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ЖАНРЫ

Том 7. О развитии революционных идей в России
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Un cri de douleur et de stup'efaction accueillit cet article il effraya, il blessa m^eme ceux qui en partageaient les sympathies, et pourtant il n'avait fait qu''enoncer ce qui agitait vaguement l'^ame de chacun de nous. Qui de nous n'a pas eu ces moments de col`ere, dans lesquels il ha"issait ce pays qui n'a que des tourments pour r'eponse `a toutes les aspirations g'en'ereuses de l'homme, qui se h^ate de nous r'eveiller pour nous appliquer la torture? Qui de nous n'a pas d'esir'e de s'arracher `a tout jamais de cette prison qui oceupe le quart du globe terrestre; `a cet empire monstre o`u chaque commissaire de police est un souverain et le souverain un commissaire de police couronn'e? Qui de nous ne s'est pas livr'e `a tous les entra^inements pour oublier cet enfer frapp'e `a la glace, pour obtenir quelques moments d'ivresse et de distraction? Nous voyons maintenant les choses d'une autre face, nous envisageons l'histoire russe d'une autre mani`ere, mais il n'y a pas de raison pour nous r'etracter ou pour nous repentir de ces moments de d'esespoir; nous les avons pay'es trop cher pour les c'eder; ils ont 'et'e notre droit, notre protestation, ils nous ont sauv'es.

Tchaada"ieff se tut, mais on ne le laissa pas tranquille. Les aristocrates de P'etersbourg, ces B'enk'endorf, ces Kleinmikhel s'offens`erent pour la Russie. Un grave allemand, Viguel, chef probablement protestant, du d'epartement des cultes, se gendarma pour l'orthodoxie russe. L'empereur fit d'eclarer Tchaada"ieff atteint d'ali'enation mentale. Cette farce de mauvais go^ut ramena `a Tchaada"ieff m^eme ses ennemis; son influence `a Moscou s'en accrut. L'aristocratie m^eme baissa la t^ete devant cet homme de la pens'ee et l'entoura de respect et d'attention, donnant ainsi un d'ementi 'eclatant `a la plaisanterie imp'eriale.

La lettre de Tchaada"ieff r'esonna comme une trompette d'appel; le signal fut donn'e et de tous c^ot'es partirent de nouvelles voix; de jeunes lutteurs entr`erent dans l'ar`ene, t'emoignant du travail silencieux qui s''etait fait pendant ces dix ann'ees.

Le 14 (26) d'ecembre avait trop profond'ement tranch'e le pass'e pour qu'on e^ut pu continuer la litt'erature qui l'avait pr'ec'ed'e. Le lendemain de ce grand jour pouvait venir encore un jeune homme plein des fantaisies et des id'ees de 1825, V'en'evitino^if. Le d'esespoir, comme la douleur apr`es une blessure, ne vient pas imm'ediatement. Mais `a peine eut-il prononc'e quelques nobles paroles, qu'il disparut comme les fleurs d'un ciel plus doux qui meurent au souffle glac'e de la Baltique.

V'en'evitinoff n''etait pas n'e viable pour la nouvelle atmosph`ere russe. Pour pouvoir supporter l'air de cette 'epoque sinistre, il fallait une autre trempe, il fallait ^etre habitu'e d`es l'en^iance `a cette bise ^apre et continue, il fallait s'acclimater aux doutes insolubles, aux v'erit'es les plus am`eres, `a sa propre faiblesse, aux insultes de tous les jours; il fallait prendre l'habitude d`es la plus tendre enfance de cacher tout ce qui agitait l'^ame et de ne rien perdre de ce qu'on y avait enseveli; au contraire, de m^urir dans une col`ere muette tout ce qui se d'eposait au coeur. Il fallait savoir ha"ir par amour, m'epriser par humanit'e, il fallait avoir un orgueil sans bornes pour porter la t^ete haute les menottes au mains et aux pieds.

Chaque chant d'On'eguine qui paraissait apr`es 1825 'etait de.plus en plus profond. Le premier plan du po`ete avait 'et'e l'eger, serein, il l'avait trac'e dans un autre temps; il avait 'et'e entour'e alors d'un monde qui se plaisait `a ce rire ironique, mais bienveillant, enjou'e. Les premiers chants d'On'eguine nous rappellent beaucoup le comique caustique mais cordial de Gribo"i'edoff. Les larmes et le rire, tout se changea.

