Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Sulpice se gratta le nez qu’il avait fort long, passa ses doigts osseux dans sa chevelure rousse, puis, tremblant de tout son corps, il prenait une d'ecision formelle et grave. Il r'etorqua d’une voix sourde :
— Tout ca, c’est des combinaisons qui ne sont pas claires ; vous n’^etes pas un pr^etre et vous en portez l’habit, vous voulez qu’on vous ach`ete des v^etements civils et vous n’osez pas aller vous les chercher vous-m^eme… Je ne suis pas rassur'e ! Dans les h^otels, il vient toute sorte de gens, et peut-^etre bien que vous ^etes un malfaiteur ou quelque criminel qui cherche `a d'erouter la police. Moi, je vais vous dire une bonne chose : reprenez vos cinquante francs, et je m’en vais aller pr'evenir la police qu’elle ait `a venir vous rendre visite !
Sulpice tournait les talons, se disposait `a quitter la pi`ece, il poussa soudain un cri 'etouff'e. Le voyageur `a la robe noire s’'etait pr'ecipit'e vers lui, le prenait par le bras, l’obligeait `a rebrousser chemin, `a s’asseoir dans un fauteuil.
— Au secours ! commenca le domestique terrifi'e.
Mais le voyageur lui imposait silence, d’un geste 'energique.
— Si tu prononces une parole, si tu pousses un cri dor'enavant, sinistre imb'ecile que tu es, je t’'etrangle de mes propres mains !
» Et maintenant que te voil`a rassur'e, 'ecoute-moi !
» Je te d'efends d’aller chercher la police, pour cette bonne raison que j’en suis ou tout comme. Toutefois, il y a un policier que je t’autorise `a faire venir ici, et au besoin m^eme je t’ordonne d’aller lui demander de venir. C’est mon voisin de chambre, c’est M. Juve, l’inspecteur de la S^uret'e qui m’attend !
— Qui vous attend ? r'epliqua Sulpice h'eb'et'e.
— Qui m’attend, oui, parfaitement, pr'ecisa le bizarre personnage. Lorsque tu le verras, tu lui diras que c’est J'er^ome Fandor !
`A ce nom, Sulpice bondissait.
— J'er^ome Fandor ! cria-t-il, est-ce possible ? J'er^ome Fandor, le journaliste, J'er^ome Fandor, l’adversaire de Fant^omas !
— En personne, oui, sinistre cr'etin !
— Ah, monsieur !… monsieur !… Permettez que je vous regarde, que je vous admire… balbutiait Sulpice au comble de la stup'efaction. Voil`a longtemps d'ej`a que je lis dans les journaux votre nom, que je connais vos aventures et que je d'esire avoir le plaisir et l’honneur de me trouver en face de vous…
— Eh bien, tu y es, grosse b^ete !
— Ah ! monsieur Fandor… monsieur Fandor… M. Juve est sorti, mais il ne doit pas ^etre loin, je cours `a sa recherche !
Et, absolument enthousiasm'e, Sulpice bondissait hors de la chambre, d'egringolait l’escalier `a toute allure ; son interlocuteur demeurait abasourdi au milieu de la pi`ece.
— Eh bien, par exemple, murmura-t-il, je ne me croyais pas si populaire !
Soudain, il se frappa le front.
— Eh ! mais l’animal m’emporte mon argent ! Il ne m’a pas rendu mes derniers cinquante francs. Sulpice !… Sulpice !
Le voyageur courait jusqu’`a la porte, il se heurta brusquement `a quelqu’un qui entrait.
— Esp`ece d’imb'ecile ! s’'ecria-t-il, vous ne pourriez pas faire attention ?
Et il ajoutait avec une ironie railleuse :
— Vous ne voyez donc pas que vous venez de bousculer un saint homme de pr^etre ?
Mais le saint homme de pr^etre partait d’un grand 'eclat de rire, en apercevant le personnage avec lequel il s’'etait si brutalement rencontr'e.
