La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Ce prologue achev'e, M. Anselme Roche, procureur de la R'epublique, jeta un regard circulaire sur l’auditoire nombreux qui l’'ecoutait.
Ce jour-l`a, en effet, il y avait foule `a l’audience du tribunal correctionnel de Bayonne. Le proc`es qui se jugeait 'etait cependant loin d’^etre retentissant et l’accus'e, affal'e et grotesque, avait peu l’allure d’un dangereux criminel.
Il faisait un temps superbe, mais les Bayonnais pr'ef'eraient sans doute venir s’enfermer au palais de justice plut^ot que d’aller se promener. Toujours est-il que M. Anselme Roche, d'eversant sur eux des flots d’'eloquence, les impressionnait et, plus m^eme, les effrayait quelque peu.
Le pr'evenu 'etait un voleur de r'esine. Il avait eu la malencontreuse id'ee, ce pauvre diable, de s’attaquer, non pas `a des propri'et'es priv'ees, mais `a une portion de territoire national. Son d'elit, de ce fait, prenait les proportions d’un m'efait grave.
M. Anselme Roche chargeait l’accus'e. Il semblait vraiment prendre plaisir `a s’acharner ce jour-l`a.
Qu’avait-il donc contre le pr'evenu ?
M. Anselme Roche 'etait d’une humeur massacrante et il se vengeait sur l’inoffensif voleur de r'esine de ses d'eboires personnels. Amoureux de Mme Borel, il se trouvait priv'e de ses nouvelles, et qui plus est, atteint `a son endroit d’une jalousie f'eroce. Ne soupconnait-il pas le spahi Martial Altar`es d’avoir eu avec celle qu’il aimait des relations intimes et suivies ?
Cependant, r'eveill'es par l’arr^et subit du discours de l’orateur, le pr'esident et les assesseurs se consultaient du regard. Puis avant de rendre leur jugement, estimant l’heure venue d’aller fumer une cigarette, ils d'ecid`erent de lever l’audience. Anselme Roche, de son c^ot'e, se dirigea vers son cabinet de travail. Il y 'etait depuis quelques instants d'ej`a, lorsqu’un huissier se pr'esenta :
— C’est une dame, fit-il d’un air myst'erieux, une dame fort 'el'egante, qui demande `a parler `a M. le procureur.
L’arrivante ne pouvait ^etre que Mme Borel.
— Faites entrer, r'epondit Anselme Roche, cependant qu’il jetait au loin sa cigarette et que, d’un geste machinal, il arrangeait les plis de sa robe, assez satisfait de se montrer `a la femme qu’il aimait dans l’apparat solennel des attributs de sa profession.
Le magistrat pr'eparait d'ej`a un sourire aimable, mais il s’arr^eta net, car la personne qui entrait dans son cabinet, brusquement, d’un bond, il ne la connaissait pas. C’'etait une femme que le procureur n’avait jamais vue.
— Jamais vue ? Si cependant.
Anselme Roche fronca le sourcil. Il n’aimait gu`ere les visites de ce genre, et ceux qui s’y 'etaient aventur'es une fois, 'etaient accueillis de telle sorte qu’ils ne recommencaient jamais. Anselme Roche, affectant donc son air le plus froid, s’inclina imperceptiblement.
— Vous d'esirez, Madame ?
— C’est `a M. Anselme Roche que j’ai l’honneur de parler ?
Le magistrat pour pr'eciser la nuance, r'epliqua :
— Vous ^etes ici dans le cabinet du procureur g'en'eral. Que d'esirez-vous ?
Sans r'epondre `a sa question, la visiteuse d'eclara :
— Je suis Delphine Fargeaux, j’ai des aveux `a vous faire.
— Est-ce grave ?
— Oui.
Le procureur se pencha vers elle :
— Remettez-vous, Madame, je vous en prie.
Mais `a ce moment, le tintement gr^ele d’une sonnerie retentit. L’audience allait reprendre. Anselme Roche n’h'esita plus.
