Том 7. О развитии революционных идей в России
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Pouchkine a d'ebut'e par des po'esies r'evolutionnaires d'une grande beaut'e. Alexandre l'a exil'e de P'etersbourg sur les confins m'eridionaux de l'empire; nouvel Ovide, il passa l''epoque de sa vie de 1819 `a 1825 dans la Chersonese taurique. S'epar'e de ses amis, loin du mouvement politique, au centre d'une nature magnifique mais sauvage, Pouchkine, po`ete avant tout, se concentra dans son lyrisme; ses pi`eces lyriques sont les phases de sa vie, la biographie de son ^ame; on y trouve les vestiges de tout ce qui 'emouvait cette ^ame de feu, la v'erit'e et l'erreur, l'entra^inement passager d'un moment et les sympathies profondes et 'eternelles. Nicolas rappela Pouchkine de l'exil quelques jours apr`es avoir fait pendre les h'eros du 14 d'ecembre. Il voulut le perdre dans l'opinion publique par sa gr^ace, le r'eduire par ses bont'es.
Pouchkine rentra et ne reconnut plus ni la soci'et'e de Moscou ni la soci'et'e de P'etersbourg. Il ne trouva plus ses amis, on n'osait m^eme pas prof'erer leur nom, on ne parlait que d'arrestations, de visites domiciliaires, d'exil; tout 'etait sombre et terrifi'e. Il rencontra un instant Mickiewicz, cet autre po`ete slave; ils se tendirent la main comme au milieu d'un cimeti`ere. L'orage grondait sur leurs t^etes: Pouchkine revenait de l'exil, Mickiewicz s'y rendait. Leur entrevue fut lugubre, mais ils ne se comprirent pas. Le cours de Mickiewicz, au Coll`ege de France, a mis au jour le dissentiment qui existait entre eux; pour un Polonais et un Russe le temps de se comprendre n''etait pas encore arriv'e.
Nicolas, continuant la com'edie, nomma Pouchkine gentilhomme de la chambre. Celui-ci saisit le trait et ne vint pas `a la cour. On lui pr'esenta alors l'alternative de se rendre au Caucase ou de rev^etir l'habit de cour. Il 'etait d'ej`a mari'e `a une femme qui a caus'e ensuite sa perte, un second exil qui paraissait plus p'enible que le premier, – il opta pour la cour. On reconna^it le mauvais c^ot'e du caract`ere russe dans ce manque de fiert'e, de r'esistance, dans cette souplesse douteuse.
Le grand-duc h'eritier le complimentant un jour `a l'occasion de sa promotion,
En 1837, Pouchkine fut tu'e en duel par un de ces spadassins 'etrangers qui, comme les mercenaires du moyen ^age ou les Suisses de nos jours, vont mettre leur 'ep'ee au service de tout despotisme. Il tomba au milieu de la pl'enitude de ses forces, sans avoir achev'e ses chants, sans avoir dit ce qu'il avait `a dire.
Tout P'etersbourg, `a l'exception de la cour et de son entourage, pleura; ce fut alors seulement qu'on vit quelle popularit'e il avait acquise. Pendant son agonie, une foule compacte se pressait autour de sa maison pour avoir des nouvelles de sa sant'e. Comme c''etait `a deux pas du Palais d'hiver, l'empereur put, de ses fen^etres, contempler la foule; il en concut de la jalousie et confisqua au public les fun'erailles du po`ete; on transporta furtivement, par une nuit glaciale, le corps de Pouchkine, entour'e de gendarmes et d'agents de police, dans une tout autre 'eglise que celle de sa paroisse; l`a, un pr^etre lut h^ativement la messe des morts, un tra^ineau emporta le corps du po`ete dans un couvent du gouvernement de Pskov, o`u se trouvaient ses terres. Lorsque la foule ainsi tromp'ee se porta `a l''eglise o`u avait 'et'e d'epos'e le d'efunt, la neige avait d'ej`a effac'e toute trace du convoi.
Un sort terrible et sombre est r'eserv'e chez nous `a quiconque ose lever la t^ete au-dessus du niveau trac'e par le sceptre imp'enal; po`ete, citoyen, penseur, une fatalit'e inexorable les pousse dans la tombe. L'histoire de notre litt'erature est un martyrologe ou un registre des bagnes. Ceux-m^emes que le gouvernement a''epargn'es p'erissent, `a peine 'eclos, se pressant de quitter la vie. L`a sotto i giorni brevi e nebulosi Nasce una go^ute a cui il morir non duole.
Ryl'eieff pendu par Nicolas.
Pouchkine tu'e dans un duel, `a trente-huit ans.
Gribo"i'edoff assassin'e `a T'eh'eran.
Lermontoff tu'e dans un duel, `a 30 ans, au Caucase.
V'en'evitinoff tu'e par la soci'et'e, `a vingt-deux ans.
Koltzoff tu'e par sa famille, `a trente-trois ans.
B'elinnski tu'e, `a trente-cinq ans, par la faim et la mis`ere.
Pol'eja"ietf mort dans un h^opital militaire, apr`es avoir 'et'e forc'e de servir comme soldat au Caucase pendant huit ann'ees.
Baratynski mort apr`es un exil de douze ans.
Bestoujeff succomb'e au Caucase tout jeune encore, apr`es les travaux forc'es en Sib'erie…
«Malheur, dit l'Ecriture, aux peuples qui lapident leurs proph`etes!» Mais le peuple russe n'a rien `a craindre, car il n'y a rien `a ajouter `a son malheureux sort.