— Ah par exemple ! fit-il, Gauvin, vous, Gauvin !
C’'etait en effet le notaire qui p'en'etrait dans la pi`ece, apr`es avoir entendu la conversation qui s’'etait achev'ee par le d'epart de Sulpice.
Le notaire tendit la main `a l’homme `a la robe noire.
— Fandor, monsieur Fandor ! Ah que je suis donc heureux de vous rencontrer ici ! Pr'ecis'ement je cherche M. Juve pour une affaire urgente.
Gauvin cependant reculait, consid'erait le journaliste, car c’'etait bien lui, avec une surprise non d'eguis'ee.
— Ah ca ! prof'era-t-il, comment se fait-il que vous portiez ce costume d’'eglise ?
— Ca, d'eclara Fandor, c’est toute une histoire. Mais vous avez l’air boulevers'e, mon ami Gauvin. Que vous est-il donc arriv'e, et pourquoi donc cherchez-vous Juve ?
— Pour arr^eter un malfaiteur. Je viens d’^etre vol'e !
— De combien ? demanda Fandor.
— Un million, deux peut-^etre…
— Bougre ! fit le journaliste, et l’auteur de ce vol, c’est ?…
— Je n’en sais rien, fit Gauvin, mais quelqu’un d’audacieux, `a coup s^ur !
Fandor d'esignait un si`ege au notaire, lui-m^eme s’installait dans un fauteuil.
— Racontez-moi ca, fit-il. En attendant Juve, nous avons le temps de bavarder.
Comment Fandor se trouvait-il `a Grenoble ?
Et comment portait-il encore le costume qu’il avait d'erob'e dans le vestiaire de Notre-Dame ?
La chose 'etait facile `a comprendre, pour quiconque aurait 'et'e au courant des incidents qui 'etaient survenus au cours de la fuite de Fandor hors de la morgue, fuite qui d’ailleurs avait commenc'e par la poursuite de Fant^omas.
Le journaliste avait estim'e, une fois 'echapp'e `a la foule qui voulait l’'echarper sans conna^itre son identit'e, que le plus important pour lui, c’'etait de partir aussit^ot pour Grenoble, et d’y retrouver le policier afin d’avoir une explication avec lui et de tirer au clair les nombreux quiproquos qui s’amoncelaient autour de lui.
Fandor, en sautant dans un taxi-auto, avait donn'e pour adresse au m'ecanicien la gare de Lyon.
Il avait eu la chance de trouver, dans la poche du manteau de pr^etre dont il s’'etait rev^etu, une bourse contenant cent cinquante francs, et remettant `a plus tard le soin de rembourser l’inconnu qu’il l'esait involontairement, Fandor avait pris un billet pour Grenoble o`u il arrivait le lendemain soir seulement, s’'etant endormi deux fois dans ses trains et ayant deux fois manqu'e la correspondance n'ecessaire !
Or, voici qu’il avait fini par parvenir au Modem H^otel, o`u il apprenait que Juve 'etait descendu.
Fandor, toutefois, tenait `a se d'ebarrasser des v^etements qu’il portait ind^ument.
Et c’est pour cela qu’il avait essay'e de corrompre Sulpice et de persuader ce garcon d’h^otel d’aller lui acheter, chez le premier marchand venu, des v^etements masculins.
C’'etait alors qu’il avait eu ce d'ebat bizarre avec le domestique, lequel, apr`es avoir 'et'e terrifi'e `a l’id'ee qu’il 'etait peut-^etre en pr'esence d’un malfaiteur, s’'etait enthousiasm'e ensuite, en apprenant qu’il 'etait en face de J'er^ome Fandor et son enthousiasme avait 'et'e si grand, qu’il s’en 'etait all'e chercher Juve par toute la ville, emportant les cinquante francs que Fandor lui avait donn'es, c’est-`a-dire tout ce que le journaliste poss'edait sur lui.