— Veuillez m’attendre quelques minutes, Madame, dit-il `a Delphine Fargeaux, et je suis `a vous.
Le magistrat sortit de son cabinet dont il ferma la porte `a clef par pr'ecaution. En deux mots, il expliqua au pr'esident, qu’une affaire grave l’emp^echait de revenir `a l’audience, il informa son substitut du r^ole qu’il aurait `a remplir et, quelques minutes plus tard, Anselme Roche regagnait son bureau.
— Mme Fargeaux, je vous 'ecoute, d'eclara-t-il, lorsqu’il eut obtenu de la jeune femme qu’elle relev^at son voile.
Avec h'esitation d’abord, s’enhardissant ensuite, Mme Fargeaux parla.
M. Anselme Roche 'ecoutait avec une satisfaction infinie cette histoire 'egrillarde qu’il interrompait pour demander des d'etails.
— Alors, vous 'etiez d’accord avec les caballeros pour vous faire enlever ?
— Oui, Monsieur.
— Mais pourquoi ?
— Mon Dieu, Monsieur, c’est bien simple : j’'etais au rendez-vous de Son Altesse. Je me disais en effet : si mon mari s’apercoit de quelque chose, je pourrai toujours pr'etendre et soutenir gr^ace `a l’enl`evement dont j’aurai 'et'e victime, que je ne m’'etais abandonn'ee `a l’infant d’Espagne que contre mon gr'e. Comprenez-vous ?
— Oui, jamais un homme n’aurait trouv'e cela. Il n’y a d'ecid'ement que les femmes pour inventer des choses pareilles. Qui se douterait, en voyant une gentille petite personne comme vous, avec une aussi jolie figure, oui, qui se douterait ?
— Si je vous ai racont'e tout cela, Monsieur le procureur, c’est afin d’excuser l’acte commis par mon fr`ere, d’att'enuer sa responsabilit'e, de l’innocenter m^eme. Au lieu d’^etre un vulgaire meurtrier, comme on le croit actuellement, c’est un vengeur d’honneur, c’est un homme de devoir que l’on reconna^itra en lui.
— Parfaitement, fit le magistrat, votre fr`ere, je l’avais oubli'e.
— Mon malheureux fr`ere est enferm'e depuis quarante-huit heures dans une prison. Je suis venue vous raconter la v'erit'e pour que vous puissiez d'ecider, connaissant d'esormais les motifs qui ont guid'e le bras de mon fr`ere, de le faire remettre en libert'e. Je ne doute pas un seul instant que vous ne soyez convaincu de ce que je vous raconte.
— Je vous crois parfaitement et ne demande qu’`a vous ^etre agr'eable, Madame Fargeaux. Malheureusement, il est une chose que je ne puis faire.
— Laquelle, Monsieur ?
— Mettre votre fr`ere en libert'e.
— Et pourquoi, Monsieur ?
— Mais, fit Anselme Roche, pour la bonne raison qu’il n’est pas en prison.
— Eh bien, par exemple. C’est fort ! Quand je pense que le malheureux garcon n’a pas eu plut^ot tir'e que deux agents de la S^uret'e lui passaient les menottes et l’entra^inaient avec eux. Pauvre Martial ! Il n’a pas regimb'e. Il s’est laiss'e faire. Doux comme un agneau, tant il 'etait atterr'e de ce qui venait de se passer.
— Votre fr`ere, Martial Altar`es, le spahi, n’est pas en prison, ca, j’en suis s^ur.
— Monsieur, je suis s^ure, moi, du contraire.
Le magistrat eut une h'esitation, un scrupule. Certes, on lui communiquait tous les jours la liste des personnes arr^et'ees, il l’examinait r'eguli`erement, et s’il avait vu figurer le nom de Martial Altar`es, il l’aurait certainement reconnu. N'eanmoins, le magistrat se demandait si la chose n’'etait pas pass'ee inapercue, si quelque employ'e n’avait pas fait une omission en 'etablissant cette liste, si enfin le militaire n’avait pas cru devoir donner un faux nom aux agents qui l’appr'ehendaient.