La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Delphine s’approcha d’eux, les mains tendues.
— Tout est-il pr^et ? demanda-t-elle.
Les deux hommes s’inclin`erent respectueusement, l’un d’eux prit la main de la jeune femme dans la sienne, la porta `a ses l`evres.
Ce galant interlocuteur r'epondit avec un fort accent espagnol :
— Tout est pr^et, se~nora, vous pouvez compter sur nous.
Il disait quelques mots `a son compagnon qui hochait la t^ete affirmativement, puis les trois personnages se rapproch`erent du mur du pavillon de chasse, et s’entretinrent longuement.
Ils ne parlaient plus francais mais basque et semblaient discuter avec animation. L’entretien toutefois ne dura pas longtemps. Delphine fit volte-face, quitta ses interlocuteurs :
— Il faut que je rentre, d'eclara-t-elle.
Puis, se remettant `a parler francais, elle ajouta :
— Je serai exacte, mais ayez bien soin de faire comme je vous l’ai dit.
L’un des deux hommes sourit en d'ecouvrant une ligne nacr'ee de fort jolies dents et dit :
— Soyez certaine, se~nora, que nous agirons avec la plus grande brusquerie, les cris, les plaintes ne nous feront pas peur.
L’autre surench'erit, roulant les r terriblement :
— Au contraire, il en faut, nous donnerons tout le temps voulu pour qu’on puisse les entendre.
— `A tout `a l’heure, r'ep'eta Delphine.
— Dans combien de temps ?
— Un quart d’heure, vingt minutes peut-^etre, sit^ot mon fr`ere parti, ce qui ne peut tarder car il doit prendre le train de dix heures quarante-cinq pour Bayonne.
Mme Fargeaux quitta brusquement ses myst'erieux interlocuteurs et reprenant exactement le chemin qu’elle avait suivi pour venir jusqu’au pavillon de chasse, elle allait se rapprocher du ch^ateau lorsque soudain elle s’arr^eta. La jeune femme regarda instinctivement `a ses pieds ; un p^ale rayon de lune percait `a ce moment l’obscurit'e de la nuit et Delphine, non sans surprise, constata que sa jupe 'etait saupoudr'ee de ce sable blanc et l'eger qui constitue le sol habituel des terrains o`u poussent les pins maritimes.
— Apr`es tout, se dit-elle, cela n’a aucune importance.
Mais `a ce moment pr'ecis, la jeune femme tressaillit et laissa 'echapper un cri de surprise. L’arbre auquel elle s’'etait machinalement appuy'ee venait de trembler, et le sol sur lequel elle marchait avait boug'e 'egalement. Quelque chose avait 'et'e projet'e sur elle. C’'etait encore une pluie l'eg`ere de sable fin.
Quelques instants plus tard, Delphine faisait mine d’entrer dans l’'etable, pour en sortir bruyamment et faire croire `a son mari, comme `a son fr`ere, qu’elle y 'etait rest'ee tout le temps de son absence. Au m^eme moment, elle entendit le grelot du tilbury que le domestique amenait devant le perron. La voiture s’arr^eta `a peine devant la porte du ch^ateau, Martial bondit dedans, prit des mains du cocher les r^enes, fouetta le cheval et partit, criant comme adieu `a son beau-fr`ere :
— Je suis trop en retard pour prendre cong'e de Delphine, vous l’embrasserez pour moi.
— Soyez tranquille, r'epondit Timol'eon, embrasser ma femme, c’est mon affaire.
Et le gros homme, nullement pr'eoccup'e par l’absence de son 'epouse, ralluma sa pipe, cependant que Delphine 'ecoutait, dissimul'ee le long du mur, dans l’ombre.
2 – MORDU ?
— Eh adieu, monsieur Peyrat !
— Eh adieu, madame Labour`es ! Autrement, aujourd’hui, vous allez bien ?
— Pas trop mal, monsieur Peyrat. Mais j’ai tout de m^eme bien du souci. C’est pour Saturnin que je viens vous voir.
— Qu’a-t-il donc, le cher enfant ?
— Vous allez me le dire.
Mme Labour`es se retourna, traversa `a grandes enjamb'ees, les deux poings sur les hanches, la petite boutique de M. Peyrat, autorit'e du village o`u il exercait les fonctions de pharmacien depuis bien pr`es de vingt ans :
— Saturnin, appela Mme Labour`es, viens donc. Entre, pas
Mais, arriv'ee sur le seuil de la boutique, Mme Labour`es s’arr^etait, d'econtenanc'ee :
— Bon, voil`a que le Saturnin a encore disparu. « D'ecid'emeng », cet enfant me fera manger les sangs.
