L'agent secret (Секретный агент)
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« Je croyais que tout 'etait fini et m’appr^etais `a sortir de ce lieu abominable, mais le gros homme me mit la main sur le bras – c’'etait le major Schwartz, en personne, – grand chef de l’espionnage, je l’ai su depuis. Il me dit, s’exprimant en francais, tr`es correctement, avec `a peine un l'eger accent : — Caporal Vinson, nous vous avons pay'e largement des communications qui n’ont aucune valeur, mais il va vous falloir nous servir mieux que cela. D’abord, il savait que j’'etais affect'e `a la Place de Ch^alons, `a toutes les 'ecritures concernant le service de l’aviation. Il voulait obtenir un 'etat complet de l’organisation des dirigeables et des a'eroplanes, il fallait lui donner les caract'eristiques de tous les appareils, les 'etats de service des officiers qui les montaient… il exigeait des renseignements plus confidentiels encore, l’affectation des aviateurs et des dirigeables en temps de mobilisation, toute la lyre, quoi !…
— Et… vous avez… fourni tout cela ?
— J’ai fourni tout cela !
— C’est tout ?
— Pas encore ! Alfred m’avait raccompagn'e jusqu’`a Nancy o`u j’avais repris mon uniforme, puis j’ai regagn'e Ch^alons tout seul.
« Je me suis demand'e s’il me serait possible de me d'ebarrasser de mon triste entourage, mais je n’ai pu y r'eussir… Alfred, chaque jour, me harcelait, me menacait, j’ai d^u lui ob'eir, comme je viens de vous le dire ; puis aussit^ot apr`es il y a eu l’affaire du capitaine Brocq…
« Alors, sans rien dire `a personne j’ai demand'e mon changement de garnison par la voie hi'erarchique ; j’esp'erais aller dans l’Ouest ou dans le Midi, surtout quitter le sixi`eme corps, fuir le voisinage de la fronti`ere, achever en un mot mon service dans une r'egion o`u il me serait impossible de faire du “renseignement”, mais je ne sais comment, est-ce par Nichoune – je le suppose, car je lui avais, par malheur, confi'e un soir ce secret, – Alfred a appris ma d'ecision… Il s’est mis dans une col`ere 'epouvantable, puis soudain il a ri, et il a dit : – Mon vieux Vinson, je m’en vais te faire une bonne blague… Elle 'etait terrible la blague, elle l’est encore, monsieur, 'ecoutez… 'ecoutez ce qui est arriv'e : J’ai obtenu mon changement en effet, c’est pour cela que je suis aujourd’hui en permission de huit jours, mais lundi prochain 21 novembre, avant midi je dois ^etre rendu `a mon nouveau r'egiment. Or, ce r'egiment, c’est le 257 ed’infanterie, en garnison `a Verdun !… Vous comprenez ?
— Je commence… murmura Fandor.
— `A Verdun, reprit le caporal qui, s’'etant lev'e, allait et venait dans la pi`ece, se comprimant les tempes, en proie `a une angoisse inexprimable… `a Verdun, c’est-`a-dire sur la fronti`ere m^eme, c’est-`a-dire au milieu de tous ces gens-l`a, `a leur merci !… Ah ! le coup a 'et'e bien combin'e, j’ai voulu sortir du gu^epier, je suis retomb'e au milieu de la ruche. Alors, monsieur, pour tout vous dire, je perds la t^ete, absolument ! je sens qu’ils me tiennent, qu’il m’est impossible de me d'egager et en outre, j’ai peur d’^etre pris… oui ; il s’est pass'e ces jours derniers des choses, `a Ch^alons, qui me terrifient ; je crois que l’on me soupconne, que l’on soupconne Nichoune, que mes chefs m’observent, c’est la fin ! Cela est survenu, brusquement, comme un ouragan, `a dater du jour o`u les journaux ont annonc'e l’assassinat du capitaine Brocq ! je suis perdu… perdu… j’ai voulu venir vous exprimer toute ma honte pour que vous puissiez mettre en garde, par un article dans votre journal, les jeunes soldats, qui par amour insens'e pour une femme abominable ou par un besoin d’argent seraient dispos'es un jour `a suivre mon triste exemple.
