L'agent secret (Секретный агент)
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Le cabinet du commandant Dumoulin qui donne d’un c^ot'e dans le bureau de la statistique communique du c^ot'e oppos'e avec un salon sobrement meubl'e de fauteuils et de canap'es en velours vert, les murs en sont tapiss'es de papier vert, un seul tableau orne ce lieu solennel : le portrait du Pr'esident de la R'epublique.
C’est dans ce salon que le personnel du service recoit les visiteurs qui ont obtenu l’autorisation de p'en'etrer jusque-l`a. Visiteurs de marque, la plupart du temps, et dont les communications doivent avoir la plus haute importance…
On peut d’ailleurs parler sans crainte dans ce salon ; un tapis 'epais 'etouffe le bruit des pas, rideaux et porti`eres mettent les causeurs `a l’abri des indiscr'etions.
Enfin tout `a l’extr'emit'e du couloir on arrive au cabinet du commandant en chef du Deuxi`eme Bureau, le colonel Hofferman, officier jeune, instruit, appel'e au plus grand avenir.
L’installation du colonel Hofferman ne ressemble en rien `a celle des pi`eces voisines : le bureau est 'el'egamment meubl'e ; l’officier a contribu'e pour sa part personnelle `a l’installation confortable et 'el'egante de ce cabinet de travail o`u il passe le plus clair de ses journ'ees, parfois m^eme de ses nuits.
Tout un jeu de t'el'ephones unit le colonel Hofferman avec les divers services du minist`ere et aussi avec la Ville ; deux fils directs le relient, l’un au Ministre, l’autre au Gouverneur de Paris.
Dans un petit r'eduit, enfin, attenant au bureau de cet officier sup'erieur est install'e un poste t'el'egraphique.
Le colonel Hofferman, qui appartient `a l’infanterie, est un homme d’une grande distinction.
Avec tact et autorit'e, depuis trois ans d'ej`a, le colonel Hofferman dirige le d'elicat service de la
Tr`es homme du monde, il est recu dans les milieux les plus aristocratiques ; c'elibataire et encore fort beau garcon malgr'e l’approche de la cinquantaine, on assure qu’ind'ependamment des visites professionnelles qu’il recoit souvent, il a au minist`ere m^eme des conversations intimes avec de d'elicieuses Parisiennes qu’il n’entretient certes pas de la D'efense Nationale.
***
Dans le bureau des officiers, on causait avec animation :
— Alors, c’est encore un artilleur ? interrogea le lieutenant Armandelle.
Le capitaine Loreuil, qui 'etait occup'e `a tailler un crayon, s’arr^eta. Souriant, il se renversa sur le dossier de son fauteuil et r'epondit :
— Non, mon ami, cette fois nous allons avoir un sapeur.
Levant les yeux par-dessus ses lunettes, le capitaine Loreuil fredonnait doucement le vieux refrain de Th'er'esa :
Rien n’est sacr'e pour un sapeur…
Armandelle 'eclata de rire :
— Ah ! mon cher, on peut dire que vous n’engendrez pas la m'elancolie, quoi qu’il advienne, vous avez toujours le mot pour rire…
— Eh parbleu, mon vieux, pourquoi se frapper ?
Ah ! il devait savoir en profiter, en effet, le capitaine Loreuil, si on le jugeait aux apparences. Personne n’avait moins l’air militaire que lui ; au surplus, ses camarades ne l’avaient-ils pas surnomm'e « le notaire », qualificatif qui convenait d’ailleurs beaucoup mieux `a son aspect ext'erieur que le titre de capitaine.
Loreuil 'etait, en effet, tout ras'e ; sa face repl`ete semblait celle d’un chanoine, ou encore d’un gros homme de loi ; effroyablement myope il ne quittait jamais ses besicles, aux verres ronds, cercl'es d’or. Enfin, il avait un gros ventre, qui paraissait pos'e en 'equilibre sur deux petites jambes courtes et grassouillettes.
Le capitaine Loreuil appartenait, disait-on, `a l’infanterie ; bien rares 'etaient ceux qui l’avaient vu en uniforme ; l’officier affectionnait particuli`erement la tenue civile dans laquelle il se trouvait 'evidemment beaucoup plus `a l’aise.
Parfois, il se plaisantait lui-m^eme et d'eclarait avec un bon gros rire :
— J’ai l’air, en tenue, d’un territorial. C’est vraiment malheureux pour un officier de l’active !
Toutefois, sous ses dehors brave garcon et avec sa face joviale qui permettait difficilement de le prendre au s'erieux, le capitaine Loreuil 'etait un des officiers les mieux appr'eci'es du Deuxi`eme Bureau.
Il revenait, en effet, d’une assez longue absence ; pendant six mois il avait disparu et le bruit courait dans les services qu’il les avait employ'es `a une dangereuse besogne consistant `a servir comme macon dans une 'equipe d’ouvriers qui construisaient un fort sur une fronti`ere 'etrang`ere, fort dont il avait minutieusement relev'e les plans, bien s^ur.
Le bruit courait sans d’ailleurs ^etre confirm'e, car, en d'epit de son intimit'e avec ses compagnons, le capitaine, fid`ele observateur de la consigne, n’avait rien racont'e de son absence et ses camarades, trop habitu'es `a la discr'etion que leur profession leur imposait, s’'etaient bien gard'es de l’interroger.
Au surplus, les voyages inopin'es, les disparitions soudaines, les retours inattendus, les missions myst'erieuses, tel est le lot des officiers du Deuxi`eme Bureau.
Le vieil archiviste Gaudin qui, dans la salle des officiers, classait m'ethodiquement une volumineuse correspondance qu’on allait soumettre `a la signature du commandant Dumoulin, interpella presque famili`erement Armandelle :
— Alors, mon lieutenant, c’est un capitaine du g'enie qui va remplacer ce pauvre capitaine Brocq ?
— En effet, Gaudin, r'epliqua l’officier. Sa nomination a 'et'e sign'ee hier par le ministre, nous l’attendons ce matin `a neuf heures et demie. Quelle heure est-il ?
Gaudin regarda la pendule :
— Neuf heures et quart, mon lieutenant…
— Vous voyez, il ne va pas tarder…
— Tiens, c’est pour cela, s’'ecria le capitaine Loreuil que j’ai vu tout `a l’heure le patron. Ca n’est pas son habitude d’arriver au bureau de si bonne heure.
— Sans doute qu’il m'edite un discours `a l’usage du nouveau venu, le capitaine… Comment s’appelle-t-il donc ?
— Muller, pr'ecisa le lieutenant Armandelle. Il vient de Belfort…
Loreuil poursuivit :
— Mon cher capitaine, va lui dire Hofferman, vous entrez aujourd’hui dans la maison du silence et de la discr'etion…
Mais il s’interrompait, consid'erait le bureau voisin du sien :
— Ah c`a, Gaudin, interrogea-t-il, o`u est donc ce matin le lieutenant de Loubersac ?
— Mais, mon capitaine, expliqua le vieil archiviste, vous savez bien qu’il a 'et'e command'e pour l’escorte du roi de Gr`ece…