Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Juve avait 'evidemment toutes les chances du monde de ne point obtenir ce qu’il demandait. Par bonheur, il s’adressait `a un fonctionnaire qui 'etait, sans qu’il s’en dout^at, l’un des ses plus enthousiastes admirateurs.
Le commissaire de police de la gare de Bruxelles ne demandait donc pas mieux que de faciliter la t^ache de Juve. La police bruxelloise avait eu r'ecemment fort `a faire avec le crime simul'e par Fant^omas, gr^ace `a la complicit'e de Ma Pomme. Les recherches 'etaient naturellement demeur'ees infructueuses, on ne devait 'evidemment pas tenir beaucoup, en haut lieu, `a recommencer l’instruction d’une affaire qui semblait au moins aussi d'elicate.
— Faites comme vous le jugerez bon, d'ecida imm'ediatement le commissaire de police. L’autorisation dont vous me parlez couvre ma responsabilit'e, je vous laisse donc enti`erement libre…
Un quart d’heure plus tard, on attelait en queue du train de Paris un wagon suppl'ementaire dans lequel on transportait le cadavre que Juve ne quittait pas une minute.
Et lorsque l’express repartait, Juve, `a nouveau, seul avec ce mort, commencait `a le consid'erer, `a l’interroger presque, voulant lui arracher son secret, savoir son nom, deviner pourquoi et comment il 'etait tomb'e sous les coups de Fant^omas…
Or, il 'etait vraiment dit que Juve irait, en ses enqu^etes, de surprise en stup'efaction.
Comme il promenait, en effet, les rayons de sa lampe 'electrique sur le visage du mort, Juve, brusquement, sursautait.
Parbleu, s’il faisait abstraction de certaines modifications apport'ees par le maquillage, s’il imaginait noirs les yeux bleus que l’on avait pu injecter, s’il supposait ch^atain fonc'e les cheveux que l’on avait pu teindre, si, par la pens'ee, il allongeait la pointe des moustaches ras'ees courtes, voil`a que le mort, en son esprit, prenait une tout autre apparence, ne ressemblait plus `a Fandor, incarnait au contraire aux yeux du policier, un personnage qui pr'ecis'ement l’avait d'ej`a fort intrigu'e.
— Mais je sais qui c’est ! finit par se jurer Juve… je ne me trompe pas, ce cadavre, c’est le cadavre d’un certain Daniel, de ce myst'erieux personnage qui fr'equentait la p`egre d’Amsterdam, qui semblait ^etre un policier, et dont Fandor et moi avions d'ej`a, `a plusieurs reprises, not'e la bizarre attitude.
H'elas ! si Juve reconnaissait `a merveille le cadavre pour ^etre le cadavre de Daniel, il n’'etait gu`ere plus avanc'e apr`es cette d'ecouverte.
Qui 'etait au juste ce Daniel ? Pourquoi s’'etait-il rendu `a Amsterdam ? Dans quel but avait-il l’air de se livrer `a d’extraordinaires enqu^etes ? 'Etait-ce un ami ou un ennemi ?
— Morbleu ! je n’en sais rien, d'eclarait Juve, mais je le saurai !
Avec sa t'enacit'e habituelle, en effet, Juve d'ecidait imm'ediatement de n’avoir cesse ni repos qu’il n’e^ut r'eussi `a 'eclaircir compl`etement l’'etrange aventure dont il 'etait le t'emoin et la victime un peu.
Ce mort que l’on avait grim'e, ce mort qui 'etait la cause involontaire de la plus effroyable angoisse de sa vie, ce mort qui lui avait fait croire au tr'epas de J'er^ome Fandor, Juve le vengerait, Juve finirait par le faire parler !
Et, d`es lors, mettant `a profit les heures qui lui restaient avant d’arriver `a la gare du Nord, le policier, seul dans le wagon mortuaire, un fourgon vide dans lequel on avait d'epos'e la civi`ere, se livrait `a la plus macabre des enqu^etes.
Un par un, il examinait les v^etements du mort ; il cherchait l’adresse du tailleur. Mais le complet sortait d’un grand magasin de nouveaut'es, et cela devait convaincre Juve du peu de chance qu’il avait de trouver, par cette piste, des indications int'eressantes.
Juve n’avait gu`ere plus de chances en examinant les bottines. Elles ne portaient point de marque, ayant 'et'e sans doute fabriqu'ees par quelque petit cordonnier `a facon, 'economisant `a tout propos…
— Voyons le linge, continua le policier.
Le mouchoir, assez commun, ne portait pas de chiffre ; le calecon 'etait ordinaire. Juve allait examiner la chemise lorsqu’il renoncait `a cette inspection. Derri`ere le col, en effet, il apercevait un petit trou fait `a coups de ciseau, une d'echirure significative. 'Evidemment, on avait d'emarqu'e le linge.
— Fant^omas n’oublie rien, soupira Juve.
`A ce moment, cependant, le policier se baissait pour ramasser le faux-col qu’une secousse avait jet'e sur le sol ; ce faux-col, Juve l’examinait avec attention, et soudain il poussait un cri de stup'efaction.
— Victoire ! murmurait le policier.
Il venait d’apercevoir non point une initiale, car celle-ci avait 'et'e enlev'ee, gratt'ee, mais un petit poincon suivi d’une s'erie de chiffres assez longue.
Et cela, ce simple d'etail, c’'etait pour Juve une indication d’un prix infini.
— Tr`es bien, murmurait-il. Je saurai ce soir comment s’appelle ce mort… Ce faux-col est fourni par un chemisier qui blanchit `a l’abonnement, le poincon l’indique… Le chemisier sera facilement d'ecouvert, il me donnera le nom de son client.
`A la gare du Nord, Juve, sans la moindre difficult'e, car d'esormais il 'etait dans la pr'efecture de la Seine et faisait ce que bon lui semblait, ordonnait le transport du cadavre `a la morgue.
— Surtout, recommandait-il, qu’on ne le d'egrime pas !
Le train avait du retard, il 'etait six heures du soir, Juve laissait partir la voiture emportant la d'epouille de Daniel, il sautait dans un taxi, se faisait conduire place de la Bourse chez le chemisier dont il voulait consulter les livres et dont le patron d’une boutique concurrente lui avait imm'ediatement indiqu'e l’adresse.
Juve, `a ce moment, jouait de bonheur. Chez le chemisier, en effet, il n’'eprouvait aucune peine `a se faire renseigner. On lui donnait imm'ediatement le nom du client qui portait le num'ero d’abonnement, relev'e sur le faux-col. Ce nom 'etait une confirmation absolue des soupcons de Juve : le client s’appelait bien Daniel ; ce n’'etait m^eme pas son pr'enom, c’'etait son nom de famille.
Quel 'etait ce Daniel, par exemple ? Le chemisier ne pouvait le dire. Tout ce qu’il savait, c’est que ce personnage habitait Grenoble, o`u il lui envoyait r'eguli`erement par colis postal ses fournitures, et qu’il devait ^etre employ'e chez un notaire dont le nom devait ^etre quelque chose comme Cauvin… Mauvin… ou Dauvin…
Or, Juve, en entendant ces mots, pensait tressauter de surprise… Daniel… Grenoble… un notaire… ces renseignements le mettaient au comble du bonheur. Ah ! certes, son enqu^ete ne tra^inait pas !… Bient^ot elle serait termin'ee, triomphalement achev'ee, car Juve ne pouvait pas douter des renseignements qu’il recevait.