Том 7. О развитии революционных идей в России
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Pol'evo"i, connaissant le go^ut du public, an'eantissait ses ennemis par des articles mordants. Il r'epondait par une plaisanterie aux observations savantes et par une impertinence qui faisait rire aux 'eclats `a une dissertation ennuyeuse. On ne peut se faire une id'ee de la curiosit'e avec laquelle le public suivait la marche de cette pol'emique. On e^ut dit qu'il comprenait qu'en attaquant les autorit'es litt'eraires, Pol'evo"i avait en vue d'autres autorit'es. Il profitait en effet de chaque occasion pour toucher les questions les plus 'epineuses de la politique et il le faisait avec une adresse admirable. Il disait presque tout, sans qu'on p^ut jamais s'en prendre `a lui. Il faut le dire, la censure contribue puissamment `a d'evelopper le style et l'art de ma^itriser sa parole. L'homme, irrit'e par un obstacle qui l'offense, veut le vaincre et y parvient presque toujours. La p'eriphrase porte en elle les traces de l''emotion, de la lutte; elle est plus passionn'ee que le simple 'enonc'e. Un mot sous-entendu est plus fort sous son voile, toujours transparent pour celui qui veut comprendre. La parole comprim'ee concentre plus de sens, elle est aigre; parler de la mani`ere que la pens'ee soit lucide mais que les mots viennent au lecteur lui-m^eme, c'est la meilleure mani`ere de convaincre. Les sous-entendus augmentent la force de la parole, la nudit'e comprime l'imagination.Le lecteur qui sait combien l''ecrivain doit se tenir en garde lit avec attention; un lien secret s''etablit entre lui et l'auteur: l'un cache ce qu'il 'ecrit, l'autre ce qu'il comprend. La censure aussi est une toile d'araign'ee qui prend les petites mouches et que les grandes d'echirent. Les personnalit'es, les allusions meurent sous l'encre rouge; les pens'ees 'energiques, la po'esie v'eritable passent avec m'epris `a travers ce vestiaire, en se laissant tout au plus un peu brosser [9]
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Apr`es la r'evolution de 1848, la censure est devenue a monomanie de Nicolas. Non content de la censure ordinaire et des deux censures qu il a 'etablies hors de ses Etats, `a Iassy et `a Bucarest, o`u l'on n''ecrit pas en russe, il a cr'e'e une seconde censure `a Petersburg; nous sommes disposes `a esp'erer que cette double censure sera plus utile que la censure simple. On arrivera `a imprimer les livres russes hors de la Russie, on le fait d'ej`a, et c'est `a savoir qui sera plus adroit, de la parole libre ou de l'empereur Nicolas.
Avec le T'el'egraphe, les revues commencent `a dominer dans la litt'erature russe. Elles absorbent tout le mouvement intellectuel On achetait peu de livres, les meilleures po'esies et nouvelles voyaient le jour dans les revues, et il fallait quelque chose d'extraordinaire, un po`eme de Pouckhine ou un roman de Gogol, pour attirer l'attention d'un public aussi clairsem'e, que l'est celui des lecteurs en Russie. Dans aucun pays, l'Angleterre except'ee, l'influence des revues n'a 'et'e aussi grande. C'est en effet la meilleure forme pour r'epandre la lumi`ere dans un pays vaste. Le T'el'egraphe, le Messager de Moscou, le T'elescope, la Biblioth`eque de lecture, les Annales patriotiques et leur fils naturel le Contemporain, sans 'egard `a leur tendance tr`es diverse, ont r'epandu une quantit'e immense de connaissances, de notions, d'id'ees pendant les derni`eres vingt-cinq ann'ees. Elles mettaient les habitants des gouvernements d'Omsk et de Tobolsk dans la possibilit'e de lire les romans de Dickens ou de George Sand, deux mois apr`es leur apparition `a Londres ou `a Paris. Leur p'eriodicit'e m^eme avait, l'avantage de r'eveiller les lecteurs paresseux.
