La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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M. Peyrat d'ej`a, attirait Saturnin `a l’int'erieur de sa boutique, il le faisait asseoir, lui donnait `a croquer une poign'ee de bonbons, et s’'etant de la sorte, assur'e sa sagesse, commencait `a examiner la main malade. Mme Labour`es n’avait pas menti. Son pauvre fils pouvait en effet se plaindre et geindre avec conviction ; il 'etait assez s'erieusement bless'e, `a la main droite, l’un de ses doigts, presque `a vif, saignait, et la plaie avait la plus vilaine apparence. Le pharmacien, tout en entourant la phalange du bless'e d’une s'erie de petits linges destin'es `a la pr'eserver des souillures diverses, s’informa :
— Et alors, Saturnin, o`u t’es-tu fait cela, mon petit ?
— Je ne sais pas, r'epondit-il.
— Tu ne sais pas o`u tu t’es bless'e ? Voyons, voyons, fais attention, c’est encore en te battant, en montant dans un arbre, en jouant avec le feu ?
— Pas moins. Elle est m'echante, hein, de m’avoir mordu comme cela ?
— Qu’est-ce que tu dis, Saturnin, qu’est-ce que tu racontes ? Qui est-ce qui t’a mordu ?
— Eh, la dame qui se baignait, donc.
La r'eponse 'etait incoh'erente, le pharmacien et la Landaise 'echang`erent un regard surpris.
— Saturnin, reprit M. Peyrat, ne t’amuse pas `a te moquer de nous, ou tu n’auras plus de bonbons. R'eponds gentiment, voyons. Qui est-ce qui t’a mordu ? Qu’est-ce que c’est que cette dame qui prenait son bain ?
— Je ne sais pas.
— Tu ne sais pas qui t’a mordu ? s’exclamait Mme Labour`es, eh bien si c’est comme ca, aujourd’hui, je t’emp^echerai d’aller te promener.
'Evidemment, la menace devait ^etre terrible et faire une peur 'epouvantable au malheureux enfant, car tout d’une haleine il se h^ata de r'epondre :
— Autrement, Maman, voil`a. C’est la dame qui se baignait tout habill'ee. Quand j’ai voulu lui toucher le nez, elle m’a mordu. A"ie ! Ca me fait mal, monsieur !
La derni`ere exclamation s’adressait au pharmacien, qui entendant les paroles de l’idiot, 'etait parti `a rire, et, secou'e par sa gaiet'e, avait involontairement serr'e trop fort le doigt du pauvre Saturnin.
— Tu dis, s’exclamait le brave homme, que tu as voulu toucher le nez `a une dame qui se baignait tout habill'ee ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire-l`a ?
— Oui, et la dame m’a mordu.
Il n’y avait pas `a le faire sortir de l`a. Mieux que personne, Mme Labour`es savait que son fils 'etait t^etu, et qu’il 'etait impossible, m^eme en le grondant, de le faire revenir sur une premi`ere d'eclaration.
— Vraiment, elle n’'etait pas gentille. Saturnin… cette dame. Mais qui est-ce donc ? Chez qui 'etais-tu ?
— J’'etais chez Borel.
Cette fois, M. Peyrat et Mme Labour`es 'eclataient ensemble de rire. Saturnin exag'erait vraiment.
Certes, Saturnin pouvait avoir 'et'e jouer chez les Borel, mais il 'etait invraisemblable qu’il y e^ut 'et'e victime de quoi que ce f^ut. Les 'epoux Borel 'etaient des personnes
Pourquoi Mme Borel aurait-elle mordu Saturnin ? Pourquoi, surtout aurait-elle eu la fantaisie de se baigner tout habill'ee ? et o`u cela ? dans la mare, alors ?
Mme Labour`es, par acquit de conscience, interrogea encore :
— Qu’est-ce que tu dis qu’elle faisait, la dame, quand elle t’a mordu ?
La bouche pleine de r'eglisse, Saturnin, impassible, r'ep'eta :
— Elle se baignait, maman, tout habill'ee.
— Mais elle se baignait o`u ?
— Dans une baignoire.
Cette fois M. Peyrat protesta :
— Saturnin, disait-il, tu te moques de nous, et ce n’est pas gentil. D’abord, tu n’as pas 'et'e mordu, ce n’est pas une morsure, qui a pu te faire le bobo que tu as. On dirait une br^ulure. Une br^ulure assez myst'erieuse d’ailleurs. Voyons, tu n’as pas mis ta main dans de l’eau bouillante ? Tu n’as pas 'et'e tra^iner chez le teinturier ? tu n’as pas…
— J’ai 'et'e mordu par la dame qui 'etait dans le bain, r'ep'etait-il, j’ai voulu lui toucher le nez, et elle m’a mordu, c’est la v'erit'e.
Tout en causant, cependant, M. Peyrat venait de bander soigneusement la main du bless'e. Il lui offrit encore une poign'ee de pastilles de r'eglisse puis il reconduisait jusqu’`a la porte de sa boutique Mme Labour`es, qui se confondait en remerciements.
— D'ecid'ement, conseilla M. Peyrat, vous feriez bien, Madame, d’aller avec Saturnin chez Borel. L’histoire qu’il nous raconte est 'evidemment stupide, mais vous devriez v'erifier ce qu’elle peut contenir d’exact. Je ne crois pas que Saturnin ait 'et'e mordu, cependant, il serait prudent de vous en assurer, il faut toujours penser `a un chien enrag'e, enfin, on ne sait jamais.
Le conseil 'etait sage, Mme Labour`es n’avait garde de manquer `a le suivre. `A l’un des anneaux scell'es dans le mur de la pharmacie, elle avait attach'e par la bride, un petit ^ane attel'e `a une charrette qui lui servait pour se rendre de sa ferme au village.
— Viens avec moi. Saturnin, commandait la brave femme, nous allons aller chez Borel.
Vingt minutes plus tard, Mme Labour`es frappait `a la porte de la petite maison. Elle frappait `a coups redoubl'es, elle tapait m^eme au volet, mais personne ne vint lui ouvrir. La maison semblait abandonn'ee.
***
En quittant la pharmacie de M. Peyrat, Mme Labour`es n’attachait gu`ere d’importance au r'ecit que venait de faire Saturnin. En arrivant le soir m^eme chez elle, et en contant l’aventure `a son mari, elle en doutait d'ej`a un peu moins, et se demandait comment et pourquoi on avait mordu Saturnin.
Le lendemain matin, en s’'eveillant, Mme Labour`es, voyant passer le garde champ^etre, le h'ela :
— Et autrement, Parandious, venez donc voir un peu ici. Vous savez ce qu’ils ont fait, chez Borel ? Ils ont mordu mon Saturnin. M^eme que M. Peyrat m’a dit de faire tr`es attention, car peut-^etre il deviendrait enrag'e.
C’'etait l`a une confidence sensationnelle que Parandious, en digne garde champ^etre qu’il 'etait, ne pouvait longtemps garder pour lui seul. Il se rendit `a l’auberge imm'ediatement la mieux achaland'ee de Beylonque, et confiait la chose `a tous les buveurs attabl'es :
— Pas moins, c’est tout de m^eme malheureux, des 'etrangers dans le pays qui se permettent de faire du mal `a un pauvre enfant, un simple qui n’a jamais fait de tort `a personne.
De la sorte, alors qu’`a dix heures du matin, nul n’e^ut cru de sang-froid que Saturnin e^ut 'et'e r'eellement mordu, `a midi, la chose 'etait tenue pour certaine par le village tout entier.