L'agent secret (Секретный агент)
Шрифт:
Juve, muni de ces renseignements qui co"incidaient avec ceux recueillis par lui la veille au soir, de la bouche m^eme de Bobinette, qui compl'etaient en somme ceux de la jeune femme, d'ecida qu’il importait au plus vite de gagner Dieppe et d’y effectuer une surveillance.
Juve avait pu prendre `a la gare Saint-Lazare, le train dit « de mar'ee », qui correspond avec le bateau d’une heure, `a Dieppe, `a destination de l’Angleterre.
Or, voici qu’install'e dans son wagon de premi`ere classe, il avait reconnu, se promenant dans le couloir, un officier du Deuxi`eme Bureau dont la silhouette lui 'etait famili`ere. Le lieutenant Henri de Loubersac… Le train s’'ebranlait `a peine que, dans le compartiment o`u Juve 'etait seul, vint s’asseoir l’officier de cuirassiers. Lui aussi avait identifi'e le policier.
Or, Henri de Loubersac qui 'etait au courant, depuis quelques heures, de l’arrestation du faux Vagualame, avait compris que c’'etait avec Juve qu’il s’'etait entretenu sur le quai pr`es la rue de Solferino. Si dans l’int'er^et de la D'efense Nationale le mal n’'etait pas grand, l’officier du Deuxi`eme Bureau 'etait profond'ement mortifi'e de s’^etre ainsi laiss'e berner par un civil.
C’'etait l`a, pensait-il, des proc'ed'es que l’on n’employait pas, des proc'ed'es indignes d’un galant homme.
D`es le tunnel des Batignolles, les voyageurs commenc`erent `a discuter de cette d'elicate question, de Loubersac, tr`es emport'e, Juve imperturbable.
La discussion durait encore lorsqu’on entra en gare de Dieppe…
Les deux hommes n’ayant plus rien `a se dire, semblait-il et ayant `a peine effleur'e le sujet des motifs qui les amenaient en m^eme temps dans ce port de mer, s’'etaient quitt'es, se saluant s`echement.
Puis ils avaient err'e une heure, chacun de son c^ot'e.
Or, sans doute, ils avaient le m^eme objectif, voulaient tous deux surveiller les abords des quais, car ils se trouvaient sans cesse l’un en face de l’autre, pr`es des bassins, le long des jet'ees.
Cette situation aurait pu se prolonger ind'efiniment, en d'epit de son ridicule, mais Juve et de Loubersac 'etaient trop intelligents, trop s'erieux et aussi trop p'en'etr'es de leurs devoirs pour s’ent^eter et continuer d’agir s'epar'ement dans une affaire pour laquelle leur association e^ut 'et'e profitable.
C’est pourquoi Juve, `a la quatri`eme rencontre fortuite avec l’officier, lui proposa la paix et l’officier l’accepta.
— En somme, reprit Juve, apr`es l’'echange cordial des poign'ees de mains, que cherchons-nous, vous et moi, ou pour mieux dire, vers quel but tendent `a la fois le Deuxi`eme Bureau et la S^uret'e ?
— Un document nous a 'et'e vol'e, nous voulons le retrouver…
Juve poursuivit :
— Deux crimes ont 'et'e commis, nous voulons atteindre l’assassin.
— Et, continua le lieutenant de Loubersac en souriant, comme il est vraisemblable que le meurtrier du capitaine Brocq et de la chanteuse Nichoune n’est autre que l’individu qui a d'erob'e le document…
— En unissant nos efforts, acheva Juve, nous avons toute chance de d'ecouvrir l’un et l’autre…
Cependant le policier, apr`es une pause, interrogea :
— Toutefois, mon lieutenant, j’imagine, puisque vous vous trouvez ici, c’est qu’il y a dans cette affaire comme qui dirait un incident, en embranchement…
Et br^ulant ses vaisseaux, le policier ajouta :
— En r'ealit'e, n’^etes-vous pas venu `a Dieppe pour surprendre… un certain caporal qui doit livrer `a l’'etranger une pi`ece de la plus haute importance ?
De Loubersac ne tenta pas de ruser :
— C’est exact, je vois que vous ^etes comme moi, au courant de l’affaire du
Juve hocha la t^ete.
Les deux hommes, lentement, 'etaient revenus vers la ville et longeaient les quais de l’avant-port.
Puis ils se rendirent pr`es d’un bassin au milieu duquel 'etait mouill'e un joli petit yacht de plaisance battant pavillon hollandais.
Juve, avec attention, consid'era cet 'el'egant navire, et comme Henri de Loubersac lui demandait s’il avait un go^ut particulier pour le yachting, le policier sourit :
— Non ! N'eanmoins, lorsque ce yacht appareillera, j’aurai le plus grand plaisir `a le visiter de fond en comble avec les douaniers, car, si mes renseignements sont exacts, ce bateau de plaisance voyage `a d’autres fins que celles de distraire ses passagers. J’aime `a croire, pour tout dire, que c’est dans ses flancs que bient^ot le caporal Vinson viendra dissimuler le d'ebouchoir vol'e, et aussi sa peu int'eressante personne.
Henri de Loubersac acquiesca.
— Monsieur Juve, vous ^etes parfaitement au courant.
Puis les deux hommes caus`erent de l’affaire.
— Ah ! dit Juve, quel dommage que le capitaine Loreuil et l’inspecteur Michel soient intervenus hier soir et m’aient arr^et'e pr'ematur'ement, croyant s’emparer de Vagualame. Car d'esormais je ne pourrai plus employer le d'eguisement de ce bandit pour interroger en s'ecurit'e les divers membres de cette grande association d’espions que nous cherchons `a d'ecouvrir…
— Mais, demanda le lieutenant de Loubersac, curieux de savoir le fond de la pens'ee du policier, encore qu’il n’aim^at gu`ere se rem'emorer les affaires de Vagualame dans lesquelles il avait 'et'e bern'e, qui vous emp^echera de vous camoufler de nouveau en Vagualame ?
— Mon cher monsieur, r'epliqua Juve, qui tout en parlant jetait de perp'etuels regards inquisiteurs tout autour de lui, car il s’attendait d’un moment `a l’autre `a voir arriver le gibier qu’il chassait, mon cher monsieur, alors que personne ne savait que j’'etais un faux Vagualame, je pouvais lui emprunter son aspect, mais d'esormais je suis br^ul'e. Non seulement br^ul'e dans l’entourage du coupable, mais – j’en ai aussi la persuasion – br^ul'e aupr`es du vrai Vagualame.
— Vous aurait-il donc vu ?
— J’en mettrais ma main au feu !
— `A quel moment ? o`u cela ? dans la rue ?…
— Non pas, mon lieutenant, mais plus pr'ecis'ement, lors de mon arrestation…
— Vous 'etiez assez peu nombreux, d’apr`es ce que j’ai entendu dire. Il faudrait donc que le vrai Vagualame se soit trouv'e chez le baron de Naarboveck ?…
— H'e, pourquoi pas ?
— Qui donc soupconnez-vous ?