La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Poursuivant brusquement ses investigations, cherchant toujours `a donner une explication au myst`ere invraisemblable qu’il 'etudiait, Juve ajouta :
— Autant qu’on peut en juger d’ailleurs, 'etant donn'ee la disposition des lieux, il est vraisemblable qu’un homme seul a pu hisser le cadavre par ce petit escalier. Ceci conduirait `a conclure que Mme Borel n’est pas, ne peut pas ^etre l’assassin, qu’elle serait plut^ot la victime.
Par acquit de conscience, Juve, une derni`ere fois, entreprit le tour du logis dramatique et, soudain, en se baissant pour examiner, au premier 'etage, le dessous d’un grand divan, il fit une d'ecouverte extraordinaire :
— Monsieur le procureur, appela Juve, montez donc. Voyez ce que je trouve. Un revolver, un revolver d’ordonnance, un revolver de soldat. Oh, oh, est-ce que, par hasard, le spahi que nous avons vu… ?
Juve s’interrompit, il r'efl'echit quelques minutes, puis, `a br^ule-pourpoint, et de la meilleure foi du monde il interrogea le procureur de la R'epublique.
— Dites-moi, demandait-il, ce Martial Altar`es, ce jeune homme que nous avons vu tout `a l’heure, ce militaire qui est si furieux contre son beau-fr`ere, vous a-t-il fait une bonne ou une mauvaise impression ?
— Une impression d'etestable.
6 – LA SOIR'EE DU BEDEAU
Cinq heures sonn`erent `a une horloge lointaine. Le dormeur s’'eveilla dans sa chambre de la rue de Vaugirard.
Les premiers mots qui s’'echapp`erent de ses l`evres furent des jurons :
— Ah nom de Dieu de nom de Dieu !
Il commenca une phrase, mais celle-ci s’interrompit par suite d’un b^aillement formidable qui menacait de d'ecrocher la m^achoire de l’homme si soudainement arrach'e au sommeil. Il grogna, toussa, puis, s’'etant assis sur son grabat, ayant regard'e autour de lui d’un air ahuri, 'etonn'e, il cracha sur le parquet. Le r'eveil de cet ^etre r'epugnant n’avait vraiment rien pour charmer. Depuis l’aube il avait dormi du sommeil de la brute pendant toute la matin'ee, l’apr`es-midi, et maintenant `a cinq heures du soir il semblait encore abruti par l’alcool de la veille.
Cet homme d’^age m^ur 'etait connu dans le quartier sous le sobriquet du Bedeau. Le Bedeau. C’'etait une c'el'ebrit'e de mauvais aloi, une c'el'ebrit'e tout de m^eme. Depuis plusieurs ann'ees d'ej`a, le sinistre individu qui devait son surnom `a la facon adroite et brutale avec laquelle il savait 'etourdir les passants en leur frappant le cr^ane contre le bord du trottoir, 'etait en effet l’un des personnages les plus redout'es de la bande d’apaches dont Fant^omas avait fait ses collaborateurs, ses amis.
Le Bedeau, toutefois, depuis quelques semaines, semblait s’^etre retir'e du monde. Il vivait dans une retraite discr`ete et semblait fort soucieux de passer inapercu, tout au moins dans la journ'ee. Le soir, lorsqu’il 'etait rest'e dans sa chambre jusqu’`a l’heure du cr'epuscule, il en sortait et se rendait chez les marchands de vins et dans les bars, o`u il buvait chopines et liqueurs jusqu’`a complet 'epuisement de ses ressources. Il rentrait abominablement ivre et couchait soit chez lui, soit sur le pas de sa porte, voire m^eme en travers de l’escalier, lorsqu’il ne parvenait pas `a le gravir. Ce soir-l`a, le Bedeau `a peu pr`es r'eveill'e, sortit brusquement de son lit et se pr'ecipita vers une minuscule table de toilette qui occupait un angle de son logement. Il empoigna le pot `a eau `a deux mains, le vida `a moiti'e :
— Ah nom de Dieu, soupira-t-il, `a demi suffoqu'e par cette rapide absorption, ca fait du bien tout de m^eme, j’avais la gueule en feu.
Avec des gestes machinaux l’homme passa son pantalon, puis ses chaussures et entreb^ailla la fen^etre qui donnait sur la cour int'erieure du vaste immeuble dont il 'etait le locataire.
Il appela d’une voix rauque :
— La M`ere Toulouche !
La M`ere Toulouche, cette vieille receleuse qui n’'etait d’ailleurs pas `a un crime pr`es, elle non plus, 'etait depuis quelque temps devenue la voisine du Bedeau. Par le seul fait d’ailleurs du hasard, la vilaine femme 'etait venue s’installer dans la m^eme maison que l’apache. La M`ere Toulouche cependant n’avait pas r'epondu `a l’appel du Bedeau. Celui-ci la h'ela une seconde fois, puis s’accoudant `a l’appui de sa fen^etre, baissa les yeux et d’un oeil distrait regarda par les crois'ees ouvertes dans la direction du logement de la vieille receleuse. Le Bedeau habitait au sixi`eme et, par cons'equent, dominait les autres 'etages. Ces logements, pour la plupart occup'es par des ouvriers, 'etaient vides, et le Bedeau instinctivement songeait que rien ne serait plus facile que de s’y introduire. Ah oui, il se rappelait, en effet, qu’il n’avait plus d’argent et que la fin de la semaine 'etait toute proche, ce qui signifiait pour lui qu’il allait falloir allonger une thune `a la concierge sous peine d’^etre expuls'e le lendemain, sans autre forme de proc`es. Mais le Bedeau se ravisa :
— Ce sont tous des pur'ees qui habitent l`a, grommela-t-il, pas la peine de se donner du mal pour trouver peau de balle et balai de crin dans l’armoire.
