L'agent secret (Секретный агент)
Шрифт:
Et, se tournant vers le pr^etre :
— Vous voil`a r'eveill'e, monsieur l’abb'e ? Vous h'esitez `a ouvrir les yeux ?
— Je me demandais o`u nous 'etions…
— Nous arrivons vers Bonni`eres.
— Ah ! bon…
Du coup, le pr^etre se redressa tout `a fait et, soudainement, en pleine possession de lui-m^eme, rejeta dans le fond de la voiture la couverture qu’il avait conserv'ee jusqu’alors enroul'ee autour de ses jambes.
— Faites comme moi, caporal, ordonna-t-il… Jetez votre plaid sur notre colis, sans le plier… Comme cela, nul ne pourra se douter de la pr'esence de ce paquet.
— Il ne faut donc pas qu’on le voie ? demanda Fandor de l’air le plus b^ete qu’il lui 'etait possible de prendre.
Le pr^etre haussa les 'epaules :
— Bien entendu, il ne faut pas qu’on le voie ! Et `a Bonni`eres, il importe de toujours se m'efier : les gendarmes sont impitoyables et arr^etent toutes les automobiles, pour exc`es de vitesse…
Fandor ouvrit de grands yeux et, se gardant de parler, questionnait du regard son compagnon.
— Ah ca ! fit le pr^etre, agac'e de cette persistante interrogation, mais vous ne comprenez donc rien, caporal Vinson ? Je vous croyais plus perspicace… Mes moindres paroles ont l’air de vous jeter dans une stup'efaction absolue !… C’est `a d'esesp'erer d’arriver `a vous former jamais !… Ah ! voici Bonni`eres, traversons la ville sans rien dire. Sit^ot sur la grand-route, je vous donnerai quelques explications qui vous seront utiles…
Le village n’'etait pas d'epass'e depuis trois minutes, en effet, que le pr^etre se tournait vers Fandor :
— Dites-moi, caporal, faisait-il apr`es s’^etre assur'e que, dans le vent de leur route, dans le bruit de la machine, il 'etait impossible que le m'ecanicien p^ut entendre ses paroles, dites-moi, caporal, que croyez-vous qu’il y ait dans ce paquet ?
— Mon Dieu, monsieur l’abb'e…
— Caporal, il y a tout bonnement l`a-dedans la fortune pour vous et pour moi… une pi`ece d’artillerie, le d'ebouchoir du 155-R, le canon `a tirs rapides…, vous saisissez l’importance ?… Nous allons coucher ce soir dans les environs de Rouen… demain matin, de tr`es bonne heure, nous repartirons pour Le Havre… l`a, caporal, comme moi je suis connu et qu’il serait dangereux que je me fasse rencontrer, nous nous s'eparerons, vous irez avec le m'ecanicien au Nez d’Antifer… et vous y trouverez une petite barque de p^eche dont je vous donnerai le signalement, conduite par un matelot ami… vous n’aurez qu’`a lui livrer ce paquet… il prendra le large et le remettra, en pleine mer, `a qui de droit…
Abasourdi par la gravit'e des r'ev'elations que le pr^etre lui faisait ainsi, terrifi'e, Fandor resta silencieux quelques instants.
— Bon ! pensa-t-il soudain, si les choses se passent ainsi, je sais bien ce que je ferai, ce qu’il faudra absolument que je fasse… trouver un moyen, entre Le Havre et le Nez d’Antifer, de faire dispara^itre ce d'ebouchoir, qui d’ailleurs ne doit en rien ressembler `a mon dessin… Quel que soit l’int'er^et de mon enqu^ete, je ne peux pas 'evidemment risquer de livrer `a l’ennemi, `a l’'etranger, au moins, une pi`ece semblable…
— Et maintenant, j’imagine, caporal, que vous ^etes parfaitement renseign'e et que vous comprenez l’inconv'enient qu’il y aurait pour vous, plus encore que pour moi, puisque vous ^etes militaire, puisque vous ^etes en tenue, `a ce que l’on ouvr^it ce paquet…
— La situation se complique bizarrement, se dit Fandor. Ce maudit cur'e me tient dans ses filets, sans que je ne puisse rien pour me d'efendre… bon gr'e, mal gr'e, il faut en effet que je le suive… En civil, j’aurais le droit d’aller au premier bureau militaire annoncer que j’ai d'ecouvert qu’un abb'e allait livrer une pi`ece d’artillerie… J’agirais alors sous ma v'eritable qualit'e de Fandor, je dispara^itrais en tant que Vinson, et le tour serait jou'e… mais en tenue, que faire ? On m’accuserait certainement de m’^etre livr'e `a de myst'erieux trafics, on me coffrerait… j’aurais toutes les peines du monde `a me faire relaxer avant six mois… D’ailleurs…
Il lui semblait bizarre, de plus en plus, que ce f^ut `a lui, lui, caporal Vinson de Verdun – il en revenait toujours `a cette id'ee – que l’on s’adress^at pour une semblable mission. Assur'ement, les espions poss'edaient mille autres agents susceptibles de se tirer avec honneur de la p'erilleuse commission qui consistait `a remettre `a la barque du Nez d’Antifer le d'ebouchoir vol'e…
J'er^ome Fandor sentit un frisson de terreur lui courir au long de l’'echine.