— Vinson, soyez brave, dites tout `a vos chefs ?
Le caporal secouait la t^ete…
— Jamais !… monsieur… jamais je ne pourrai. Songez donc que c’est le pire d'eshonneur, le pire. Vous parliez de ma m`ere : c’est pour elle que je veux me tuer. Elle deviendrait folle si jamais elle apprenait que son fils a trahi… Ce soir, le caporal Vinson n’existera plus.
Longuement Fandor chapitra Vinson.
Le journaliste se fit tour `a tour 'eloquent, persuasif… il accumula arguments sur arguments, appela `a son secours l’amour-propre, le devoir.
Lorsqu’il vit enfin que l’infortun'e caporal h'esitait, qu’une lueur d’espoir, qu’un vague d'esir de r'ehabilitation renaissaient dans son esprit, il s’arr^eta court et brusquement, lui demanda :
— Vinson, ^etes-vous toujours dispos'e `a vous tuer ?
Le caporal se recueillit une seconde, ferma les yeux et sans forfanterie, mais d’une voix s^ure, r'epondit :
— Oui, j’y suis d'ecid'e !
— Dans ce cas, dit Fandor, consid'erez, voulez-vous, que c’est chose faite et que vous n’existez plus ?…
Le caporal le regardait interdit, Fandor pr'ecisait sa pens'ee :
— `A partir de ce moment vous n’existez plus, vous n’^etes plus rien, vous n’^etes plus le caporal Vinson…
— Et alors ? interrogea celui-ci.
Mais Fandor voulait avant tout une promesse :
— Est-ce entendu ?
— C’est entendu…
— Jurez-le !
— Je le jure…
— Eh bien ! Vinson, conclut Fandor, vous m’appartenez, vous ^etes ma chose, je vais vous donner mes instructions, auxquelles vous ob'eirez strictement…
7 – DEUXI`EME BUREAU
Ce matin-l`a, d`es neuf heures, une animation inaccoutum'ee r'egnait au Deuxi`eme Bureau de l’'Etat-Major.
Le Deuxi`eme Bureau.
Cette formidable organisation install'ee au Minist`ere, que tout le monde conna^it de r'eputation, dont la d'esignation officielle
Les services du Deuxi`eme Bureau s’amorcent sur un long couloir et tiennent toute la moiti'e de l’'etage dans l’aile droite du b^atiment.
Lorsque, d’aventure, on est autoris'e `a y p'en'etrer, on rencontre d’abord une assez grande pi`ece o`u, install'es `a des pupitres en bois, travaillent une douzaine de secr'etaires d’'Etat-Major, jeunes gens `a belle 'ecriture. On les change fr'equemment afin d’'eviter qu’ils ne soient trop renseign'es sur la nature des travaux qu’ils ex'ecutent. Le plus souvent d’ailleurs, ces travaux n’ont aucun caract`ere confidentiel, ou tout au moins leur signification est si dissimul'ee que les secr'etaires ne peuvent en comprendre l’importance.
Attenant `a ce local, se trouve la pi`ece r'eserv'ee aux travaux dits de « la statistique ».
C’est un vaste local carr'e qu’'eclairent abondamment deux larges fen^etres, et au milieu duquel se trouve une grande table en bois blanc. Parfois des dossiers l’encombrent, mais le plus souvent elle est nette, d'ebarrass'ee des paperasses et l’on y voit 'etal'ees des cartes de tous les pays de France et de l’'etranger, bariol'ees de traits de crayon rouge et bleu, orn'ees de signes cabalistiques, surcharg'ees d’annotations.
Autour de la pi`ece, adoss'es au mur, se trouvent les bureaux occup'es par les officiers du service, deux capitaines et deux lieutenants.
La pi`ece voisine est un petit cabinet o`u se tient ordinairement le sous-chef, le commandant Dumoulin.
Ce cabinet ne pr'esenterait aucun aspect particulier et ne retiendrait pas autrement l’attention du visiteur si l’on ne savait que dans le mur de droite se trouve scell'ee la fameuse armoire de fer dont seul le commandant Dumoulin poss`ede la cl'e et dans laquelle sont enferm'ees, dit-on, les instructions les plus secr`etes relatives `a la D'efense Nationale et `a la Mobilisation.