Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Fandor, de son c^ot'e, ne se doutait nullement qu’un t'el'egramme l’attendait au bureau de la gare, ne songeait pas `a y aller. Fant^omas retirait la d'ep^eche, lisait ce qu’avait c^abl'e Fandor et se frottait les mains…
— Tr`es bien, murmurait-il. Je n’ai pas perdu mon temps. D'esormais je puis ^etre sans inqui'etude !
Ayant regagn'e son wagon, Fant^omas en effet prenait sa valise et se rendait au cabinet de toilette pour s’y habiller.
La valise en effet contenait des v^etements de rechange, bient^ot Fant^omas n’'etait plus l’apache que Fandor avait vu `a Bruxelles et qu’il avait signal'e `a Paris, il 'etait au contraire un fort 'el'egant gentleman. La conclusion avait toutes les chances du monde de se produire, elle se produisait en effet.
Fant^omas, au cours de la lutte que les agents de la S^uret'e soutenaient contre Fandor, que, dans leur affolement, ils prenaient quelques secondes pour le G'enie du crime, avait recu de bons horions.
Un coup de poing notamment l’avait atteint en pleine figure, et cela lui avait fait si mal qu’il avait cru un instant d'efaillir. L’incident n’avait pas grande importance, et Fant^omas, descendant la rue La Fayette, s’applaudissait de fort bon coeur des r'esultats de ses ruses.
— 'Evidemment, pensait-il, J'er^ome Fandor ne sera pas longtemps prisonnier ; l’erreur est une question de quelques minutes, et dans quelques minutes Fandor sera libre. Pendant ce temps toutefois, j’aurai eu tout le loisir du monde pour dispara^itre, et, par cons'equent, je n’aurai plus rien `a craindre.
Fant^omas n’'etait pas inquiet de l’attitude de J'er^ome Fandor, mais en revanche se montrait beaucoup moins rassur'e sur les faits et gestes de Juve.
Il n’avait plus de nouvelles du policier, en somme, depuis l’instant o`u il l’avait perdu de vue, debout sur le marche-pied du train de Paris, appelant Fandor, et quelques instants avant qu’il ne f^ut amen'e `a d'ecouvrir tout naturellement le cadavre de Daniel habilement grim'e, de facon `a ressembler au journaliste.
Qu’avait fait Juve depuis lors ? O`u en 'etait-il de ses enqu^etes et de ses recherches ? Soupconnait-il la v'erit'e ?
Fant^omas se le demandait avec anxi'et'e, et par moment froncait les sourcils.
— Moi qui sais qui est Daniel, murmurait-il, moi qui n’ignore pas en raison des papiers que j’ai vol'es dans son portefeuille, ce qu’il 'etait venu faire `a Amsterdam je puis `a bon droit redouter que Juve n’arrive `a conna^itre la v'erit'e !
Le Ma^itre de l’effroi, qui descendait toujours la rue La Fayette, tourna `a la hauteur de Saint-Vincent-de-Paul, prit la rue d’Hauteville, et d'elib'er'ement entra dans un immeuble de vilaine apparence o`u sa pr'esence en homme chic pouvait surprendre.
Le Ma^itre de l’effroi, cependant, connaissait `a merveille l’art de duper ceux dont il ne tenait pas `a exciter la curiosit'e.
Tranquillement il allait donc `a la loge de la concierge et demandait :
— M. Durand, s’il vous pla^it…
Fant^omas donnait ainsi le nom d’une boutique d’avocat-conseil dont il avait lu les qualit'es sur une plaque d’'email accroch'ee `a la porte.
— Au premier 'etage, escalier B, r'epondit la concierge.
— Merci, fit Fant^omas.
Mais au lieu d’'ecouter les indications qu’on lui donnait, au lieu de se diriger chez ce M. Durand, Fant^omas passait devant l’escalier B, longeait les vo^utes, et s’engageait dans un boyau noir d'esign'e sous le nom d’escalier C.
Fant^omas monta cinq 'etages de marches branlantes et couvertes de salet'es. La concierge, tr`es 'evidemment, ne nettoyait jamais ce dernier escalier, qui constituait la honte de la maison, qui conduisait `a d’horribles logements lou'es `a de mis'erables cr`eve-la-faim.
Fant^omas monta les cinq 'etages, puis s’orienta, et d'elib'er'ement s’en alla frapper `a une porte.
— Qui est l`a ? s’informa une voix.
Fant^omas frappa encore. Il frappait d’ailleurs d’une certaine facon et cette facon devait ^etre significative car imm'ediatement la porte s’ouvrait.
Devant Fant^omas se dressait alors un petit homme `a la figure ravag'ee par la mis`ere, aux 'epaules vo^ut'ees, aux doigts tach'es d’encre, qui sentait d’une lieue son exp'editionnaire ou son employ'e de bureau.
— Trois-et-Deux… commenca Fant^omas, je viens aux renseignements !
Trois-et-Deux, car tel 'etait le nom du personnage, tel 'etait son sobriquet plut^ot, s’inclina.
— Tu viens aux renseignements, demandait-il, `a cette heure-ci, Ma^itre ?
Il 'etait en effet tout pr`es d’une heure du matin, et ce n’'etait vraiment pas le moment de d'eranger d’honn^etes citoyens.
Fant^omas, pourtant, devait 'evidemment savoir `a quoi s’en tenir sur la mentalit'e de Trois-et-Deux.
Aussi bien le personnage 'etait connu ; son extraordinaire sobriquet venait de ce qu’il passait dans la p`egre pour avoir commis deux crimes abominables. Lors du premier, il avait tu'e trois personnes, lors du second, il en avait tu'e deux.
Trois-et-Deux toutefois n’'etait pas un assassin ordinaire.
Loin de dilapider, en effet, la petite fortune que ses deux crimes lui avaient rapport'ee, il s’occupait `a la g'erer et la g'erait de si habile facon qu’il 'etait en quelque sorte devenu un v'eritable petit rentier, touchant, affirmaient les gens bien inform'es, pr`es de huit cents francs d’int'er^ets par an !
Trois-et-Deux, 'evidemment, ne pouvait songer, avec ces revenus, `a vivre largement, mais comme c’'etait un sage, il ne se plaignait point de son sort. Tout rentier qu’il f^ut, d’ailleurs, Trois-et-Deux n’avait pas renonc'e `a travailler. Par exemple, il avait une profession bizarre, il s’intitulait tout simplement contre-policier.
Trois-et-Deux, en effet, s’occupait principalement de faire de la contre-police. C’est ainsi que lorsqu’un crime se commettait, il se chargeait, moyennant une honn^ete r'etribution vers'ee d’avance, de surveiller les agissements de la police, et de filer les inspecteurs de la S^uret'e qui cherchaient eux-m^emes `a filer le criminel.
Trois-et-Deux 'etait inattaquable, car la prescription couvrait ses m'efaits pass'es, et, d’autre part, il avait bien soin de vivre honorablement d'esormais. Trois-et-Deux op'erait donc en toute libert'e d’esprit.
Cet extraordinaire bonhomme trouvait moyen de s’insinuer un peu partout, de tra^iner `a la Pr'efecture de police, d’^etre bien avec les commissariats, d’apprendre enfin tous les mouvements concernant les affaires criminelles. Il tenait des fiches, avait un r'epertoire fort en ordre, c’'etait en r'ealit'e un homme pr'ecieux et que les criminels instruits avaient tout int'er^et `a fr'equenter.