Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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Et, se tournant vers le gardien chef de la prison, Fant^omas commenca :
— Voici comment vous proc'ederez. Lorsqu’on vous aura livr'e Fant^omas, 'ecoutez bien…
30 – LE SOURIRE DE JUVE
Depuis pr`es d’une heure, Juve causait avec M. Anselme Roche, l’'energique procureur g'en'eral du tribunal de Saint-Calais.
Juve, assis dans un grand fauteuil, dans une posture de qui'etude et de calme, contrastait par son attitude avec l’agitation extr^eme du magistrat.
Tandis que M. Anselme Roche fulminait, levait les bras au ciel, assenait de violents coups de poing sur son bureau d’o`u les paperasses tombaient en d'esordre, Juve, au contraire, demeurait souriant, tranquille, serein. Il avait cet air radieux qui lui 'etait propre lorsque apr`es de longues enqu^etes, de terribles fatigues, d’invraisemblables dangers, il arrivait enfin au but que se proposait son inlassable 'energie.
Juve souriait et vraiment Juve pouvait sourire.
`A peine les deux gendarmes qui l’accompagnaient l’avaient-ils conduit au cabinet du procureur que celui-ci, sans m^eme que Juve ait eu `a intervenir, les avait cong'edi'es. Les gendarmes partis, M. Anselme Roche, d’une voix rauque, d’une voix tremblante, avait commenc'e `a interroger celui qu’il prenait pour Fant^omas.
— Asseyez-vous, avait dit le procureur.
C’'etait contraire `a tous les usages, car un magistrat n’a gu`ere l’habitude de faire asseoir les pr'evenus ou les inculp'es qu’il mande `a son cabinet : Juve en avait 'et'e surpris, et flegmatiquement avait r'epondu :
— Vous ^etes trop aimable.
M. Anselme Roche avait repris :
— J’irai droit au but, Fant^omas. Comment se fait-il que vous ayez ce matin m^eme servi les int'er^ets de la justice en faisant une enqu^ete extraordinaire `a Bess'e-sur-Braye ? Que savez-vous du crime que vous y avez d'ecouvert ? Que voulez-vous dire ? Que voulez-vous avouer ?
Juve avait 'ecout'e sans sourciller les questions que lui posait nerveusement son interlocuteur.
Lorsque M. Anselme Roche s’'etait tu, attendant ses r'eponses, Juve, tr`es tranquillement, exag'erant m^eme son attitude d’indiff'erence, se leva de la chaise qu’il occupait, s’inclina, et d’un petit ton badin commenca :
— Permettez-moi de me pr'esenter, monsieur le procureur, avant de vous r'epondre, ou plut^ot avant de r'epondre `a certaines de vos questions. Vous avez tout `a l’heure fait une confusion d’ailleurs bien excusable. Vous m’avez appel'e : Fant^omas. Je ne suis pas Fant^omas. Je n’ai jamais 'et'e Fant^omas. Fant^omas est depuis longtemps libre, hors de prison, `a l’abri de la poigne des gendarmes, et moi, moi qui vous parle, moi, que l’on vient d’extrader de Belgique, je suis. Voyons, monsieur le procureur g'en'eral, vous ne devinez pas qui je suis ?
Le procureur g'en'eral pr'esentait `a cet instant un visage si stup'efait qu’il fallait toute l’angoisse de la minute pour que Juve ne pouff^at pas, en consid'erant cette face bl^eme, o`u la bouche grimacait, o`u les yeux ronds semblaient clignoter devant une lumi`ere aveuglante.
— Non, je ne sais pas qui vous ^etes.
— Eh bien, reprenait Juve, je crains que vous n’en soyez surpris. Je ne suis pas Fant^omas, je suis Juve.
Le policier, sit^ot sa d'eclaration faite, son extraordinaire d'eclaration, perdit un peu de son calme. L’instant 'etait d'ecisif, et Juve le savait.
Depuis deux heures, son opinion 'etait faite. Il soupconnait de terribles choses, d’'epouvantables drames, il avait conscience de fr^oler `a la fois la victoire et la d'efaite. Qu’il parv^int `a convaincre le procureur g'en'eral de sa personnalit'e et l’arrestation de Fant^omas n’'etait plus qu’une question de minutes.
