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Avec sa terminaison typique, Lichtung doit s’entendre comme un mot qui d'esigne un mouvement o`u quelque chose s’accomplit. “Die Lichtung” n’est pas un lieu, tant s’en faut. Avec elle, quelque chose a lieu, quelque chose ayant directement `a voir avec un d'esancrage, qui vous lib`ere pour partir au loin, le coeur l'eger.

Il se trouve que, pour dire le fait de rendre l'eger et muable, notre langue conna^it, sans qu’il se confonde avec all'eger, son presque homonyme: all'egir. All'eger, c’est tout simplement ^oter du poids. All'egir dit tr`es finement la mani`ere dont ce qui est trop compact est rendu plus d'eli'e. All'egir, en effet, c’est, partout o`u s’en pr'esente la possibilit'e, ^oter tout ce qui est en exc`es. All'egir est ainsi bien plus pr`es d’affiner que d’all'eger. Encore faut-il ne pas prendre de mani`ere trop superficielle cet affinement.

On peut lire dans Le P`ere Goriot, au d'ebut du deuxi`eme chapitre, une lettre de Laure de Rastignac `a son fr`ere, o`u est rapport'e ce que se demandait leur soeur Agathe: “Est-ce que le bonheur nous all'egirait?”. S’agissant du bonheur, comment douter encore qu’all'egir puisse concerner quelque chose de superficiel. Le bonheur all'egit de tout ce qui vous accable, mais `a la mani`ere dont les 'ecailles tombent des yeux — c’est—`a- dire selon cette 'economie souveraine o`u un changement infime, en apparence, bouleverse enti`erement ce qui jusqu’alors semblait avoir atteint sa forme intangible.

All'egir a pour particularit'e fondamentale de mener ce qui est all'egi `a ne plus rien comporter en lui qui soit superflu ou ext'erieur, de le lib'erer de tout ce qui n’est pas lui, de le mettre enfin en 'etat d’^etre soi et rien que soi.

Entendre en ce mot d’“all'egie” cette lib'eration qui est d'epart vers soi, et nous voil`a, je crois, nous-m^emes en 'etat de comprendre ce que dit “Lichtung” chez Heidegger. Tout comme le verbe “lichten”, ce mot est pr'esent chez lui depuis toujours, et dessine pour ainsi dire l’une des voies de cheminement auxquelles il a 'et'e le plus fid`ele et qu’il a suivies avec le plus de fruit. “Lichtung”, all'egie, en effet, aident — une fois nomm'ees en nos langues — `a s’approcher de l`a o`u devient possible de penser ce que les Grecs ont 'eprouv'e et appel'e: ajlhvqeia — et que la philosophie d’apr`es les Grecs concoit sous le nom de v'erit'e.

Ce que Jean Beaufret 'ecrit, il importe que nous le comprenions dans son mouvement. Car ce mouvement est tout particuli`erement exemplaire. Exemplaire pour nous qui sommes `a pr'esent nous aussi apr`es `a questionner la technique. Dans la derni`ere version que j’ai donn'ee de ce fragment de lettre, j’ai tent'e d’en faire para^itre la scansion en r'ep'etant le verbe sur lequel Jean Beaufret oriente son attention: le verbe “r'epondre”.

Quand on est vraiment — en questionnant — apr`es la technique, c’est une g'en'ealogie tr`es singuli`ere qui vient s’exposer de soi-m^eme. Mais d’une mani`ere si inhabituelle, que l’on est soudain ailleurs que dans un type connu de discours. Le passage du francais `a l’allemand n’est que l’indice visible d’un d'ecalage beaucoup plus troublant.

Disons-le sans circonlocutions: lorsque Jean Beaufret et Heidegger parlent de “secret”, ils se trouvent en r'ealit'e l’un comme l’autre absolument ailleurs que l`a o`u l’on croit qu’ils sont. “Secret”, n’en d'eplaise aux simplificateurs, n’a rien `a voir avec “myst`ere”. Le secret auquel nous convie d’avoir attention Jean Beaufret, c’est

«das verborgene “Dass”, durch das die ganze Lichtungsgeschichte des Seyns getragen ist.»

“Dass” (en grec o{ti, en latin quod) n’est autre que la conjonction du constat — le constat que c’est ainsi.

Le “que” dont il est ici question, c’est non pas quelque chose par quoi, mais bien: le simple fait que “l’histoire tout enti`ere de l’all'egie de l’estre est port'ee”. Mais ce fait est dit “verborgen”: bien `a l’abri en retrait (et non pas “cach'e” — qui n’a ici strictement aucun sens, sinon incongru).

