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ЖАНРЫ

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Dans sa lettre, Jean Beaufret ne dit pas un mot concernant cette sommation totale. C’est qu’`a ce propos le requiert une autre question: d’o`u vient la sommation de poser, de disposer, d’installer qui anime la technique comme si c’'etait son foyer? Nous devons redoubler de prudence, car se demander d’o`u cela vient — malgr'e les apparences — ce n’est en aucune facon s’interroger sur une “origine” (ce mot entendu encore au sens habituel). Ce n’est pas demander quelle est la provenance de la technique, mais: ^etre apr`es `a questionner son avenance.

Pour ne pas nous y perdre, suivons plus que jamais Jean Beaufret. La question de la technique, a-t — il 'ecrit, demande que l’on remonte par del`a Aristote jusqu’`a H'eraclite parce que cette question des questions “dem Geheimnis selbst entspricht”. Si nous ne donnons pas `a chacun des mots leur sens le plus rempli, nous ne sommes tout simplement plus l`a o`u nous a men'e jusqu’ici Jean Beaufret. Voyons-les donc un `a un.

Le verbe: Entsprechen. C’est parler (sprechen) en disant le mot qui est un vrai r'epondant, en ce qu’il tire de ce dont il parle (ent-) ce qu’il tente de nommer. Cette parole qui r'epond, elle r'epond `a…, pour autant qu’elle r'epond de….`A quoi r'epond-elle, et de quoi? “Dem Geheimnis selbst”.

Avec ce mot de “Geheimnis” nous rencontrons `a nouveau le pr'efixe ge-, et dans la m^eme acception de rassemblement. “Geheimnis” a couramment le sens de notre “secret”. Ce mot: “secret”, il suffit de l’entendre parler latin, c’est—`a-dire venir de secernere, secretum: ce qui a 'et'e soigneusement mis `a part, pour ne pas ^etre trop loin de “Geheimnis”. “Ge-heimnis”, c’est d’abord ce qui n’est confi'e qu’aux familiers, `a ceux qui savent les ^etres de la maison, et qui gardent secret ce savoir. Soit.

Mais ainsi nous n’avons pas encore atteint le secret du secret. “Geheimnis”, c’est en effet le secret lui-m^eme, non plus compris ext'erieurement, en tant qu’il est gard'e par ceux auxquels il serait confi'e. N’est v'eritable secret que ce qui, de soi-m^eme, se garde soi-m^eme secret. Telle est ici l’indication du pr'efixe. Tant que nous ne quittons pas la repr'esentation anthropologique du secret, o`u ce dernier est une sorte de contrat entre gens qui conviennent de ne pas divulguer une information qu’ils jugent plus prudent de garder pour eux, il nous est impossible de comprendre ce secret qu’est le Geheimnis (tel que l’entendent de conserve Jean Beaufret et Martin Heidegger).

Reste le petit mot “selbst”, qui apparemment vient s’ajouter `a Geheimnis, alors qu’en r'ealit'e, c’est lui le secret du secret. Car si Geheimnis est bien ce qui, gardant le secret, se rassemble pour mieux le garder, “selbst” est l’index de ce que j’aimerais appeler la r'eflexivit'e pure (c’est—`a-dire une r'eflexivit'e qui pr'ec`ede et rend possible, par exemple chez l’^etre humain, de “r'efl'echir” au sens o`u nous prenons couramment ce mot, alors qu’en r'ealit'e, la v'eritable r'eflexivit'e n’est rien d’autre que le fait de faire ce que l’on fait, en le faisant comme il faut le faire, c’est—`a-dire: pour faire que cela se fasse, c’est—`a-dire se fasse uniquement en relation `a soi).

Ce que le foyer de vivacit'e de la technique a d’irr'esistible, 'ecrit ainsi pos'ement Jean Beaufret, r'epond au secret m^eme — entendons, au secret: soi-m^eme.

Vont aussit^ot suivre trois mises au point, pour ne pas laisser ce qui vient d’^etre atteint dans une ind'etermination qui laisserait 'echapper ce de quoi l’on a d'ej`a r'eussi `a s’acquitter.

La premi`ere est en apposition `a “Geheimnis selbst” — et cite deux mots du Fgt. 123 d’H'eraclite. Le secret: soi-m^eme — en d'autres termes: le kruvptesqai de la fuvsi".