Il appela encore d’une voix plus assur'ee, plus forte :
— La M`ere Toulouche !
« Zut, la vieille a disparu, voil`a trois jours qu’on n’a pas de ses nouvelles, s^ur qu’elle s’est encore fait poisser. Et moi qui comptait sur elle pour qu’elle me refile un peu de p`eze, je suis vert, bien vert.
En effet, depuis quelque temps rien ne lui r'eussissait et malgr'e sa superbe indiff'erence il commencait `a r'efl'echir sur la situation, `a s’inqui'eter s'erieusement. Le Bedeau n’avait pas la conscience tranquille. Une quinzaine de jours auparavant, sur les instances de sa ma^itresse Fleur-de-Rogue, il avait indiqu'e `a celle-ci une facon s^ure et certaine de se venger de la fille de Fant^omas dont Fleur-de-Rogue 'etait terriblement jalouse.
Or, les jours s’'etaient 'ecoul'es et il n’'etait revenu personne.
D’autre part, le Bedeau en lisant les faits divers des journaux, la seule chose d’ailleurs, qui l’int'eressait, avait appris que l’enfant de Blanche Perrier, emmen'e par H'el`ene et Fleur-de-Rogue, avait 'et'e rendu `a sa grand-m`ere par une femme inconnue dont le journal ne pr'ecisait pas le signalement.
Le Bedeau, d`es lors, intrigu'e par ces aventures, par l’absence totale de renseignements sur l’affaire de la Bicoque, avait vu son inqui'etude grandir. Il redoutait un malheur. Il savait Fleur-de-Rogue, sa ma^itresse terriblement audacieuse, mais il n’ignorait pas que la fille de Fant^omas savait se d'efendre. Laquelle des deux femmes avait triomph'e ? Le Bedeau, au premier abord, souhaitait que la victoire e^ut 'et'e du c^ot'e de Fleur-de-Rogue, car apr`es tout il aimait cette femme, se laissait volontiers aimer par elle et b'en'eficiait de son intelligence, de son activit'e pour vivre, sans se pr'eoccuper des d'etails de l’existence quotidienne. Mais, d’autre part, le Bedeau, lorsqu’il y avait r'efl'echi seul `a seul avec lui-m^eme, s’'etait effray'e de l’audacieuse tentative, de la terrible r'esolution prise par sa ma^itresse.
Fleur-de-Rogue n’y allait pas par quatre chemins. Elle 'etait partie en d'eclarant qu’elle ferait son affaire `a H'el`ene, elle en 'etait fort capable apr`es tout. Mais s’attaquer `a H'el`ene, c’'etait en somme provoquer Fant^omas et tuer la fille du bandit, c’'etait attirer sur soi la vengeance du G'enie du Crime, du Ma^itre de l’Effroi.
Depuis quarante-huit heures le Bedeau, surtout lorsqu’il 'etait d'egris'e, vivait dans une perp'etuelle angoisse. `A chaque instant, il redoutait de voir devant lui l’effrayante silhouette de Fant^omas et il se sentait `a son 'egard si coupable qu’il se rendait compte que le Ma^itre se lasserait de lui pardonner. Et puis surtout, 'ev'enement bien fait pour le rendre lugubre et pour assombrir son esprit, le Bedeau n’avait plus d’argent, il ne savait plus comment s’en procurer, son gagne pain, sa ma^itresse, n’'etant plus l`a pour le faire vivre.
— Zut apr`es tout, grommela-t-il, faut que ca finisse, j’en ai assez de ce truc-l`a et je m’en vais agir.
Avec lassitude, le Bedeau acheva de se v^etir, passait une serviette mouill'ee sur ses joues que salissait une barbe hirsute, puis, ayant jet'e une casquette sur son cr^ane d'enud'e, il descendit, les mains dans les poches, se dandinant `a son habitude. Il gagna par la rue de Vaugirard les abords de l’avenue du Maine.
La nuit tombait, les r'everb`eres et les boutiques s’illuminaient. Le Bedeau, apr`es avoir fl^an'e quelques instants le long des trottoirs, 'etait revenu sur ses pas, comme quelqu’un qui h'esite sur ce qu’il va faire. Brusquement, il avait quitt'e l’avenue pour s’engager dans une ruelle 'etroite et sombre, au fond de laquelle se trouvait un cabaret c'el`ebre dans le monde des souteneurs et des pierreuses, qui s’appelait Au Drapeau.
— Salut, m’sieu, dames, fit le Bedeau de sa voix 'eraill'ee, lorsqu’il franchit le seuil du cabaret.
Le Bedeau toucha sa casquette et en m^eme temps fut pris d’une effroyable quinte de toux provoqu'ee par l’^apret'e des vapeurs d’alcools et par la fum'ee de tabac qui empuantissaient la salle basse de l’antre o`u il venait de s’introduire.
Il y avait d'ej`a pas mal de monde dans l’'etablissement et instinctivement le Bedeau cherchait des yeux un visage connu, une physionomie amie pour pouvoir aller s’installer aupr`es d’elle, lorsqu’il s’entendit interpeller :