Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Et comme ca, vous partez donc en voyage, que vous emmenez une valise ?
— Mais oui, mon brave homme, je vais au Havre.
— Ah diable ! Eh bien, bonne route, monsieur.
— Merci, et vous, bonne journ'ee.
Plus loin, le pharmacien, le p`ere Michu, 'etait sur le pas de sa porte :
— Oh, oh, M. Fernand Ricard qui s’en va en tourn'ee, dit-il.
— Ma foi oui, je vais au Havre.
— Alors, lui jeta le pharmacien, vous n’^etes pas arriv'e, avec l’Ouest-'Etat [2], vous savez ?
Les deux 'epoux profit`erent d’une accalmie pour causer un peu.
— Je compte sur toi, disait le courtier en vins `a sa femme. Il est bien entendu, n’est-ce pas, que nous allons jouer une grosse partie et qu’il faut, pour la gagner, faire tr`es attention. Pas d’enfantillage, Alice. Tu m’as compris ?
— Mais oui, sois donc tranquille.
— D’ailleurs, tout est si simple qu’il faudrait une rude malchance pour que cela tourne mal.
— J’ai peur, pourtant.
Fernand Ricard haussa les 'epaules :
— Oui ou non, tu veux v'eg'eter encore avec cinq mille francs par an ? Ou bien ?
Une voix jeune, la voix d’un adolescent, les h'ela :
— Ah, monsieur et madame ! Quel plaisir j’ai `a vous apercevoir. Je viens d’acheter les journaux. Vous avez pass'e une bonne nuit ?
C’'etait Th'eodore Gauvin qui venait au-devant d’eux et le jeune homme rougissait. Il ne se trouvait pas `a la gare par hasard, 'etant venu avec l’intention bien arr^et'ee de rencontrer la jolie Alice si, d’aventure, elle accompagnait son mari jusqu’au rapide du Havre.
— Je ne vous d'erange pas, au moins ? reprit le jeune homme. Vous partez ce matin, monsieur Ricard ?
— Nous d'eranger ? Mais vous n’y pensez pas, monsieur Gauvin, j’ai toujours plaisir `a vous rencontrer. D’ailleurs vous ^etes tr`es sympathique `a ma femme.
Il y avait peut-^etre une l'eg`ere raillerie dans ces paroles, mais le jeune homme ne s’en apercut pas. Affair'e, il proposait `a M me Ricard :
— Voulez-vous me permettre de tenir votre ombrelle et de vous abriter ? M. Ricard va aller prendre son billet et certainement, vous risquez un coup de soleil.
— Non, non, ripostait Alice, nous allons passer dans la salle.
Il y avait dans la salle d’attente de seconde classe trois personnes, dont deux 'etaient connues des Ricard.
— Comme ca, vous partez en voyage ? s’informait un gros homme 'etabli depuis plus de vingt ans mercier `a Vernon et qui s’en allait `a Rouen faire des affaires, cependant qu’`a c^ot'e de lui, une jeune femme `a la mine pinc'ee, l’institutrice, demandait, elle aussi :
— Vous prenez le train de Paris, madame ?
`A ce moment, Fernand Ricard revenait, tra^inant toujours sa valise :
— Ma femme ne part pas, d'eclarait-il. Elle va, au contraire, rester bien tranquille ici. C’est moi qui m’en vais, qui m’en vais au Havre.
Et Fernand Ricard, posant sa valise sur un banc, exhiba son coupon de voyage, le lut :
— Tiens, je ne savais pas, disait-il, que ce billet me donnait droit `a un arr^et facultatif.
— Ah, vraiment ?
— Vous voyez, insista Fernand Ricard : trajet de Paris au Havre avec arr^et facultatif `a Rouen.
— En effet, dit le jeune homme.
Mais Th'eodore pensait `a tout autre chose. Il retourna pr`es de M me Ricard et demanda :
— Vous serez donc chez vous cet apr`es-midi, sans doute, madame ? Si jamais vous aviez des courses `a faire ou bien un travail, n’importe quoi, enfin, pendant l’absence de M. Ricard, je me mets `a votre disposition.
`A ce moment, dans un grand brouhaha, un bruit de freins serr'es et criant sur ses roues, le rapide du Havre entrait en gare.
— Vite, vite ! dit Fernand Ricard.
Il souleva sa valise, et, suivi de tout le monde, passa sur le quai.
— Surtout, recommanda-t-il `a sa femme, fais attention, ma ch`ere, `a bien fermer la porte `a double tour ce soir. Ne sors pas non plus sur la route sans prendre des pr'ecautions. Les automobiles passent si vite devant notre maison que j’ai toujours peur d’un accident !
— Ne te fais donc pas de mauvais sang, dit-elle. Ne t’inqui`ete aucunement. Je resterai chez moi bien tranquille, je ne sortirai m^eme pas.
— Mais, je ne t’en demande pas tant, ma ch`ere Alice ! Seulement, sois prudente.
`A quelques pas de l`a, pr'ecis'ement, le chef de gare causait avec l’un des gros rentiers de Vernon, arriv'e par le train de Paris.
— Comme ils sont gentils, disait l’honorable fonctionnaire. Vraiment il n’y a pas de m'enage plus uni dans toute la ville. Chaque fois que M. Ricard s’en va, sa femme l’accompagne jusque sur le quai, et ce sont des recommandations sans fin. Vous entendez ?
Alice `a son tour, en effet, semblait s’inqui'eter pour son mari :
— Et toi, disait-elle, sois bien prudent aussi. Regarde si la porti`ere est bien ferm'ee. Ah, et puis, ne prends pas froid. J’ai mis des gilets de laine dans le compartiment gauche de la valise.
Apr`es un petit silence, Alice ajouta une recommandation qui faisait tressaillir Fernand Ricard et que cependant, personne ne devait remarquer :
— Surtout sois bien exact, disait la jeune femme. Fais exactement ce que nous avons arr^et'e.
— Entendu.
`A ce moment, les porti`eres claquaient.
— En voiture pour Le Havre ! Allons pressons un peu. En voiture !
— Bonne route, monsieur Ricard, cria encore Th'eodore Gauvin et ne vous faites point de mauvais sang, je vais accompagner M me Alice jusque chez vous.
Il y eut un coup de sifflet bref et strident, un grand bruit de vapeur s’'echappant, des grincements de cha^ine, puis le train s’'ebranla.
— `A dans trois jours ! criait Fernand Ricard.