Kruvptesqai, `a la voix moyenne, c’est—`a-dire cette voix, qui — du moins pour la langue grecque — articule les formes verbales de ce que je viens de nommer une r'eflexivit'e pure (o`u ce qu’indique le verbe, son “action”, s’accomplit relativement `a l’accomplissement m^eme), kruvptesqai, c’est, pour la fuvsi": se mettre en retrait. Pour peu que l’on entende fuvsi" comme “la lev'ee o`u ne cesse de poindre tout ce qui est en train d’'eclore”, il faut se rendre `a la paradoxale 'evidence que le secret de l’'eclosion n’est autre que le mouvement antith'etique par lequel la fuvsi" ne se manifeste pas, c’est—`a-dire se retire pour mieux se garder soi-m^eme. Souvenons- nous ici de la traduction du Fgt 123 par Jean Beaufret:

«Rien n’est plus cher `a l’'eclosion que le retrait.»

La deuxi`eme mise au point est une nouvelle apposition, cette fois aux deux mots d’H'eraclite. Nous avons ainsi une troisi`eme nomination du secret. Le secret: soi-m^eme, est dit `a pr'esent comme: “das verborgene «Dass».” “Dass” est la conjonction du fait que — de l’'ev'enement qui a lieu. En fait, “das verborgene «Dass»” reprend et traduit “le kruvptesqai de la fuvsi"”. En effet l’'ev'enement, le “quod” dont il est question ici, c’est l’'eclosion- m^eme de tout ce qui est, mais comprise cette fois comme restant en retrait, comme se retirant d’autant plus et d’autant mieux que ce qui fait apparition en est venu remplir tout l’horizon.

Reste la troisi`eme mise au point. Elle met en rapport le secret que nomme H'eraclite — l’'echapp'ee de l’'eclosion, le fait que l’'eclosion 'echappe et se d'erobe, comme foyer de futurition de la fuvsi" — elle met en rapport ce secret avec toute l’histoire de la pens'ee philosophique. Cette 'echapp'ee, dit Jean Beaufret “par quoi est port'ee l’histoire tout enti`ere de l’all'egie de l’estre”.

Relisons:

«Je crois que je vois, encore mieux qu’`a Messkirch, l’extraordinaire difficult'e de “Die Frage nach der Technik”. Car il s’agit de la question des questions, qui par-del`a Aristote, remonte jusqu’`a H'eraclite, aussi loin faut-il en effet remonter pour autant que l’irr'esistible, dans le foyer de muance de la technique, r'epond au secret des secrets: soi-m^eme, r'epond au kruvptesqai de la fuvsi", r'epond au fait en retrait gue <la fuvsi" se retire en soi>, par quoi l’histoire tout enti`ere de l’all'egie de l’estre est port'ee.»

L’histoire de l’all'egie — croyez bien que ce n’est pas sans avoir h'esit'e que je vous propose ce matin de rendre ainsi la locution “ Lichtu ngsgesch ichte”.

“Lichtung”, Jean Beaufret l’entendait, `a juste titre, comme “'eclaircie”. “L’'eclaircie dans la for^et” correspond exactement `a l’allemand “Waldlichtung”. C’est la clairi`ere, o`u la densit'e des arbres cesse d’^etre compacte. Pourquoi ne pas en rester `a “'eclaircie” ou “clairi`ere”? Pour une raison simple, `a savoir que le mot Lichtung, comme l’a remarqu'e Heidegger lui-m^eme, et comme il y insiste, n’a pas — malgr'e les apparences — rapport au substantif “das Licht” (la lumi`ere) [102] . Exactement comme l’anglais “light”, l’adjectif “licht” [son doublet “leicht” est aujourd’hui plus en usage] a bien l’acception du latin levis, ce qui est l'eger, rapide.

102

Entendons-nous bien: le mot de “clairi`ere”, ainsi que celui de “clart'e”, n’a pas non plus de rapport avec la lumi`ere. Ils viennent du radical *kel (appeler, clamer). Pour que retentisse un appel, il faut bien qu’il y ait un espace libre, plus exactement un espace d'egag'e. Mais rien n’est dit, avec “clairi`ere” ou “'eclaircie”, sur le rapport possible entre l’appel et le d'egagement de l’espace o`u l’appel retentit. Or Lichtung dit pr'ecis'ement la mani`ere dont a lieu le d'esemcombrement de l’espace lib'er'e.

Le verbe “lichten” n’a donc pas, contrairement `a ce que l’on croit (tant que l’on relie l’adjectif “licht” au substantif das Licht: la lumi`ere) le sens d’apporter de la lumi`ere, mais bien celui d’enlever `a ce qui est trop dense de sa compacit'e. Une autre nuance pr'ecieuse vient s’ajouter, celle de la locution “den Anker lichten”, “lever l’ancre”. C’est la nuance du d'epart. Quand vous avez lev'e l’ancre pour de bon, tous les rivages connus ne tardent pas `a dispara^itre derri`ere vous.

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