La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— Si, ce sont m^eme des clients de notre bureau. Ils nous avaient command'e tout un assortiment de porte-plumes.
— Des porte-plumes ? dit le cocher en regardant ses invit'es avec une profonde commis'eration, vous appelez cela des affaires, vous ? Qu’est-ce que ca peut bien rapporter, en admettant m^eme qu’il s’agisse d’une grosse de porte-plumes `a deux sous pi`ece ? Enfin, vous devez savoir tout de m^eme si c’est une bonne maison ?
— Qu’entendez-vous pas l`a ?
— Je demande, reprit le cocher, si c’est une maison solvable, faisant honneur `a sa signature, et qui paie rubis sur l’ongle ?
— Ca, j’en mettrais ma main au feu.
Et P'erouzin ajouta pour essayer d’impressionner son interlocuteur :
— Nous avons dans nos dossiers confidentiels, les meilleurs renseignements sur la Soci'et'e Miller et Moller.
— Oui, nul n’ignore que ces gens-l`a c’est solide comme la R'epublique et la Banque de France.
— Mais o`u voulez-vous en venir ?
Le cocher remplit les verres de fine, depuis longtemps vid'es jusqu’`a la derni`ere goutte, et baissant la voix, il expliqua :
— Vous qui avez vos entr'ees chez Miller et Moller, j’imagine que rien ne vous serait facile comme de vous procurer du papier `a en-t^ete de chez eux. J’en ai besoin avant la fin du mois et c’est tr`es important.
— Mais pourquoi faire ?
— S^ur, d'eclara le cocher avec un rire goguenard, que ce n’est pas pour mettre des papillotes `a la perruque de mon 'epouse. Pour cette bonne raison, qu’elle n’en porte pas et que je suis garcon. Peu importe. Procurez-moi ce bout de papier et je vous donne vingt-cinq louis comptant, est-ce dit ?
Et il ajouta pour les d'ecider :
— N’ayez donc pas peur, vous ne risquez rien. Supposons que j’ai besoin de cette facture, pour en copier le mod`ele, ces gens-l`a ont une id'ee d’en-t^ete tr`es int'eressante. Ca vous va-t-il ?
— C’est entendu, dit Nalorgne, cependant que P'erouzin affirmait :
— J’irai cet apr`es-midi m^eme chez Miller et Moller. Mine de rien, je prends une facture, et demain…
— Demain, r'epondit le cocher, j’ai le document et vous, vos vingt-cinq louis.
***
— On a t'el'ephon'e, messieurs.
C’'etait Charlot, le petit groom qui, se dressant d'ecid'ement, s’adressait respectueusement `a ses patrons, au moment o`u ceux-ci, congestionn'es mais satisfaits, regagnaient le bureau.
— Ah, ah, fit P'erouzin d’un air important, as-tu pris note de la communication ?
— Oui m’sieu, c’est un nomm'e Herv'e Martel qui a fait dire comme ca que vous veniez chez lui, ce soir, `a six heures juste.
Les deux associ'es rest'es seuls allum`erent une cigarette.
— Croyez-vous, fit P'erouzin, l’air songeur, que ce Prosper a bien r'eussi. Je m’attendais `a une histoire d'esagr'eable au moment de l’addition. Pas du tout, il a pay'e.
— Ces gaillards-l`a, tout ignorants qu’ils sont, et m^eme pas munis du certificat de l’'ecole primaire, ont parfois le sens des affaires et cela mieux que des gens ayant b'en'efici'e comme nous d’une excellente 'education et d’une instruction approfondie.
— Une instruction que je qualifierai m^eme d’'erudition.
— Pour parler d’autre chose, il faudra ^etre exacts chez Martel.
— Oh, je serai l`a. Le temps d’aller chercher cette feuille de papier dont a besoin Prosper et je me rends directement avenue Niel.
— Je vous y retrouverai, dit Nalorgne.
Les deux associ'es allaient se quitter. Au moment de partir, Nalorgne mit la main sur l’'epaule de P'erouzin :
— Mon cher, que pensez-vous des affaires de Prosper ? Elles m’ont l’air douteuses.
— Vous passez votre temps `a soupconner les gens, Nalorgne. Apr`es tout, qu’est-ce qu’on risque ? Prosper est un ami. Il nous demande de lui rendre service, il nous donne vingt-cinq louis. Alors.
— S^urement. Mais je me m'efie quand m^eme.
***
Baptiste, domestique snob et physionomiste, n’avait pas fait entrer Nalorgne et P'erouzin dans le salon de son ma^itre. Les deux associ'es, cependant, s’'etaient annonc'es comme
G'erants ? c’'etait 'evidemment quelque chose. N'eanmoins, Baptiste n’avait pas cru devoir faire `a ces personnages, les honneurs de la pi`ece r'eserv'ee aux visiteurs de marque.
Soudain, le bruit de l’ascenseur. Une porte claqua, le courtier p'en'etra en coup de vent, le col de son pardessus relev'e, le chapeau sur la t^ete :
— Veuillez me suivre, messieurs.
Et il p'en'etra dans son cabinet de travail.
— Qu’est-ce que vous sentez ? demanda le courtier aux g'erants.
— Mon Dieu, fit Nalorgne, pour ne pas se compromettre.
— Ca sent le tabac, dit P'erouzin.
— Il ne s’agit pas de cela. Je vous demande ce que vous 'eprouvez en entrant ici dans cette pi`ece ? chaud ? froid ? Qu’en pensez-vous ?
— On 'etouffe dit P'erouzin, sanguin qui r^evait grand air et fen^etres ouvertes.
Cependant, le grand et maigre Nalorgne avait d'eclar'e :
— On g`ele, dit Nalorgne, homme maigre et frileux.
— Vous voil`a parfaitement d’accord `a ce que je vois, et votre opinion n’a aucune importance. Il fait froid ici. D’ailleurs, la chemin'ee ne marche pas. Vous ^etes charg'es de vous occuper de tous les d'etails mat'eriels de mon appartement, puisque c’est vous qui m’avez fait louer ici, d'ebrouillez-vous donc pour que la chemin'ee marche, et que je n’aie plus d’ennuis.
— C’est que nous ne sommes pas architectes.
M. Herv'e Martel froncait le sourcil et Nalorgne, pr'evenant par son interruption la gaffe probable de son associ'e, d'eclara :
— Nous allons en parler au propri'etaire, mais je vois ce que c’est : c’est le tirage qui ne marche pas, la chemin'ee tire mal, c’est un d'etail insignifiant, nous ferons le n'ecessaire.
Puis, feignant d’^etre un homme tr`es occup'e, et sans tenir compte des signes que lui faisait son associ'e qui r'eprouvait un tel bluff, Nalorgne, tirant sa montre, s’exclamait :