Les deux po`etes auxquels nous pensons et qui expriment la nouvelle 'epoque de la po'esie russe, sont Lermontoff et Koltzoff. C''etaient deux voix fortes venant de deux c^ot'es oppos'es.

Rien ne peut d'emontrer avec plus de clart'e le changement op'e-'e dans les esprits, depuis 1825, que la comparaison de Pouchkine et de Lermontoff. Pouchkine, souvent m'econtent et triste, roiss'e et plein d'indignation, est pourtant pr^et `a faire la paix. Il la d'esire, il n'en d'esesp`ere pas; une corde de r'eminiscence des temps de l'empereur Alexandre ne cessait de vibrer dans son coeur.

Lermontoff 'etait tellement habitu'e au d'esespoir, `a l'antagonisme que non seulement il ne cherchait pas `a en sortir, mais qu'il neconcevait la possibilit'e ni d'une lutte, ni d'un accommodement Lermontoff n'a jamais appris `a esp'erer, il ne se d'evouait pas parce qu'il n'y avait rien qui sollicit^at ce d'evo^ument. Il ne portait, pas sa t^ete avec fiert'e au bourreau, comme Pestel et Ryl'eieff parce qu'il ne pouvait croire `a l'efficacit'e du sacrifice; il se jeta, de c^ot'e et p'erit pour rien.

Le coup de pistolet qui avait tu'e Pouchkine r'eveilla l'^ame de Lermontoff. Il 'ecrivit une ode 'energique dans laquelle, fl'etrissant les viles intrigues qui avaient pr'ec'ed'e le duel, intrigues, tram'ees par des ministres litt'erateurs et des journalistes espions, il s''ecria avec une indignation de jeune homme:

«Vengeance, empereur, vengeance!» Le po`ete expia cette seule incons'equence par-un exil au Caucase. Cela se passa en 1837; en 1841, le corps de Lermontoff descendit dans une fosse aux pieds des monts du Caucase.

И то, что ты сказал перед кончиной, Из слушавших тебя не понял ни единый… …Твоих последних слов Глубокое и горькое значенье Потеряно…

«Et ce que tu as dit avant ta fin, personne ne l'a compris de' ceux qui t''ecout`erent. Le sens profond et amer de tes derni`eres paroles est perdu» [11] .

Par bonheur, nous n'avons pas perdu ce que Lermontoff a 'ecrit durant les quatre derni`eres ann'ees de sa vie. Il appartient enti`erement `a notre g'en'eration. Nous tous, nous 'etions trop jeunes pour prendre part au 14 d'ecembre. R'eveill'es par ce grand jour, nous ne v^imes que des ex'ecutions et des bannissements. R'eduits `a un silence forc'e, 'etouffant nos pleurs, nous avons appris `a nous concentrer, `a couver nos pens'ees, et quelles pens'ees? Ce n''etaient plus les id'ees du lib'eralisme civilisateur, les id'ees du progr`es, c''etaient des doutes, des n'egations, des pens'ees de rage. Habitu'e `a ces sentiments, Lermontoff ne pouvait se sauver dans le lyrisme, ainsi que l'avait fait Pouchkine. Il tra^inait le boulet du scepticisme dans toutes ses fantaisies, dans toutes ses jouissances.

11

Vers que Lermontoff a adress'es `a la m'emoire du prince Odo"iefski; mort au Caucase comme soldat, un des condamn'es du 14 d'ecembre.

Une pens'ee m^ale et triste ne quittait jamais son front, elle perce dans toutes ses po'esies. Ce n''etait pas une pens'ee abstraite qui cherchait `a s'orner des fleurs de la po'esie; non, la r'eflexion de Lermontoff c'est sa po'esie, son tourment, sa force [12] .Il avait des sympathies plus profondes pour Byron que n'en a eu Pouchkine. Au malheur d'une trop grande perspicacit'e, il ajoutait un autre, l'audace de dire beaucoup de choses sans fard ni m'enagements. Les ^etres faibles, froiss'es, ne pardonnent jamais cette sinc'erit'e. On parlait de Lermontoff comme d'un enfant g^at'e de maison aristocratique, comme d'un de ces d'esoeuvr'es qui p'erissent dans l'ennui et la sati'et'e. On n'a pas voulu voir combien a lutt'e cet homme, combien il a souffert, avant d'oser exprimer ses pens'ees. Les hommes supportent avec beaucoup plus d'indulgence les injures et la haine qu'une certaine maturit'e de la pens'ee, que l'isolement qui ne veut partager ni leurs esp'erances, ni leurs craintes et qui ose avouer ce divorce. Lorsque Lermontoff quittait P'etersbourg pour se rendre au Caucase exil'e pour la seconde'fois il 'etait bien las, et disait `a ses amis qu'il allait chercher au plus vite la mort. Il a tenu sa parole.