M. Peyrat, par sympathie, avait quitt'e le comptoir derri`ere lequel il passait ses journ'ees enti`eres, occup'e `a somnoler ou `a projeter de grandes r'eformes politiques. Il rejoignit sa cliente. Lui aussi, appela :
— Saturnin, allons, Saturnin, viens donc ! Je te donnerai des r'eglisses !
En vain.
La boutique 'etait construite au seuil m^eme du petit village de Beylonque. C’'etait la derni`ere maison habit'ee de l’unique rue. Tout pr`es, recommencaient les pignadas, les 'enormes bois de pins, au sol feutr'e par les aiguilles r'esineuses, `a l’atmosph`ere d’ombre et de myst`ere, qui s’'etendent uniformes sur des kilom`etres.
— Mon Dieu, cria Mme Labour`es, avec un geste de col`ere, je parie qu’il s’est encore enfui. Ce garcon-l`a, il n’y a pas moyen d’obtenir qu’il s’'eloigne, f^ut-ce cinq minutes, des pignadas.
— C’est exact, ce que vous dites, Madame Labour`es, dit M. Peyrat, mais vous n’avez pas le droit de vous en plaindre. Le pauvre petit, il est fort heureux encore qu’il trouve toujours `a s’occuper, `a s’amuser, vous seriez vous-m^eme la premi`ere d'esol'ee si vous 'etiez t'emoin de son ennui. Et autrement, Madame Labour`es, c’est `a quel sujet que vous m’ameniez Saturnin ?
Mais Mme Labour`es n’eut pas `a r'epondre. Un grand garcon maigre et d'egingand'e, un garcon `a la figure extraordinaire et dont la seule vue causait un r'eel malaise, venait de sortir des bois de pins. C’'etait Saturnin. Il pouvait bien avoir dix-huit ou dix-neuf ans, mais chose curieuse, son attitude 'etait celle d’un enfant, d’un enfant qui craint d’^etre grond'e, et qui, avant d’approcher, veut s’assurer des dispositions o`u l’on se trouve.
— Viens donc, recommencait Mme Labour`es,
« autreming », M. Peyrat ne te mangera pas, voyons. Tu ne m’entendais pas t’appeler, Saturnin ? Allons, approche, petit.Le jeune homme s’approcha timidement. M. Peyrat lui tendit la main.
— Tu n’aimes donc plus les r'eglisses ?
Mais Saturnin ne r'epondit pas. La main dans celle du pharmacien, il le regardait fixement, avec un rire extraordinaire, muet, prolong'e, comme s’il e^ut contempl'e un individu essentiellement grotesque, une personnalit'e 'eminemment amusante. Le malheureux Saturnin, aussi bien, – ce n’'etait un myst`ere pour personne `a dix lieues `a la ronde, – 'etait simple d’esprit. Jadis, Mme Labour`es avait 'epous'e au m'epris des superstitions les mieux 'etablies dans les Landes, un sien cousin, et, le malheureux Saturnin devait, disait-on, `a cette union, de ne point jouir de ses facult'es mentales. Pas m'echant, d’ailleurs, serviable m^eme, tr`es doux, incapable de faire quoi que ce soit de mal, Saturnin avait en r'ealit'e la raison d’un enfant de sept ans dans le corps d’un homme fait. Il ne travaillait pas, car tous les m'etiers que l’on avait successivement essay'e de lui faire apprendre l’avaient successivement rebut'e. Il vagabondait du matin au soir, m'ediocrement aim'e de son p`ere, un Basque robuste et trapu qui travaillait aux entreprises de r'esine, choy'e par sa m`ere, en revanche, qui, pour ce grand garcon, trouvait, sous des apparences de brusquerie et de col`ere gasconne, des tr'esors d’indulgence.
— Autrement, r'ep'etait M. Peyrat, dites-moi donc, Madame Labour`es, qu’est-ce qu’il a votre fils ?
Mme Labour`es, au moment m^eme, devenait furieuse, prise d’un de ces acc`es de rage qui n’avaient aucune cons'equence.
Aussi bien, Saturnin outrepassait les bornes. L’idiot tirait la langue et faisait ses plus 'epouvantables grimaces `a l’adresse du pharmacien.
— Finis, ordonna Mme Labour`es, t^ache d’^etre sage… Monsieur Peyrat, je venais vous voir rapport `a son doigt qui est malade, il s’est bless'e je ne sais o`u, et depuis il est l`a `a geindre, `a se plaindre, si bien que je me demande s’il n’a pas r'eellement un mauvais mal. Voulez-vous voir, Monsieur Peyrat. Des fois, des bobos, n’est-ce pas ?