve soudain se releva, et, se tournant vers les agents commanda :
— D'eshabillez-moi ce mort !
— Pour quoi faire ?
— C’est utile pour votre rapport.
— Allons donc ! en quoi ?
— Pour ca, fit-il, d'esignant du doigt la jaquette de l’officier…
— Ca ? quoi ca ?… Je ne vois rien !
— Vous ne voyez rien, d'eclara-t-il, parce que vous regardez mal… tenez, monsieur le commissaire, penchez-vous et consid'erez de pr`es cette petite 'eraflure du drap…
— Oui, eh bien ?
— Eh bien, cela ne vous dit rien ?
— Non, ma foi !
— D'eshabillez-moi ce cadavre !
Puis, se tournant vers le commissaire, il ajouta :
— Cela me dit, `a moi, que cet homme a 'et'e tu'e d’un coup de fusil ou d’un coup de revolver !…
— Allons donc !
— Vous allez voir…
— Le v^etement n’est pas trou'e…
Juve se prit `a sourire :
— Monsieur le commissaire, dit-il, vous ne devriez pas ignorer que les armes `a grande p'en'etration, tirant des projectiles de faible diam`etre, des projectiles ray'es, occasionnent, dans les 'etoffes que leurs balles traversent, des d'eg^ats presque imperceptibles. Maintes exp'eriences l’ont montr'e : un v^etement de drap peut ^etre, dans certaines conditions, travers'e par trois ou quatre balles d’un diam`etre inf'erieur `a six millim`etres sans que cependant il semble seulement avoir 'et'e effleur'e… le passage du projectile, voyez-vous, est si rapide, son mouvement giratoire si acc'el'er'e, que les fils du tissu sont en quelque sorte, non pas rompus, mais 'ecart'es… ils se resserrent apr`es le passage de la balle et l’on peut parfaitement ignorer, `a moins d’un examen tr`es attentif, comme celui auquel je viens de me livrer, qu’un projectile les a trou'es… d’ailleurs…
Juve, du doigt, montra au commissaire de police les deux agents occup'es `a d'ev^etir le cadavre.
`A peine eurent-ils entreb^aill'e le gilet de l’officier, que la chemise du malheureux 'etait apparue `a l’endroit du coeur, tach'ee de sang.
Juve s’'etant rapproch'e, continua ses explications :
— C’est bien ce que je disais, une balle de petit diam`etre, anim'ee d’une formidable puissance de p'en'etration a caus'e la mort imm'ediate en produisant une blessure qui n’a presque pas saign'e, tant la plaie a 'et'e faite de facon nette et pr'ecise…
Juve `a nouveau se penchait sur le cadavre :
— Voyez, r'ep'etait-il, cet officier est bien mort d’une balle, d’une balle en plein coeur.
Le commissaire de police cette fois protesta :
— Mais c’est 'epouvantable et c’est inadmissible ce que vous nous racontez l`a, Juve ! comment cet homme aurait-il pu se suicider sans que personne s’en soit apercu ? sans que personne ait retrouv'e son revolver ? et cela au moment m^eme o`u il se penchait par la porti`ere pour donner des indications `a son chauffeur !
Juve ne semblait point dispos'e `a r'epondre…
Apr`es quelques minutes de silence, toutefois, il prit famili`erement le bras du commissaire de police, et l’entra^inant :
— Voulez-vous que nous revenions dans votre cabinet, demanda-t-il, j’ai deux mots `a vous dire ?…
Et quand le magistrat et l’inspecteur de la S^uret'e eurent p'en'etr'e dans la pi`ece, quand ils furent seuls, quand le policier se fut assur'e que la double porte `a tambour 'etait bien ferm'ee et que nul ne pouvait les entendre, Juve, les deux mains appuy'ees sur le bureau, regardant bien en face le commissaire de police, qui, assis dans son fauteuil, attendait qu’il pr^it la parole, commenca :
— Monsieur le commissaire, nous sommes bien d’accord, n’est-ce pas, sur les conditions de l’accident ?… cet officier est mort d’une balle au coeur, alors qu’il passait en voiture place de l’'Etoile, et au moment pr'ecis o`u il se penchait par la porti`ere, cela, sans que personne ait rien vu, ou entendu ?
— Oui, Juve, c’est bien cela… ce suicide est incompr'ehensible !
— Ce n’est pas un suicide, monsieur le commissaire…
— Qu’est-ce donc ?
— Un crime !
— Un crime ? mais vous ^etes fou !
— Cet homme a 'et'e tu'e d’un coup de fusil tir'e de loin… d’un coup de fusil, car un revolver n’aurait certainement point permis de viser avec une aussi grande pr'ecision… d’un coup de fusil tir'e de loin, car nul n’a vu le geste de l’assassin et pourtant la place de l’'Etoile 'etait encombr'ee de monde… d’un coup de fusil tir'e de loin encore, parce que, monsieur le commissaire, il y a quelque chose que vous oubliez, et qui cependant a son importance… Ce mort est un officier, un officier attach'e au Deuxi`eme Bureau, un officier qui 'etait porteur au moment de son d'ec`es, de pi`eces importantes dont une fait d'efaut. Il y a eu crime, et le motif est 'evident.
Atterr'e, le commissaire de police consid'era Juve, en articulant non sans peine :
— Mais c’est impossible, absolument impossible, je vous le r'ep`ete, Juve, ce que vous inventez l`a. Vous oubliez qu’un coup de fusil, le coup de fusil d’une arme assez puissante, cela fait du bruit… que diable, on entend la d'etonation…
— Non, monsieur le commissaire ! il y a maintenant des armes parfaitement silencieuses, des fusils `a l’acide carbonique liqu'efi'e, par exemple, qui envoient `a plus de huit cents m`etres un projectile, sans que l’on entende autre chose qu’un claquement sec au moment du d'epart de ce projectile…