12

Les po'esies de Lermontoff sont parfaitement traduites en allemand Par M. Bodenstedt. Il y a une traduction francaise de son roman le H'eros de nos jours par M. Chopin.

Quel est donc enfin ce monstre qui s'appelle Russie, auquel il faut tant de victimes et qui ne laisse `a ses enfants que la triste alternative de se perdre moralement, dans un milieu antipathique `a tout ce qu'il y a d'humain, ou de mourir au d'ebut de leur vie? Ab^ime sans fond, o`u p'erissent les meilleurs nageurs, o`u les plue grands efforts, les plus grands talents, les plus grandes facult'es s'engloutissent avant d'avoir r'eussi en rien.

Et pourtant comment douter de l'existence des forces en germes," lorsqu'on voit s''elever du plus bas fond de la nation une voix comme celle de Koltzoff?

Pendant un si`ecle, m^eme un si`ecle et demi, le peuple n'a chant'e que les vieilles chansons ou des monstruosit'es fabriqu'ees vers le milieu du r`egne de Catherine II. Il y a bien eu quelques essais d'imitation assez heureux au commencement de notre si`ecle, mais ces Productions artificielles manquaient de v'erit'e;

с''etaient des efforts et des caprices. C'est du sein m^eme de la Russie villageoise que partirent les nouvelles chansons. Un bouvier conduisant ses troupeaux `a travers les steppes les composa d'inspiration Koltzoff 'etait compl`etement un enfant du peuple. N'e `a Voron`eje il a 'et'e `a une 'ecole paroissiale avant dix ans, il n'y a appris qu'`a lire et `a 'ecrire sans orthographe. Son p`ere, marchand de b'etail, lui fit embrasser son m'etier. Il conduisait les troupeaux, au travers de centaines de verstes, et prit ainsi l'habitude de la vie nomade, qui se refl`ete dans la meilleure partie de ses chansons. Le jeune bouvier aimait la lecture et relisait continuellement quelque po`ete russe qu'il prenait pour mod`ele, ses essais d'imitation faussaient son instinct po'etique. Son v'eritable talent perca enfin, il fit des chansons populaires en petit nombre, mais qui sont autant de chefs-d'oeuvre. Ce sont bien l`a les chansons du peuple russe. On y retrouve cette m'elancolie qui en fait le trait caract'eristique, cette tristesse navrante, ce d'ebordement de la vie (oudale molod^etzkaia). Koltzoff a montr'e combien il y a de po'esie cach'ee dans l'^ame du peuple russe, et qu'apr`es un long et profond sommeil, il y avait quelque chose qui s'agitait dans sa poitrine. Nous avons d'autres exemples de po`etes, d'hommes d'Etat, d'artistes qui sont sortis du peuple, mais ils en sont sortis dans le sens litt'eral du mot, en brisant tout lien commun avec lui. Lomonossoff a 'et'e le fils d'un p^echeur de la Mer Blanche. Il prit la fuite de la maison paternelle pour s'instruire, entra dans une 'ecole eccl'esiastique et se rendit ensuiteen Allemagne o`u il cessa d'^etre du peuple. Il n'y a rien de commun entre lui et la Russie agricole, si ce n'est le lien qui unit les individus de la m^eme race. Koltzoff resta au milieu des troupeaux et des affaires de son p`ere qui le d'etestait et qui, second'e de ses autres parents, lui rendit la vie si dure, qu'il en mourut en 1842. Koltzoff et Lermontoff ont d'ebut'e et sont morts vers la m^eme 'epoque. Apr`es eux, la po'esie russe devint muette.

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