L'agent secret (Секретный агент)
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— Sacr'e Loubersac ! jura Loreuil goguenard, en allumant voluptueusement une 'enorme pipe, il est de toutes les f^etes…
Un bruit de pas, quelques paroles br`eves, un planton ouvrit la porte et salua :
— Mon capitaine, c’est le capitaine Muller qui fait savoir qu’il est arriv'e.
***
Nonchalamment 'etendu sur un confortable canap'e qui occupait l’angle de son cabinet, l’'el'egant colonel Hofferman se polissait les ongles, tandis que le commandant Dumoulin, respectueusement, se tenait debout devant lui, sangl'e dans l’uniforme sobre des chasseurs `a pied.
C’'etait tout l’oppos'e de son chef, le commandant Dumoulin, le type accompli du militaire d’ancien style. Cheveux en brosse, moustache cir'ee, uniforme strictement `a l’ordonnance, pieds chauss'es d’'enormes godillots `a bouts carr'es.
Vraisemblablement, le commandant Dumoulin, sans cesse congestionn'e, 'etouffait toujours dans la chaleur ti`ede des bureaux, et n’e^ut 'et'e le respect qu’il avait pour la hi'erarchie, chaque fois qu’il travaillait avec le colonel, qui, assez frileux br^ulait une 'enorme quantit'e de bois dans la chemin'ee, il aurait volontiers mis bas la moiti'e de ses v^etements.
Mais Dumoulin avait conscience de son importance et du poste consid'erable qu’il occupait. N’'etait-il pas le d'epositaire responsable de la fameuse cl'e qui ouvrait l’armoire de fer ?
— Vous allez proc'eder, n’est-ce pas, `a l’installation du capitaine Muller ?
— Oui, mon colonel, sit^ot que j’en aurai termin'e avec vous…
Le colonel leva ses yeux clairs sur son subordonn'e :
— Mon cher Dumoulin, je n’ai plus rien `a vous dire.
Le commandant s’appr^etait `a faire demi-tour, par principe. Le chef du Deuxi`eme Bureau le retint d’un geste :
— Il serait bon, fit-il, que nous parlions au capitaine Muller. Il arrive dans le service au moment o`u nous avons de sales affaires… emb^etantes…, tr`es emb^etantes… n’est-il pas vrai, Dumoulin ?
— Tr`es emb^etantes, en effet, mon colonel…
Mais celui-ci, sans prendre un air tragique comme son subordonn'e, appuyait sur un timbre. Un planton se pr'esenta :
— Priez le capitaine Muller de venir.
Et pour l’'edification du soldat, le colonel ajouta :
— C’est le capitaine du g'enie qui vient d’arriver ce matin… Allez…
Quelques secondes apr`es, le capitaine Muller entra dans le bureau du chef, et apr`es avoir salu'e il se tint `a distance :
D’un geste aimable, le colonel l’invita `a s’asseoir :
— Prenez ce fauteuil, capitaine…
Dumoulin, un peu scandalis'e que le colonel provoqu^at une semblable familiarit'e allait, par discr'etion, se retirer. Le colonel le fit asseoir 'egalement, puis s’adressant `a l’officier du g'enie :
— Vous arrivez parmi nous, monsieur, commenca-t-il, en s’'ecoutant parler, car il avait la parole facile et la voix agr'eable, `a la suite de tristes 'ev'enements : vous n’ignorez pas que vous succ'edez au capitaine Brocq, un officier d’une grande valeur, que nous aimions beaucoup ?…
— Nous 'etions camarades de promotion `a l’'Ecole… Brocq et moi, dit le capitaine Muller.
Le colonel Hofferman poursuivit :
— Vous aurez `a prendre la suite des travaux qui avaient 'et'e commenc'es par le capitaine Brocq… le commandant Dumoulin, votre chef de service, vous mettra au courant du d'etail, mais d’ores et d'ej`a, et avant toute chose, je tiens `a vous poser quelques questions sur des points particuliers. Dites-moi, capitaine, quelle importance attachez-vous aux ordres d’appel et de r'epartition des ouvriers d’artillerie dans les divers corps d’'Etat-Major ?
— `A quel point de vue, mon colonel ? interrogea le capitaine Muller.
— Au point de vue de la mobilisation.
— Cette r'epartition a une grande importance `a mon avis, car l’affectation des hommes d'ependant de la premi`ere cat'egorie d’ouvriers, aux divers corps d’arm'ee, permet de pr'eciser nettement quels doivent ^etre, au cas de mobilisation, les 'evolutions et les mouvements de ces corps d’arm'ee…
Il s’arr^eta.
— Tr`es bien, dit le colonel. Les journaux ont racont'e que Brocq avait 'et'e vol'e, qu’on lui avait pris les plans des
— Vous pouvez compter sur moi, mon colonel.
Hofferman abandonna son canap'e, et l^achant son poussoir `a ongles, vint les deux mains tendues vers le capitaine :
— Mon p`ere a connu le v^otre autrefois, s’'ecria-t-il ; ils 'etaient tous les deux originaires de Colmar ?
— Mais en effet, mon colonel, r'epliqua le capitaine, enchant'e de se trouver en pays de connaissance…
Hofferman poursuivait :
— Allons, tout ira bien. Je vous sais travailleur, s'erieux… vous avez des notes excellentes… mari'e, n’est-ce pas ?
Muller hocha la t^ete affirmativement :
— C’est parfait, conclut le colonel…
Et menacant du doigt l’officier qui se retirait :
— Vous savez la consigne ici, pas de dame de pique, pas de ma^itresse, beaucoup de relations… tr`es peu d’intimes.
***
Le colonel ne resta pas longtemps seul dans son bureau, il venait de faire appeler le lieutenant de Loubersac.
Au bout d’une seconde, avec une ponctualit'e toute militaire, le lieutenant de cuirassiers se pr'esentait `a son chef. Il 'etait en uniforme. L’officier avait `a peine eu le temps de passer chez lui pour enlever sa cuirasse et son casque, qu’il arrivait au Minist`ere au moment pr'ecis o`u le colonel le demandait.
— Rien d’anormal ce matin, Loubersac ? interrogea Hofferman, qui consid'erait avec complaisance le militaire, superbe dans son magnifique uniforme, et dont le visage martial, 'el'egant, incarnait si bien le type classique du bel officier de cavalerie.
— Rien, mon colonel, d'eclara Loubersac : l’arriv'ee du roi de Gr`ece s’est pass'ee parfaitement. Nous l’avons escort'e jusqu’aux Affaires 'Etrang`eres, o`u il est descendu.
— La foule ?
— Peuh ! assez indiff'erente, mais curieuse de voir tout de m^eme. Assez nombreuse sur la place de la Concorde et la rue de Rivoli…
— Cela doit vous faire une 'emotion, Loubersac, chaque fois que vous passez au carrefour de Rohan ? interrogea en souriant Hofferman.
— Ma foi, mon colonel, d'eclara le lieutenant, je vous avoue franchement que oui. Depuis la bombe du roi d’Espagne, qui m’a dot'e d’une cicatrice au front, j’y pense toujours…
— H'e ! s’'ecria le colonel, `a quelque chose, malheur est bon, vous aurez la croix plus vite…
Henri de Loubersac hocha la t^ete…
Hofferman reprit :