La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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— 'Ecris-le, rugit ce monstre.
Dolor`es ne l’entendit point, car elle 'etait sourde !
Alors l’affreuse ruine humaine, sortant un poignard de sa ceinture, s’avanca lentement, l’arme lev'ee, vers la malheureuse.
Dolor`es n’e^ut pas m^eme un tressaillement, elle ne voyait rien de cet horrible spectacle, car elle 'etait aveugle… »
— Tout de m^eme, dit Fandor, ces romanci`eres populaires ont une facon de vous bourrer le cr^ane, avec leurs histoires `a dormir debout, qui donnent une bien p'enible id'ee de la litt'erature moderne. Mais malgr'e cela, on s’y laisse prendre. Qu’en pensez-vous ?
La personne `a qui Fandor posait cette question 'etait une assez jolie femme, blonde, un peu lourde, un peu 'epaisse sans doute, mais qui avait encore un charme extr^eme bien qu’elle par^ut ^ag'ee d'ej`a d’une quarantaine d’ann'ees. Elle r'epliqua simplement :
— Je pense comme vous, mon cher ami, mais je vous en prie, ne vous agitez pas. Il me semble que vous avez boug'e et rien n’est plus mauvais. Cela risquerait de retarder encore votre gu'erison.
— Sapristi, grommela Fandor, vous en avez de gaies. Voil`a d'ej`a suffisamment de jours et de nuits.
— Le temps vous semble donc bien long ?
— Oui, l^acha Fandor, 'etourdiment, qui, s’apercevant soudain du peu d’amabilit'e de sa r'eponse, essayait de se rattraper :
— Pardon, fit-il, je voulais dire que le temps me semble long, lorsque je suis seul. Mais d`es que j’ai le plaisir d’avoir votre compagnie, cela change du tout au tout, ma ch`ere Madame Olivet.
— Oh, fit l’interlocutrice de Fandor, en baissant les yeux, cependant que ses joues se coloraient de rose, vous pouvez m’appeler Valentine. Surtout quand nous sommes seuls.
— Je n’ose pas, dit Fandor.
Mme Olivet s’'etait lev'ee, elle s’approcha lentement de la chaise longue sur laquelle 'etait 'etendu le journaliste, et d’une voix dont le tremblement trahissait l’'emotion elle ajouta :
— Osez, osez. C’est moi qui vous en prie. Vous savez bien, soupira-t-elle, que vous pouvez avec moi, tout ce qu’il vous plaira.
Mais la porte du salon dans lequel avait lieu ce t^ete `a t^ete, venait de s’ouvrir. Un homme parut, homme d’un certain ^age, `a la figure souriante, `a la chevelure 'ebouriff'ee. Il portait autour de la taille, couvrant son gilet et prot'egeant sa redingote, un large tablier bleu comme en ont les cuisini`eres.
Mme Olivet l’ayant apercu, grommela d’un air vex'e :
— Bon, encore lui.
Cependant Fandor souriait en s’adressant au nouvel arrivant :
— Bonjour, mon cher Monsieur Olivet. Par exemple, ca me fait plaisir de vous voir. Et comment va la sant'e ce matin ?
— Mais pas mal, pas mal, Monsieur Fandor, mais c’est `a vous qu’il faut demander cela.
Sans attendre de r'eponse, M. Olivet jeta un regard inquiet et timide du c^ot'e de sa femme.
— Ma ch`ere Valentine, fit-il, excusez-moi de vous d'eranger mais il y a en bas quelqu’un qui vous demande, c’est un client qui vient pour une consultation.
— J’y vais, d'eclara s`echement Mme Olivet, et elle quitta la pi`ece.
Quelques instants encore, son mari demeurait avec Fandor, s’enqu'erait `a nouveau de sa sant'e.
— Cette pauvre jambe, murmurait-il, ne se gu'erit donc pas ?