Que M. Anselme Roche, au contraire, ne voul^ut pas admettre ce fait, d’apparence invraisemblable, et, peut-^etre, d’autres difficult'es allaient surgir qui donneraient `a l’Insaisissable le temps de dispara^itre une fois de plus.
— 'Ecoutez-moi, reprit Juve.
Et c’est avec des mots pos'es, des mots pr'ecis, 'etayant chacune de ses affirmations d’une preuve dont il faisait ressortir la valeur, fondant chaque argument sur des r'ealit'es, que Juve contait son invraisemblable odyss'ee. Il dit d’abord, passant vite sur les d'etails, car en cela Juve mentait, que Fant^omas n’avait jamais 'et'e arr^et'e par la justice belge.
— Lors de l’assassinat du prince Nikita, affirmait-il, c’est moi, monsieur le procureur, c’est moi, moi seul qui ait 'et'e emmen'e par les gendarmes.
Continuant le r'ecit de ses aventures avec une audace que grandissait en lui la notion des difficult'es `a vaincre, Juve parla de sa vie en prison.
Il feignit d’ignorer compl`etement le policier Juve qui soi-disant 'etait d'ej`a venu `a Saint-Calais.
— `A cette date, j’'etais `a Louvain, dit-il.
Et alors, sur la prison, sur l’existence m^eme des condamn'es, Juve dressait un tel rapport qu’il 'etait impossible de douter qu’il e^ut 'et'e r'eellement prisonnier.
— Votre ordonnance d’extradition, conclut Juve, m’est arriv'ee en temps voulu et juste lorsque je m’appr^etais `a donner mon identit'e v'eritable. Vous n’ignorez pas, monsieur le procureur, que j’ai un excellent ami, presque un fils, qui s’appelle J'er^ome Fandor… Eh bien, monsieur le procureur, J'er^ome Fandor 'etait venu me voir en prison, et par lui j’avais appris bien des choses qui me mettaient sur la piste de l’insaisissable, du terrifiant, du redoutable Fant^omas.
Le procureur g'en'eral, `a ce nom, bondit litt'eralement sur son fauteuil.
— Vous ^etes sur la piste de Fant^omas ?
Juve, de la main, calma l’agitation du magistrat…
— Oh, dit-il, n’allons pas si vite, nous nous occuperons de Fant^omas tout `a l’heure et je sais o`u il est, ce n’est pas loin d’ici.
Juve, d`es lors, reprit son r'ecit.
— Monsieur le procureur, quand je suis arriv'e hier `a Bess'e, je savais par mon ami J'er^ome Fandor qu’il y avait `a Saint-Calais un homme qui n’'etait pas celui qu’il 'etait. Hum, c’est assez compliqu'e. Suivez-moi bien, monsieur le procureur. Je savais qu’il y avait un personnage qui passait pour quelqu’un qu’en r'ealit'e il n’'etait nullement. J’h'esitais sur la conduite `a tenir `a son 'egard, car, `a la v'erit'e, je n’avais pas de preuves de l’imposture qu’il tentait, qu’il r'eussissait depuis plusieurs mois. Hier je n’avais pas de preuves. J’avais une simple pr'esomption : un chapeau trop large. Aujourd’hui, j’ai une preuve, une preuve mat'erielle, une preuve irr'efutable que je vous apporte, que voici.
Dans les doigts de Juve, une seconde, le procureur g'en'eral vit briller une m'edaille d’argent corrod'ee, br^ul'ee, dont il n’avait pas le temps de reconna^itre la nature.
— Parlez. Vous me faites mourir.
Juve sourit en comprenant que l’'enervement de M. Anselme Roche grandissait de minute en minute et que jamais le magistrat n’e^ut 'et'e si anxieux s’il n’avait pas ajout'e foi aux paroles du policier.
Alors, usant toujours de son extraordinaire nettet'e d’'elocution, retrouvant une 'eloquence simple et persuasive, ayant l’air d’'enoncer de simples faits, mais en r'ealit'e les commentant si habilement qu’il 'etait impossible de s’y tromper, Juve fit au procureur le r'ecit de l’enqu^ete `a laquelle il s’'etait livr'e `a Bess'e-sur-Braye.