V
La litt'erature et l'opinion publique apr`es le 14 d'ecembre 1825
Les vingt-cinq ann'ees qui suivent le 14 (26) d'ecembre sont plus ditficiles `a caract'eriser que toute l''epoque 'ecoul'ee depuis Pierre Ier. Deux courants en sens inverse, l'un `a la surlace, l'autre `a une profondeur o`u on le distingue `a peine, embrouillent l'observation. A l'apparence, la Russie restait immobile, elle paraissait m^eme reculer; mais, au fond, tout prenait une face nouvelle, les questions devenaient plus compliqu'ees, les solutions moins simples.
A la surface de la Russie officielle,
«de l'empire des facades», on ne voyait que des pertes, une r'eaction f'eroce, des pers'ecutions inhumaines, un redoublement de despotisme. On voyait Nicolas entour'e de m'ediocrit'es, de soldats de parades, d'Allemands de la Baltique et de conservateurs sauvages, lui-m^eme m'efiant, froid, obstin'e, sans piti'e, sans hauteur d'^ame, m'ediocre comme son entourage. Imm'ediatement au-dessous de lui se rangeait la haute soci'et'e qui, au premier coup de tonnerre qui 'eclata sur sa t^ete apr`es le 14 d'ecembre, avait perdu les notions `a peine acquises d'honneur et de dignit'e. L'aristocratie russe ne se releva plus sous le r`egne de Nicolas, sa fleuraison 'etait pass'ee; tout ce qu'il y avait de noble et de g'en'ereux dans son sein 'etait aux mi-Qes ou en Sib'erie. Ce qui restait ou se maintint dans les bonnes gr^aces du ma^itre, tomba `a ce degr'e d'abjection ou dе servilisme qu'on conna^it par le tableau qu'en a trac'e M. de Custine.Venaient ensuite les officiers de la garde; de brillants et civilis'es ils devinrent de plus en plus des sergents encro^ut'es. Jusqu'`a l'ann'ee 1825, tout ce qui portait l'habit civil reconnaissait la sup'eriorit'e des epaulettes. Pour ^etre comme il faut, il fallait avoir servi une couple d'ann'ees `a la garde, ou au moins dans la cavalerie. Les officiers 'etaient l'^ame des r'eunions, les h'eros des f^etes et des bals, et, pour dire la v'erit'e, cette pr'edilection n''etait pas d'enu'ee de fondement. Les militaires 'etaient plus ind'ependants et se tenaient sur un pied plus digne que les bureaucrates rampants et pusillanimes. Les choses prirent une autre face, la garde partagea le sort de l'aristocratie; les meilleurs officiers 'etaient exil'es, un grand nombre d'autres abandonn`erent le service, ne pouvant supporter le ton grossier et impertinent introduit par Nicolas. On se h^atait de remplir les places vides par de bons troupiers ou des piliers de caserne et de man`ege. Les officiers tomb`erent dans l'estime de la soci'et'e, l'habit noir prit le dessus, et l'uniforme ne domina que dans les petites villes de province et `a la cour, ce premier corps de garde de l'empire. Les membres de la famille imp'eriale, de m^eme que son chef, marquent, pour les militaires, une pr'ef'erence outr'ee et illicite dans leur position. La froideur du public pour l'uniforme n'allait cependant pas jusqu'`a l'admission des employ'es civils dans la soci'et'e. M^eme dans les provinces, on avait une r'epulsion invincible pour eux, ce qui n'emp^echa pas du reste que l'influence des bureaucrates ne s'accr^ut. Toute l'administration devint, d'aristocratique et d'ignorante qu'elle 'etait, rabuliste et mesquine, apr`es 1825. Les minist`eres se chang`erent en bureaux, leurs chefs et les fonctionnaires sup'erieurs devinrent des hommes d'affaires ou des scribes. Ils 'etaient par rapport au civil ce que les troupiers d'esesp'erants 'etaient `a la garde. Connaisseurs consomm'es de toutes les formalit'es, ex'ecuteurs froids et d'epourvus de raisonnement des ordres sup'erieurs, ils 'etaient d'evou'es au gouvernement par amour de concussion. Il fallait `a Nicolas de tels officiers et de tels administrateurs.
La caserne et la chancellerie 'etaient devenues les pivots de la science politique de Nicolas. Une discipline aveugle et d'enu'ee de sens commun, accoupl'ee au formalisme inanim'e des buralistes autrichiens, tels sont les ressorts de l'organisation c'el`ebre du pouvoir fort en Russie. Quelle pauvret'e de pens'ee gouvernementale, quelle prose d'absolutisme et quelle pitoyable banalit'e! C'est la forme la plus simple et la plus brutale du despotisme.
Ajoutons `a cela le cte B'enk'endorf, chef du corps des gendarmes, formant une inquisition arm'ee,une maconnerie polici`ere qui avait ses fr`eres 'ecouteurs et 'ecoutants dans tous les coins de l'empire, de Riga `a Nertchinsk; pr'esident de la 3e section de la chancellerie de Sa Majest'e (telle est la d'enomination du bureau central de l'espionnage), jugeant tout, cassant les d'ecisions des tribunaux, se m^elant de tout et surtout des d'elits politiques. Devant ce bureau-tribunal se voyait traduite de temps `a autre la civilisation, sous les traits de quelque litt'erateur ou 'etudiant, qu'on exilait ou enfermait dans la forteresse et qui 'etait bient^ot remplac'e par un autre.