Puis il ajoutait :
— Excusez-moi, Monsieur Fandor, de vous quitter, mais il faut que je m’occupe du m'enage, c’est aujourd’hui lundi, on fait le pot-au-feu et comme vous savez, ca prend du temps `a cuire. Pour qu’un pot-au-feu soit bon, il faut le mettre sur le feu d`es l’aube.
Fandor 'etouffa un fou rire tant que M. Olivet ne l’avait pas quitt'e, mais d`es qu’il se trouva seul, le journaliste donna libre cours `a sa ga^it'e :
— Ah, quels types, quels types, s’'ecria-t-il, v'eritablement je suis tomb'e, c’est le cas de le dire, dans une bien dr^ole de maison. Encore une fois, poursuivit le journaliste, je viens de l’'echapper belle avec la captivante Mme Olivet. Chaque jour, ma vertu court des risques de plus en plus s'erieux et je me demande s’il ne faudra pas qu’`a un moment donn'e ma pudeur ne c`ede `a ses br^ulantes invites. D'ecid'ement, quelle dr^ole de maison.
Fandor n’avait pas repris son roman-feuilleton. Le journaliste regardait autour de lui et consid'era d’un air distrait l’ameublement 'el'egant, confortable, du petit salon anglais dans lequel il 'etait install'e. Cet int'erieur 'etait vraiment charmant. Meubl'e avec go^ut, il y avait, dans les moindres d'etails, de la d'elicatesse et du charme, on retrouvait partout la trace discr`ete de cette Mme Olivet, qui savait donner de l’allure aux moindres choses.
`A c^ot'e de sa chaise-longue, Fandor avait `a port'ee de la main une petite table, un gu'eridon laqu'e blanc, sur lequel 'etait dispos'e un plateau portant lui-m^eme une carafe avec de l’orangeade. Plus loin, 'etait un 'el'egant 'etui `a cigarettes, puis, sur un fauteuil, `a proximit'e du canap'e, encore des livres, des journaux.
Comment Fandor se trouvait-il l`a ? Pourquoi le journaliste demeurait-il 'etendu sur cette chaise-longue, immobile ? 'Etait-il bless'e ?
Oui, sans doute, Fandor 'etait bless'e. Sous son pantalon, sa jambe gauche paraissait rigide et enfl'ee d’une facon anormale. En fait, cette jambe, depuis le genou jusqu’`a la cheville, 'etait immobilis'ee dans un pansement de ouate et de pl^atre qui permettait de comprendre `a quiconque le voyait que le journaliste 'etait en train de se gu'erir d’une fracture.
Fandor devait avoir fort envie, ce jour-l`a, de s’assurer des progr`es de sa gu'erison, car, 'etant bien certain qu’il 'etait seul d'esormais dans la pi`ece, il se souleva de sa chaise-longue et avec mille pr'ecautions essaya de poser `a terre son pied malade.
La premi`ere exp'erience parut le satisfaire, car, forcant sur son pansement, le journaliste parvint `a plier la jambe et `a faire remuer l’articulation de sa cheville. Puis, satisfait encore de ce nouvel essai, il se leva. Fandor s’appuya d’abord, avec une instinctive m'efiance, sur les meubles qui se trouvaient `a sa port'ee, mais s’enhardissant bient^ot, il commencait `a marcher sans aucune aide, puis, peu `a peu, il laissa peser le poids de son corps sur la jambe malade et constata avec une joie sans bornes, que celle-ci ne paraissait nullement en ^etre affect'ee.
— Nom d’un chien, jura Fandor, c’est extraordinaire ! Mais j’ai beau faire tous les mouvements d'efendus, je n’'eprouve absolument aucune souffrance. Qu’est-ce qu’elle me raconte que ma jambe doit ^etre extraordinairement affaiblie ? Jamais je ne me suis senti les muscles aussi vigoureux.
Le journaliste fit quelques pas, plia les jarrets, sauta m^eme, alla `a cloche-pied.
— Mais, c’est inou"i, continua-t-il, de ma vie je n’ai eu autant de souplesse, ni autant de vigueur.
Il ricana :