Pol'evo"i a trouv'e le moyen de continuer le T'el'egraphe jusqu'en 1834. Et pourtant la pers'ecution de la pens'ee redoubla apr`es la r'evolution de Pologne. L'absolutisme vainqueur perdit toute fausse honte, toute pudeur. On punissait les espi`egleries d''ecoliers comme des r'evoltes `a main arm'ee, on exilait des enfants de 15 `a 16 ans, on les faisait soldats `a vie. Un 'etudiant de l'Universit'e de Moscou, Pol'eja"ieff, d'ej`a connu par ses po'esies, fit quelques vers lib'eraux. Nicolas, sans le faire juger, le fit venir chez lui, lui ordonna de lire ses vers `a haute voix, l'embrassa et l'envoya comme simple soldat dans un r'egiment, peine absurde qui ne pouvait surgir que dans l'esprit d'un gouvernement insens'e qui prend l'arm'ee russe pour une maison de correction ou pour un bagne. Huit ans apr`es, le soldat Pol'eja"ieff mourut `a l'h^opital militaire. Un an plus tard, les fr`eres Kritzki, 'egalement 'etudiants de Moscou, allaient aux colonies disciplinaires pour avoir, si je ne me trompe pas, cass'e le buste de l'empereur. Depuis, personne n'a entendu parler d'eux. En 1832, sous le pr'etexte d'une soci'et'e secr`ete, on arr^etait une douzaine d''etudiants qu'on envoyait ensuite aux garnisons d'Orenbourg o`u on leur adjoignait le fils d'un ministre luth'erien, Jules Kolreif, qui n'a jamais 'et'e sujet russe, qui ne s'est jamais occup'e que de musique, mais qui avait os'e dire qu'il ne voyait pas de devoir `a d'enoncer ses amis. En 1834, on nous jeta, mes amis et moi, dans les prisons, et, apr`es huit mois, on nous exila en qualit'e de scribes aux chancelleries des provinces 'eloign'ees. On nous accusait de l'intention de former une soci'et'e secr`ete et de vouloir faire de la propagande saint-simonien-ne; on nous lut, par forme de mauvaise plaisanterie, la sentence de mort et l'on nous annonca que l'empereur, avec la bont'e impardonnable qui le caract'erise, n'avait ordonn'e contre nous qu'une peine correctionnelle – l'exil. Cette punition a dur'e plus de cinq ans.
Le T'el'egraphe fut suspendu le m^eme an 1834. Pol'evo"i, en perdant son journal, se trouva d'erout'e. Ses essais litt'eraires ne march`erent plus; aigri et d'esappoint'e, il quitta Moscou pour aller vivre `a P'etersbourg. Un 'etonnement douloureux accueillit les premiers num'eros de sa nouvelle revue (Le Fils de la Patrie).
Il devint soumis, flatteur. C''etait triste de voir ce lutteur audacieux, cet ouvrier infatigable, qui avait su traverser les temps les plus difficiles, sans d'eserter son poste, transiger avec ses ennemis, d`es qu'on eut suspendu sa revue. C''etait triste d'entendre le nom de Pol'evo"i accoupl'e aux noms de Gretch et de Boulgarine, triste aussi d'assister `a la repr'esentation de ses pi`eces dramatiques applaudies par les agents secrets et les laquais officiels.
Pol'evo"i sentait sa chute, il en souffrait, il devint abattu. Il voulait m^eme sortir de sa fausse position, se justifier, mais il Q'en avait pas la force et il se compromettait ainsi aupr`es du gouvernement sans rien gagner vis-`a-vis du public. Sa nature plus noble que sa conduite ne pouvait supporter longtemps cette lutte. Il mourut bient^ot, laissant ses affaires dans un d'esarroi complet. Toutes ses concessions ne lui ont rien apport'e.
Il y eut deux continuateurs de l'oeuvre de Pol'evo"i, S'enkofski et B'elinnski.
S'enkofski, Polonais russifi'e, orientaliste et acad'emicien, a 'et'e un 'ecrivain plein d'esprit, grand travailleur, sans aucune opinion, `a moins d'appeler opinion un profond m'epris des hommes et des choses, des convictions et des th'eories. S'enkofski fut le v'eritable repr'esentant du pli que l'esprit public avait pris depuis 1825, un vernis brillant mais glac'e, un sourire de d'edain qui cachait souvent un remords, une soif de jouissance aiguillonn'ee par l'incertitude qui planait sur le sort de chaque homme, un mat'erialisme moqueur et pourtant triste, des plaisanteries g^en'ees d'homme en prison.
B'elinnski fut l'antith`ese de S'enkofski, c''etait un type de la jeunesse studieuse de Moscou, martyr de ses doutes et de ses pens'ees, enthousiaste, po`ete dans la dialectique, froiss'e par tout ce qui l'entourait, il se consumait en tourments. Cet homme palpitait d'indignation et fr'emissait de rage au spectacle 'eternel de l'absolutisme russe.