Parler de l’histoire tout enti`ere de l’all'egie de l’estre, formulation qui invite `a aller de l’avant, c’est tout aussi bien nommer l’histoire enti`ere de la philosophie, en tant que cette derni`ere est histoire de la v'erit'e. La v'erit'e, au sein d’une philosophie devenue discipline d’'ecole n’est autre que l’avatar de l’ajlhvqeia des anciens Grecs. Au coeur de l’ajlhvqeia, Heidegger nous convie `a penser une ressource de retrait qui n’est autre que le secret- m^eme.

Je voudrais encore rapidement ajouter deux compl'ements. D’abord, le premier, qui se rattache directement `a ce qui vient d’^etre dit. Si notre technique, en ce qu’elle a de plus secret, est en rapport avec l’histoire philosophique de la v'erit'e, il est ais'e de saisir `a pr'esent ce qui a n’'et'e qu’effleur'e en commencant. Il n’y aura pas d’apr`es la technique au sens de quelque chose qui lui ferait suite — 'eventuellement pour la remplacer avantageusement — , parce que la technique est bien, dans l’acception stricte du terme, la v'erit'e de notre monde. Avec la technique, l’^etre humain est au monde comme il ne l’avait encore jamais 'et'e avant la technique: car avant la technique, il n’'etait pas en rapport de v'erit'e au monde.

Mais ^etre en rapport de v'erit'e au monde n’implique justement pas que nous soyons livr'es pieds et poings li'es au “d'echa^inement” de la technique. Penser ce qu’elle est, c’est—`a-dire ^etre apr`es `a la questionner, pour entrer dans le mouvement de sa v'erit'e, ne peut que changer du tout au tout notre rapport `a elle. Penser la technique — ce qui s’appelle “penser” — ouvre une 'echapp'ee sur un rapport libre `a la technique, un rapport o`u nous ne serions tout simplement plus somm'es de consommation.

Mais pour cela, il faut penser. J’en viens ainsi au second compl'ement. La derni`ere phrase de la conf'erence de 1953 d'eclare:

«Das Fragen ist die Fr"ommigkeit des Denkens»

Il s’agit, dans cette derni`ere phrase, de “questionner” et de “penser”; et il s’agit de ce qui lie les deux, que Heidegger nomme “Fr"ommigkeit”. Dans les dictionnaires, ce mot est rendu par “pi'et'e”. Pourtant, traduire: “Questionner est la pi'et'e de la pens'ee” est impossible; pas seulement parce que cela donne de quoi ricaner `a certains imb'eciles, mais pour une raison de fond: la pi'et'e — la pietas romaine — contient, indissolublement li'ee `a elle, un 'el'ement de ritualit'e qui n’est tout simplement plus `a la mesure du temps o`u nous vivons.

Une page avant la derni`ere, Heidegger prend soin d’expliquer ce que signifie “fromm” (l’adjectif d’o`u est tir'e “Fr"ommigkeit”). Il 'ecrit: “fromm, provmo", d. h. f"ugsam dem Walten und Verwahren der Wahrheit.” Tout en s’appuyant sur le mot grec provmo", Heidegger revient n'eanmoins `a ce temps qui est n^otre, et d'ecrit par cons'equent, si cela pouvait se dire, une “pi'et'e non rituelle”. Elle est “f"ugsam” — en premi`ere approximation: “docile”. Mais plut^ot qu’une docilit'e, il faudrait entendre ici une “docibilit'e”, c’est—`a-dire la disposition 'etonnante `a se laisser apprendre de ce qu’il s’agit de savoir comment il convient de s’en approcher. Traduisons:

«fromm, provmo", c’est—`a-dire docilis'e, rendu souple et apte `a prendre sa forme du r`egne souverain de la v'erit'e, et de ce que vous en demande la peine de la prendre en garde.»

Provmo" — chez Hom`ere, c’est celui qui, `a la bataille, se porte en avant, celui qui sort des lignes pour affronter un adversaire seul `a seul.

Dans sa traduction de la Bible, Luther nomme “fromm” le Patriarche No'e, que la Vulgate qualifie de “vir justus”. Olga Sedak^ova, po`ete russe, notre contemporaine, 'evoque dans le texte qui s’intitule Voyage `a Dorpat et retour une c'er'emonie fun`ebre `a l’Universit'e de cette ville, o`u le cort`ege du monde acad'emique passe devant le cercueil d’un savant qui avait jou'e un r^ole 'eminent dans le maintien du niveau spirituel `a l’'epoque du socialisme r'eel. “Une c'er'emonie s'eculi`ere, 'ecrit-elle, 'elev'ee gr^ace `a une vieille tradition universitaire au rang d’une autre, une non-eccl'esiale blago©estie [blagotchesti'e]: pietas.”

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