L'agent secret (Секретный агент)
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`A sept heures tr`es pr'ecises, Fandor se pr'esenta `a l’imprimerie Noret, dont il avait relev'e l’adresse dans un des annuaires de la ville.
Il sonna, fut introduit dans un salon d’attente, modestement d'ecor'e, ayant une vague allure de parloir de couvent. L’homme qui 'etait venu lui ouvrir demandait :
— Qui dois-je annoncer `a ces messieurs ?
— Dites-leur que c’est le caporal Vinson…
Quelques minutes d’attente. Un grand jeune homme, mince, `a barbe rousse, entra bient^ot dans la pi`ece :
— Bonjour, caporal ! nos amis communs m’ont annonc'e votre visite… ils ne sont pas encore arriv'es, mais il est bien inutile, j’imagine, que nous attendions pour faire connaissance, des pr'esentations r'eguli`eres ?…
— Vous ^etes trop aimable, monsieur, un modeste caporal comme moi est bien heureux de trouver dans une ville de garnison des camarades…
— Allons donc, laissons cela, je suis tr`es content aussi de faire votre connaissance… tenez ! en attendant nos amis… voulez-vous visiter les ateliers, vous verrez, c’est une visite int'eressante… et utile…
Le plus naturellement du monde, l’imprimeur venait de faire entrer le journaliste dans de tr`es vastes ateliers :
— Voici la rotative sur laquelle se tire Le Phare de Verdun, expliquait-il, vous pouvez vous rendre compte que c’est une rotative dernier mod`ele… vous connaissez le fonctionnement de ces machines ?
— Du diable, pensa Fandor, si ce brave jeune homme s’imagine qu’il parle `a un professionnel de l’imprimerie !
Mais Fandor dissimulait son d'edain et s’extasiait :
— C’est admirable ! d'eclarait-il, pour un ignorant comme moi en m'ecanique, c’est en tous points merveilleux… ah ! je voudrais bien voir fonctionner une machine comme celle-l`a ?
— C’est un d'esir facilement r'ealisable, d'eclarait-il ; vous n’aurez qu’`a vous pr'esenter ici un prochain apr`es-midi, je vous montrerai les ateliers en plein fonctionnement…
Et il entra^ina le journaliste dans un autre coin de l’imprimerie :
— Vous connaissez les linotypes ?
Fandor dut admirer de nouveau, bien qu’`a la v'erit'e, en homme du m'etier, il n’appr'eciait pas 'enorm'ement les machines que son h^ote lui soumettait.
— Pourquoi diable cette visite ? songeait-il…
Fandor devait bient^ot avoir le mot de l’'enigme : L’imprimeur, en effet, l’entra^ina vers une sorte de petite pi`ece dissimul'ee, presque un cabinet de d'ebarras…
— Tenez, faisait-il, voici une presse qui, j’en suis s^ur, vous plaira…
Et comme Fandor, assez intrigu'e, cette fois, consid'erait une housse grise, sous laquelle il devinait un b^ati m'etallique, l’imprimeur interrogeait :
— Vous savez ce que c’est, caporal ?
— Pas du tout…
— Une machine `a faire des billets de banque…
— Hein ?
L’exclamation de surprise avait 'echapp'e `a Fandor… Ah ca, est-ce qu’en plus d’espionnage, ces gens-l`a s’occupaient aussi de fausse monnaie ? Il reprit :
— Vraiment, vous fabriquez des billets de banque ?…
— Vous allez voir… oh, bien entendu, des billets pour rire… mais enfin ils peuvent ^etre utiles…
Une fois encore l’intonation faisait l’int'er^et du mot ! De faux billets de banque qui pouvaient ^etre utiles ?… Fandor d'ecida d’'eclaircir ce myst`ere :
— Je serais curieux, dit-il, de voir fabriquer ces billets de la sainte farce… Est-ce que vous…
— Mais j’allais vous le proposer…
Le jeune imprimeur tournait la manivelle de la machine.
— Tendez les mains !…
Et J'er^ome Fandor eut la surprise de recevoir un superbe billet de banque de cinquante francs, tout neuf !…
— Qu’en dites-vous, dit l’imprimeur, est-ce bien imit'e ?
— Certes, r'epondait le journaliste qui, consid'erant le billet de banque, demeurait fort perplexe :
— Et en voici d’autres, tenez… prenez…
Neuf autres billets tomb`erent dans les mains de Fandor…
Mais le journaliste avait l’oeil vif.
Et puis ca n’'etait pas la premi`ere fois qu’il visitait une imprimerie.
Et ce qui l’intriguait tout `a l’heure ne l’intriguait plus maintenant…
— Parbleu ! comprenait-il, le truc est enfantin !… ce sont de vrais billets qui m’arrivent dans les mains… cette machine-l`a n’imprime rien du tout… mon nouvel ami l’a charg'ee tout bonnement de me donner le paiement de mes futures trahisons – cinq cents francs – et il glisse ces billets de banque sous les rouleaux… En somme, c’est un moyen de me payer, sans en avoir l’air, sans se compromettre…
— Et maintenant, caporal, proposa-t-il, il me semble que nous pourrions bien aller vider une bouteille en l’honneur de notre nouvelle connaissance ?…
Le journaliste n’avait gu`ere envie de trinquer. Il lui fallait cependant, `a peine de se singulariser, accepter avec une joie feinte l’offre qu’on lui faisait.
— 'Evidemment, pensait-il, un caporal n’a pas le droit de ne pas vider une bouteille !
Fandor, une fois encore, imposa silence `a ses propres d'esirs, il gardait une mine souriante, charm'ee, tandis que le verre en main il continuait `a causer avec son interlocuteur.
Il se leva enfin, s’excusant :
— Il va falloir que je vous quitte, monsieur… ma permission de minuit n’est pas expir'ee, certes, mais j’ai des courses `a faire…
Fandor avait h^ate de se retrouver seul, de pouvoir r'efl'echir, de pouvoir coordonner ses pens'ees.
— Je suis, maintenant, songea-t-il, d'efinitivement introduit dans les milieux d’espionnage de Verdun… il faut que j’avise aux meilleurs moyens `a employer pour y d'ecouvrir des choses int'eressantes…
L’imprimeur ne le retint pas, semblait au contraire appr'ecier l’intelligence du jeune soldat qui devinait que l’entrevue 'etait termin'ee…