La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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L’histoire provoquait une 'emotion consid'erable. Personne n’aimait vraiment les Borel, qui vivaient `a l’'ecart, ne fr'equentaient aucun voisin, ne saluaient pas m^eme M. le cur'e ou M. le maire. Mais maintenant, on se sentait anim'e `a leur endroit d’une col`ere farouche.
— Croyez-vous, r'ep'etait-on de porte en porte, croyez-vous, Mme Borel qui s’est permis de mordre le petit Saturnin, le fils aux Labour`es. Ah bien, on va lui faire un proc`es. Si c’est pas Dieu possible, un simple !
Les col`eres ferment`erent de la sorte un certain temps encore.
`A trois heures, le maire faisait appeler son garde champ^etre :
— Parandious, ordonna-t-il, vous allez vous rendre chez Borel et interroger un peu les criminels qui y habitent. Pas moins. Il ne sera pas dit que dans ma commune, on pourra martyriser des enfants sans que l’autorit'e ose intervenir !
Parandious un quart d’heure plus tard, le bicorne en bataille, le gourdin menacant `a la main et la plaque 'etincelante en travers de la poitrine, partait `a la t^ete d’une troupe compos'ee d’une vingtaine de paysans arm'es de faux ou de fourches ou encore de vieux fusils de chasse.
Le si`ege cependant, commenca de facon bizarre. Bien qu’on les d'etest^at en ce moment, les Borel en imposaient un peu aux plus farouches vengeurs de Saturnin. Qui 'etaient-ils ? On ne le savait pas, d’o`u venaient-ils ? Personne ne pouvait le dire exactement ; il y avait six mois qu’ils habitaient le pays. Mme Borel n’en bougeait pas. Son mari faisait de tr`es fr'equents voyages. Ils devaient ^etre riches.
Parandious, devant la maisonnette, mit le bicorne `a la main. D’un doigt timide, il heurtait la porte, criant :
— Est-ce qu’il y a quelqu’un ?
Mais il n’y avait personne.
— Jour de ma vie ! finit par hurler le brave garde champ^etre, qui devenait de plus en plus d'ecid'e au fur et `a mesure qu’il s’av'erait que personne ne se trouvait `a l’int'erieur de la maison. Jour de ma vie, est-ce qu’ils auraient fui ?
^Etre partis si nombreux, avec des intentions farouches, pour arriver devant la porte close d’une maison abandonn'ee 'etait navrant. Mais du moment que l’on pouvait qualifier l’absence des locataires du nom de fuite, l’honneur 'etait sauf.
— Pas moins, c’est une chose certaine, expliquait un jeune paysan, quand ils ont vu qu’ils ne l’avaient pas tu'e, ils ont eu peur et ils ont fui. Ah, ils ont bien fait. On les aurait 'etrip'es !
Parandious, cependant, avait fait le tour de la maisonnette, appelant toujours. Mais sa voix n’'eveillait pas d’'echos, s’'etouffait dans le silence ouat'e des pignadas voisines. Il n’y avait personne dans la maison, personne dans le jardin potager, personne aux alentours.
— C’est cocasse, je me demande ce qu’il faut faire. Autrement, si l’on enfoncait la porte ?
Parandious, une fois encore victime de son temp'erament d’homme du Midi, venait d’avoir une id'ee g'eniale. Il n’avait pas propos'e d’enfoncer la porte qu’un homme robuste, d’un coup d’'epaule, faisait sauter celle-ci hors de ses gonds.
C’'etait une toute petite b^atisse `a un 'etage, fort mal entretenue, d'elabr'ee, aux aspects de chaumi`ere, et toute couverte de mousse, de lierre, de plantes grimpantes. Le rez-de-chauss'ee ne comportait qu’une grande pi`ece formant salle `a manger, cuisine et buanderie. La porte tomb'ee, d’un seul coup d’oeil on pouvait apercevoir toute la salle. Or, tout `a coup, des exclamations de stupeur, d’effroi, d’horreur s’'echapp`erent des l`evres de tous les assistants.
— Bon dious ! Bon dious ! cria d'esesp'er'e le gars qui venait de forcer l’entr'ee.
— Ah, sainte vierge, ma m`ere, Saint Joseph et les saints anges, mis'ericorde ! criait Parandious.
Derri`ere lui, les paysans poussaient des oh et des ah, ils se signaient, avec des mines atterr'ees.
`A l’int'erieur r'egnait un d'esordre complet. Une table non encore desservie avait 'et'e renvers'ee sur le sol et la vaisselle qui la garnissait, de la vaisselle assez fine, jonchait le plancher d’une infinit'e de d'ebris. Une chaise 'etait cass'ee, une armoire arrach'ee du mur s’'etait 'ecroul'ee sur la huche `a pain. Et puis, surtout, au beau milieu de la pi`ece, tout contre la nappe qui tra^inait sur le sol, il y avait une tache de sang, 'enorme, immense, une tache de sang s'ech'e, `a moiti'e absorb'e par le sol de terre battue et de ciment, une tache qui se prolongeait en une longue tra^in'ee jusqu’au pied de l’escalier menant au premier.
— Mais… mais… commenca `a b'egayer Parandious, mais… mais… c’est que c’est vrai qu’il y a eu un crime. Ah mon Dieu, mon Dieu !
Le garde champ^etre eut grande envie de s’enfuir mais sa curiosit'e fit place `a une terreur qui n’'etait plus feinte.
Tout `a l’heure encore, `a Beylonque, il parlait d’arr^eter les
— Parandious, s^urement qu’il y a eu crime, il faut pr'evenir M. le maire.
— Parandious, il y a peut-^etre des bless'es au premier 'etage, il faut monter.
— Tu sais, Parandious, qu’il y a bien huit jours qu’on ne les a pas vus, les Borel.
— Parandious, h'e, mon gars, veux-tu que l’on t’accompagne pendant que tu vas perquisitionner ?
Cette derni`ere proposition, 'evidemment, plaisait au brave garde champ^etre. Devenu grave, il se retourna vers ceux qui l’accompagnaient, et, d’une voix de stentor, cria :
— Toi, le gars, tu vas t’en aller de suite `a la mairie dire `a M. le maire ce qui se passe, bien exactement, commanda-t-il `a un jeune paysan. Vous autres, je r'equisitionne les quatre plus braves pour m’accompagner.
Ils 'etaient dix, il n’y eut personne qui os^at s’avancer.
— Venez tous, conc'eda Parandious, pour la troisi`eme fois bien inspir'e.
Nul ne se souciait, en effet, de rester seul devant la maison tragique.
Parandious n’'etait 'evidemment pas bien terrible, mais enfin il repr'esentait l’autorit'e, on pr'ef'erait l’accompagner que de demeurer sans lui.
— Avance, Parandious, on te suit « diff'eremming ».
Parandious rentra dans la pi`ece du rez-de-chauss'ee, jeta encore un coup d’oeil au d'esordre terrible qui y r'egnait, 'evita soigneusement de marcher dans la tra^in'ee de sang souillant le sol et se dirigea vers le petit escalier.
Parandious arriv'e au bas des marches leva les bras dans un mouvement d’effroi terrible. Les marches 'etaient couvertes de sang, il y en avait non seulement sur les degr'es, mais encore sur la rampe, le long du mur.