S'enkofski fonda sa revue comme on fonde une entreprise commerciale. Nous ne partageons pas cependant l'avis de ceux qui voyaient en elle une tendance gouvernementale. Elle fut lue avec avidit'e dans toute la Russie, ce qui n'est 'jamais arriv'e `a un journal ou `a un livre 'ecrit dans les int'er^ets du pouvoir.L'Abeille du Nord prot'eg'ee par la police, n'a fait une exception `a cette r`egle qu'en apparence, c''etait la seule feuille politique et non officielle qui f^ut tol'er'ee, ce qui explique sa vogue; mais d`es que les journaux officiels ont eu une r'edaction supportable, l’Abeille du Nord a 'et'e d'elaiss'ee par ses lecteurs. Il n'y a pas de gloire, de r'eputation qui ait pu supporter le contact mortel et avilissant du gouvernement. Tous ceux qui lisent en Russie d'etestent le pouvoir; tous ceux qui l'aiment ne lisent pas ou ne lisent que des futilit'es francaises. Pouchkine, la plus grande illustration russe a 'et'e d'elaiss'e quelque temps pour un compliment qu'il a fail `a Nicolas, apr`es le chol'era, et pour deux po'esies politiques. Gogol, l'idole des lecteurs russes, tomba tout `a coup dans le plus profond m'epris pour une brochure servile. Pol'evo"i s''eclipsa le jour o`u il fit alliance avec le gouvernement. On ne pardonne pas en Russie `a un ren'egat.
S'enkofski parlait avec m'epris du lib'eralisme et de la science, mais en revanche, il n'avait de respect pour rien. Il s'imaginait ^etre 'eminemment pratique, parce qu'il pr^echait un mat'erialisme th'eorique, et, comme tous les th'eoriciens, il a 'et'e d'epass'e par d'autres th'eoriciens beaucoup plus abstraits, mais qui avaient des convictions ardentes, ce qui est infiniment plus pratique et plus pr`es de l'action que la practologie.
Ridiculisant tout ce qu'il y a de plus sacr'e pour l'homme, S'enkofski, sans le vouloir, d'etruisait dans les esprits le monarchisme. Pr^echant le confort, les joies sensuelles, il amenait les hommes `a la pens'ee tr`es simple qu'il est impossible de jouir en pensant continuellement aux gendarmes, aux d'enonciations et `a la Sib'erie, que la peur n'est pas confortable, et qu'il n'y a pas d'homme qui puisse bien d^iner s'il ne sait pas o`u il couchera.
S'enkofski 'etait de son temps; en balayant `a l'entr'ee d'une nouvelle 'epoque, il m^elait des objets de valeur avec la poussi`ere, mais il d'eblayait le terrain pour un autre temps qu'il ne comprenait pas. Il le sentait lui-m^eme, et, d`es que quelque chose de nouveau et d''energique eut perc'e dans la litt'erature, S'enkofski plia ses voiles, et s'effaca bient^ot compl`etement.
S'enkofski avait 'et'e entour'e d'un cercle de jeunes litt'erateurs qu'il perdait en corrompant leur go^ut. Ils introduisirent un genre qui paraissait brillant `a la premi`ere vue et frelat'e `a la seconde. Po'esie de P'etersbourg, ou mieux encore de Vassileiostrov [10] , il n'y avait rien de vivant, de r'eel dans les images hyst'riques qu''evoquaient les Koukolnik, les B'en'ediktoff, les Timof'e"ie^if etc. De pareilles fleurs ne pouvaient s''epanouir qu'aux pieds du tr^one imp'erial et `a l'ombre de la forteresse de Pierre et Paul.
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Une sorte de Quartier Latin, centre d'habitation des hommes de tres et d'artistes, inconnus dans les autres parties de la ville.
A Moscou, la revue qui remplaca le T'el'egraphe supprim'e fut le T'elescope; cette revue n'a pas eu autant de long'evit'e que celle qui l'avait pr'ec'ed'ee, mais sa mort fut des plus glorieuses. Ce fut elle qui ins'era la c'el`ebre lettre deTchaada"ieff. La revue fut imm'ediatement supprim'ee, le censeur mis `a la retraite, le r'edacteur en chef exil'e a Oust-Syssolsk. La publication de cette lettre fut un 'ev'enement des plus graves. Ce fut un d'efi, un signe de r'eveil; elle rompit la glace apr`es le 14 d'ecembre. Enfin, il vint un homme dont l'^ame d'ebordait d'amertume; il trouva une langue terrible pour dire avec une 'eloquence fun`ebre, avec un
Sans ^etre d'accord avec Tchaada"ieff, nous comprenons parfaitement la voie qui l'a conduit `a ce point de vue noir et d'esesp'er'e; d autant plus, que jusqu'`a pr'esent les faits parlent pour lui et non contre lui. Nous croyons; et lui, il n'a qu'a montrer du doigt; uous esp'erons, et il lui suffit d'ouvrir un journal pour prouver qu'il raison. La conclusion `a laquelle arrive Tchaada"ieff ne peut soutenir aucune critique, et ce n'est point l`a qu'il faut chercher l'importance de cette publication; c'est par le lyrisme de son indignation aust`ere qui secoue l'^ame et la laisse longtemps sous une impression p'enible, qu'elle conserve sa signification. On a reproch'e `a l'auteur sa duret'e, mais c'est elle qui fait son plus grand m'erite. On ne doit pas nous m'enager; nous oublions trop vite notre position, nous sommes trop habitu'es `a nous distraire entre les murs d'une prison.