L'agent secret (Секретный агент)
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— Avez-vous du nouveau ?
L’officier sourit :
— Je tiens votre homme…
— Vous en ^etes s^ur ?
Le capitaine, qui s’'etait assis sur la banquette, `a c^ot'e du policier, se pencha `a son oreille :
— Il se fait appeler Butler et pr'etend ^etre canadien ; il assure 'egalement se trouver `a Londres depuis quelque temps, mais il ment. Je l’ai parfaitement reconnu pour l’avoir d'ej`a vu `a Ch^alons, alors qu’il entretenait la chanteuse Nichoune et que nous le soupconnions d’^etre l’auteur des fuites qui se produisaient dans les bureaux de l’'etat-major. C’est bien le caporal Vinson. En cons'equence, vous pouvez intervenir.
— Intervenir ? Comme vous y allez, mon capitaine ! Songez que nous sommes en pays 'etranger et qu’il ne s’agit point d’un crime de droit commun ; Vinson n’est pas inculp'e d’assassinat, mais simplement de trahison !
— J’aime ce mot :
— Ne le prenez pas en mauvaise part, mais il a son importance au point de vue du droit international. Je ne puis, sous pr'etexte d’espionnage, arr^eter Vinson en Angleterre.
— … Heureusement, poursuivit le capitaine, que nous avons d'ej`a pr'evu cette difficult'e.
L’officier raconta alors `a Juve le stratag`eme imagin'e par lui pour convaincre le faux Butler qu’on allait lui procurer une situation.
— Nous sommes, donc bien d’accord, je vais vous pr'esenter l’individu, vous passerez `a ses yeux pour ^etre l’impr'esario Paul qui veut l’engager comme dresseur de serins et puis, dame… vous vous d'ebrouillerez…
— Il serait urgent de le d'ecider `a partir ce soir avec moi…
— Vous m’aiderez, mon capitaine, deux valent mieux qu’un dans une semblable circonstance…
25 – L’ARRESTATION
Dans la vaste gare de Charing Cross, la locomotive haletait.
Le claquement des porti`eres que l’on ferme retentit soudain en une succession de bruits secs et au coup de sifflet du « guard » `a l’uniforme chamarr'e, le train s’'ebranla lentement, sortit du hall vitr'e, s’engagea sur le pont qui traverse la Tamise.
C’'etait l’express de Douvres, le « Continental Mail ».
Dans un compartiment de premi`ere classe, trois voyageurs 'etaient install'es ; ils fumaient de majestueux cigares et avaient les yeux anim'es, les pommettes rouges, la face luisante de gens qui viennent de faire un excellent repas.
C’'etaient Juve, le capitaine Loreuil et le caporal Vinson, qui se connaissaient officiellement les uns les autres, comme 'etant Butler, jeune Canadien que l’impr'esario Paul venait d’embaucher pour partir en Belgique sur la recommandation de leur ami commun, Tommy, musical-clown.
Toutefois, Vinson-Butler 'etait seul dupe de la supercherie.
Si le malheureux garcon avait eu tout son sang-froid, si l’absorption des liqueurs fortes et des vins g'en'ereux n’avait pas d'etermin'e en lui un optimisme et une confiance exag'er'ee, le tra^itre d'eserteur, qui sans cesse devait ^etre en proie aux plus grandes inqui'etudes, ne se f^ut pas laiss'e emmener de la sorte par ces deux individus qu’il connaissait `a peine, et pr'etextant lui trouver une situation en Belgique.
Mais le policier et le capitaine, fid`eles `a leur programme, avaient copieusement gris'e leur compagnon.
Le train traversait Londres, dominant du haut du viaduc les innombrables toits de l’immense Cit'e qui s’'etend sur un rayon de plus de vingt kilom`etres.
On br^ulait avec un ronflement ouat'e des multitudes de stations brillamment illumin'ees sur les murs desquelles ressortaient des affiches multicolores, puis le convoi trouait une obscurit'e de plus en plus grande, au fur et `a mesure que l’on s’avancait dans la campagne.
L’infortun'e Vinson, nullement troubl'e, s’endormit rapidement et le bercement du train le plongea, au bout d’une demi-heure `a peine, dans un profond sommeil.
Juve et le capitaine veillaient, anxieux, soucieux de voir s’achever au plus vite ce voyage.
Le capitaine fit un signe d’intelligence au policier et celui-ci, s’approchant de lui, murmura `a voix basse :
— Tout va bien jusqu’`a pr'esent, mais le plus difficile n’est pas fait. Ce que je redoute, c’est Douvres…
— Et vous n’avez pas tort, conclut le capitaine, c’est en effet le point d'elicat de l’affaire.
On 'etait parti `a neuf heures du soir, et vers onze heures moins dix, le train qui avait travers'e tout le sud-est de l’Angleterre, ralentit son allure et siffla 'eperdument avant de s’engager dans les tunnels qui suivent la c^ote escarp'ee de la Manche.
Le train ralentit encore. On stoppa quelques instants `a la station de Douvres-ville, puis le convoi se remit en marche, lentement, et gagna enfin la jet'ee, le
« Pier », o`u il allait d'ebarquer ses voyageurs `a destination du Continent.D'ej`a les employ'es appelaient les passagers, les invitant `a se r'epartir en deux bandes distinctes, selon que les uns ou les autres se proposaient de gagner la Belgique ou la France.
Vinson, dit Butler, dormait toujours profond'ement, Juve h'esitait `a le r'eveiller, ayant son id'ee de derri`ere la t^ete.
Le policier voulait attendre le dernier moment, l’instant supr^eme du d'epart du paquebot pour y monter avec son compagnon qu’il consid'erait d'ej`a presque comme son prisonnier.
Le capitaine Loreuil errait sur le quai et attendait flegmatiquement en fumant un cigare.
— Allons, Butler ! s’'ecria Juve soudain, en secouant le tra^itre par les 'epaules.
Celui-ci eut un sursaut, ouvrit des yeux effar'es et balbutia, la bouche p^ateuse :
— Qu’y a-t-il, que me voulez-vous ?
Mais Juve hypocritement lui souriait d’un air aimable :
— Eh bien, mon vieux, r'eveillez-vous, il faut prendre le bateau…
Confus'ement, le caporal qui titubait `a la fois d’ivresse et de torpeur, entendit les employ'es crier ces phrases significatives destin'ees `a renseigner le public :
— Steamer Victoriapour Ostende ! steamer Empresspour Calais !…
— D'ep^echons-nous ! fit Juve, en poussant son compagnon hors du wagon.
Il r'egnait un brouillard intense, et sans les puissants phares 'electriques que chacun des paquebots portait au sommet du grand m^at il aurait 'et'e impossible de s’y reconna^itre, de d'ecouvrir le long du quai les passerelles qui communiquaient avec eux.
Juve, sous pr'etexte de cordialit'e, avait pris le bras du faux Butler. Ce n’'etait pas superflu : le malheureux, qui vacillait, serait vingt fois tomb'e pendant sa marche, glissant sur les rails du train, butant contre les paquets de cordages encombrant le « Pier ».