Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
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— Encore lui, grommela-t-elle.
Mais cependant Delphine, quelques instants apr`es, s’asseyait aupr`es du personnage. C’'etait Coquard, le courtier de la maison Ange de Villars.
Coquard, avec ses allures communes et son 'enervante gaiet'e, 'etait cependant un brave garcon et, bien que grand buveur de bocks, il 'etait sentimental.
Le courtier 'etait tout heureux d’avoir obtenu que Delphine accept^at son invitation :
— On va faire un gentil petit souper ? proposa-t-il, l’oeil allum'e.
Il 'eprouva un certain d'epit lorsque Delphine lui r'epondit qu’elle ne voulait accepter qu’un bock, mais le courtier, n'eanmoins, qui avait son id'ee, lui prit tendrement la main, lui murmurant `a l’oreille des paroles persuasives.
— Ah, si vous vouliez, Delphine, on pourrait s’arranger pour ^etre heureux tous les deux ; vous savez combien je vous aime et, puisque nous sommes l’un et l’autre dans le m^eme commerce, nous pourrions nous associer aussi bien de coeur que de fait. Je suis s^ur qu’`a nous deux nous r'eussirions tr`es bien et si jamais le patron venait `a se retirer, il y aurait une belle place `a prendre, hein, Delphine, voyez-vous cela ? la premi`ere maison de Pompes fun`ebres de Paris : Ange de Villars, successeurs Coquard et C ie.
'Evidemment Coquard s’illusionnait sur l’effet que produisaient ses propositions, car Delphine s’'etait lev'ee, brusquement :
— Vous me d'ego^utez, se contenta-t-elle de dire, je fais le m'etier que j’ai par n'ecessit'e et pour vivre ; si vous croyez que j’y trouve du charme, non vrai, vous faites erreur.
Interloqu'e, Coquard insista :
— Mais cependant, Delphine, il n’y a pas de sot m'etier, et ce que nous faisons n’a rien de d'eshonorant.
— Possible, conclut Delphine, mais ce n’est pas une raison pour que la profession me plaise ! Adieu !
Laissant Coquard tout interdit, Delphine, nerveuse, quitta l’'etablissement.
Non loin du Moulin-Rouge, `a quelques pas de la Bo^ite `a Joseph, se trouve encore le Diabolo, un 'etablissement, celui-l`a, de derni`ere cat'egorie, une effroyable bo^ite o`u se donnent rendez-vous les mis'ereux du voisinage, les apaches du quartier et aussi toute la population interlope qui vit de la grande vie des restaurants chics et de onze heures du soir `a six heures du matin, c^otoie les noctambules.
Le plus souvent on se tient debout au Diabolopour consommer devant le comptoir, tant l’affluence y est nombreuse et tant on passe vite sans s’attarder.
Ce soir-l`a, cependant, deux hommes ne quittaient pas l’'etablissement, ils y 'etaient depuis une bonne demi-heure, ils avaient absorb'e au moins une demi-douzaine de consommations vari'ees. Ils avaient des silhouettes caricaturales, et quiconque les voyait une fois ne pouvait les oublier.
C’'etait d’abord un fleuriste, `a la barbe embroussaill'ee, c'el`ebre dans le quartier par ses bons mots et ses saillies ; c’'etait Bouzille, l’in'enarrable Bouzille, vieux Parisien de pure race, ayant exerc'e les m'etiers les plus extraordinaires et les plus diff'erents.
Bouzille buvait en compagnie d’un homme dont les consommateurs se seraient volontiers 'ecart'es, s’ils avaient su sa profession. Cet homme, en effet, n’'etait autre que Barnab'e, le fossoyeur du cimeti`ere Montmartre.
Les deux amis, tout en choquant leurs verres avant de les vider, discutaient politique avec animation :
— Moi, prof'erait Barnab'e, terriblement ivre, si j’'etais le gouvernement, j’obligerais les bourgeois `a payer les retraites ouvri`eres aux ouvriers `a partir de quarante ans.
Bouzille approuva, en ajoutant :
— Seulement faudrait aussi que le gouvernement vende le tabac gratuit.
— Le tabac ? dit Barnab'e, je m’en fous, je ne fume pas. Non, si j’'etais le gouvernement, ce que je vendrais gratuit et obligatoire, ce serait le demi-setier. Tout honn^ete homme dans la soci'et'e moderne doit avoir droit `a son demi-setier chaque matin et chaque soir.
— Le fait est, reconnut l’autre, que ce n’est pas de trop.
— La r'evolution nous donnera cela, vois-tu, mon vieux Bouzille, il est temps d’en finir. Tiens, buvons `a sa sant'e, nom de nom !
Le fossoyeur qui venait de prof'erer cette derni`ere exclamation, demeura interdit. Son compagnon, soudain, avait disparu :
— Ah, nom de Dieu ! r'ep'eta Barnab'e, ca c’est plut^ot rosse. Il profite de ce que j’ai du vent dans les voiles et du p`eze dans mes profondes pour se d'ebiner sans raquer. Mais je le retrouverai ce salaud de Bouzille et comment que je l’arrangerai si jamais il me tombe entre les pattes.
Bouzille, en effet, s’'etait 'eclips'e, et sans dire mot `a personne, avait bondi hors du Diabolo. Ce n’'etait pas uniquement pour laisser `a Barnab'e la charge totale des consommations. Bouzille 'etait un honn^ete homme ; or, une demi-heure auparavant, il avait recu une gratification d’un client pour faire une commission et Bouzille voulait gagner son argent.
Cette commission consistait `a dire `a Delphine Fargeaux, si comme c’'etait probable, Bouzille la rencontrait, qu’un homme, un certain M. John, d'esirait ardemment lui parler et qu’il l’attendrait jusqu’`a deux heures du matin `a la troisi`eme table `a droite, au Moulin-Rouge.
Or, Bouzille, qui, de l’int'erieur du Diabolosurveillait la place Blanche, avait soudain vu passer la jeune femme et s’'etait pr'ecipit'e.
— 'Ecoute voir, Delphine, lui annonca-t-il, il y a un type chic qui veut faire ta connaissance, il m’a charg'e de te pr'evenir, il t’attend, faut profiter de l’occasion.
Delphine, m'ediocrement satisfaite, toisa l’ancien chemineau :
— Est-ce que j’ai l’habitude d’accepter des combinaisons de ce genre et puis, je me m'efie de tes types chics. Pour toi qu’est-ce que ca doit ^etre ?
— Oh protesta Bouzille, je m’y connais, cet homme-l`a c’est un cocher de bonne maison, j’en suis s^ur, il me l’a d’ailleurs dit, et pas cocher d’une maison `a la manque, il a servi ces derniers temps chez l’infant d’Espagne, don Eugenio.
Cette derni`ere d'eclaration d'ecida Delphine Fargeaux :
— O`u dois-je le rencontrer ?
Bouzille pr'ecisa le rendez-vous, puis, suivit des yeux la jeune femme qu’il vit s’engouffrer sous la vo^ute lumineuse descendant au Moulin-Rouge.
Ainsi que l’avait indiqu'e Bouzille, seul `a la troisi`eme table, `a droite du restaurant, un homme attendait. Il avait le visage h^al'e des gens qui vivent au grand air, une chevelure rousse coup'ee ras, des favoris descendant jusqu’au lobe des oreilles, il 'etait v^etu avec recherche et l’'el'egance sp'eciale qui d'enotait sa profession.