— Nom de Dieu, songea-t-il, si jamais cet individu-l`a me bernait ?… si hier, aujourd’hui, n’importe quand, je m’'etais trahi ? si ces gens s’'etaient apercu de ma v'eritable identit'e ? si, sachant que je ne suis pas Vinson et… et… que je suis Fandor ils avaient invent'e cette ruse abominable… me faire mettre en tenue, jeter dans une voiture un m'ecanisme d’artillerie dont la pr'esence soit compromettante et s’en aller me livrer `a Rouen, ou ailleurs, `a l’autorit'e militaire ?…
— Monsieur l’abb'e, demanda-t-il, comme la voiture traversait un village et que le pr^etre ouvrait les yeux, je suis mort de froid, verriez-vous un inconv'enient `a ce que nous nous arr^etions une minute pour prendre un verre de rhum ? cela nous r'echaufferait…
L’abb'e s’'etait renfonc'e sur la banquette de la voiture ;
il sommeillait `a nouveau.
Fandor regarda son compagnon de route `a la d'erob'ee…
`A bien la consid'erer, soudainement, la figure du pr^etre lui paraissait 'etrange… les sourcils 'etaient trop r'eguliers, peints, sans doute ?… et puis, comme il avait la peau fine !… pas la moindre trace de barbe !…
Fandor continuait son examen…
Du dessous de la soutane sortait la chaussure du pr^etre, chaussure classique pour un abb'e, soulier `a boucle d’argent… mais comme la cheville paraissait fine !…
Qu’allait-il imaginer encore ? Vraiment, il devenait trop craintif, il s’effarait des moindres d'etails…
Silencieusement, le pr^etre faisait signe au m'ecanicien d’arr^eter `a la porte d’un cabaret de petite importance.
— Portez un cognac au m'ecanicien, commandait `a la patronne le pr^etre, vous donnerez `a Monsieur un verre de rhum… vous me verserez une anisette…
— Une anisette, songeait Fandor en remontant dans l’automobile, c’est de la liqueur pour pr^etre, pour adolescent… pour femme !… Ah ! zut de zut, je ne me sens pas du tout tranquille… je voudrais bien m’en aller…
Le pr^etre interrompit les r'eflexions de Fandor :
— Dans une heure, disait-il, nous serons `a Rouen ; nous traverserons la ville, mais nous nous arr^eterons quelques kilom`etres plus loin, `a Barentin. J’y connais un tr`es bon petit h^otel…
Fandor ne r'epondait point, mais il pensait :
— Va pour Barentin !… Mais si j’ai le moindre indice que ce bonhomme-l`a veut me l^acher, veut me quitter une seconde, s’il a l’air de songer `a pr'evenir l’autorit'e, je connais quelqu’un qui prendra la fuite… et comment !…
20 – HOMME OU FEMME ?
Les kilom`etres succ'edaient aux kilom`etres.
Le pr^etre s’'etait enfonc'e dans les coussins de la banquette et fermait `a demi les yeux. Fandor, `a son tour, se sentait pris d’une 'etrange somnolence…
— Ce qu’il y a d’ennuyeux, pensait-il, c’est que ce soir, `a peine la t^ete sur l’oreiller, je m’en vais `a coup s^ur ronfler comme une brigade de gendarmerie.
On approchait cependant.
Apr`es une descente rapide, la route s’'etait infl'echie sur la droite ; elle serpentait maintenant `a flanc de coteau, bord'ee sur un c^ot'e par la Seine, sur l’autre par des falaises taill'ees `a pic que dominait au lointain le sanctuaire rouennais, objet de la v'en'eration de toute la contr'ee : Notre-Dame de Bon Secours.