L'agent secret (Секретный агент)
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Il s’interrompit.
Le jeune homme brun l’interrogeait encore :
— De quel pays viens-tu, Tommy ?
— Moi ? je suis belge ! sais-tu pour une fois godferdoum !…
« Et toi, Butler ?
— Moi, hum ! je suis canadien., j’arrive du Canada… Oh ! voici fort peu de temps… trois mois `a peine…
— Autant que cela ?
Butler parut ^etre troubl'e par cette question ; il r'eprima un tressaillement :
— Oui, oui, affirma-t-il…
— Oui et je suis bien pr'eoccup'e ici, car je sais tr`es mal l’anglais et j’ai beau chercher du travail, c’est en vain…
— Que sais-tu faire ?
— Un peu de tout…
— C’est-`a-dire, rien !… mais encore ?…
— Je m’y connais en comptabilit'e…
— Ce n’est pas cela qui te m`enerait loin ! Il y en a des centaines et des centaines qui croupissent dans ce m'etier.
Mais Butler se regimbait :
— H'e ! que voulez-vous donc que je fasse ?…
— Il n’y a qu’une carri`ere au monde : le th'e^atre ! Il n’y a qu’un seul m'etier, celui d’artiste.
— Moi, je ne demanderais pas mieux que d’entrer au th'e^atre, mais je ne sais rien faire.
Son compagnon sans doute attendait cette r'eponse ; il jeta un coup d’oeil dans la direction du jeune homme, sur le cerveau duquel les verres de whiskey commencaient `a faire leur effet.
Butler 'etait congestionn'e, ses yeux devenaient un peu vagues, il paraissait 'etourdi.
Tommy, apr`es un rapide examen, dut estimer que le moment 'etait propice pour gagner un adepte de plus `a la religion de l’art qu’il pr^echait avec tant de conviction… tout au moins avec tant d’apparence de conviction.
— 'Ecoute, murmura-t-il, myst'erieusement en se penchant `a l’oreille de son ami, voil`a peu de temps que je te connais, mais tu m’es sympathique et j’'eprouve d'ej`a pour toi une extr^eme amiti'e… dis-moi que c’est la m^eme chose de ton c^ot'e ?
Touch'e par ce cordial d'ebut et l'eg`erement attendri par ses nombreuses libations, Butler leva une main oscillante au-dessus de son verre et prof'era :
— Je le jure !
— Bien ! poursuivit le gros personnage qui avait d'eclar'e s’appeler Tommy, et pr'etendait ^etre clown musical… Bien !… mon cher Butler, je crois que les choses vont s’arranger `a merveille. Figure-toi que j’ai rencontr'e pr'ecis'ement aujourd’hui, en me promenant sur les bords de la Tamise, un impr'esario que je connais depuis longtemps, c’est un bon camarade, il s’appelle Paul. Naturellement, nous sommes all'es prendre des verres dans un bar, et apr`es avoir bu, je lui ai dit :
« Qu’est-ce que vous faites ici, Paul ? Il m’a r'epondu : Je cherche un artiste !
« Bien entendu, je me suis propos'e d’abord. Toutefois, Paul m’a expliqu'e qu’il n’avait pas besoin d’un clown, mais simplement d’un professeur. J’ai promis de m’en occuper, de lui trouver quelqu’un. Veux-tu ^etre ce professeur ?
— Professeur de quoi ?
Celui-ci 'eclata de rire :
— Cela n’a aucune importance, et d’ailleurs, tu ne pourrais jamais imaginer quels seront tes 'el`eves, si je ne te le disais pas. Il s’agit d’apprendre `a siffler `a des serins japonais…
Butler, bien que gris, haussa les 'epaules, croyant `a une plaisanterie.
Mais le clown insistait, d'emontrait que si la profession 'etait d'elicate, elle n’avait rien de ridicule, qu’il suffisait d’avoir de la pers'ev'erance et de la bonne volont'e. Enfin, argument supr^eme, on 'etait pay'e tout de suite.
Tandis que Butler, singuli`erement impressionn'e, – car il commencait `a se persuader que son compagnon parlait s'erieusement, – r'efl'echit, le clown, incapable de demeurer en place, s’agitait sur son tabouret et fredonnait d’une voix de fausset, sur l’air des Vieillards de Faust, que pr'ecis'ement `a ce moment jouait l’orchestre de tziganes :
—
« Pour amuser la galerie… »
Le clown interrompit sa chanson :
— Allons, interrogea-t-il, est-ce d'ecid'e ?
— Ma foi, h'esita encore Butler, je ne sais pas trop si je dois…
— Mais oui, tu dois.
Butler eut encore un scrupule, son compagnon poursuivait :
— Justement j’ai rendez-vous avec l’impr'esario pour d^iner ; il doit ^etre dans la salle du bas… veux-tu que j’aille le chercher ?… nous nous r'eunirons tous les trois et l’on causera de l’affaire ?
Paraissant faire un r'eel effort de volont'e, Butler posa soudain cette 'etrange question :
— O`u faudrait-il aller ? dans quel pays ?
Le plus simplement du monde, Tommy r'epliqua :
— Mais en Belgique, naturellement ! L’impr'esario est belge, comme moi…, nous sommes compatriotes.
Le clown ayant jug'e son compagnon enfin d'ecid'e, l’abandonnait pour descendre au rez-de-chauss'ee, retrouver l’impr'esario.
Butler, demeur'e seul, poussait un soupir et vida encore un verre de whiskey.
***
Se faufilant `a travers les tables encombr'ees de la salle du bas, allant aussi vite que possible, et multipliant les excuses, s’inclinant obs'equieusement aupr`es des gens qu’il d'erangeait, le gros homme pr'esent'e `a Butler, sous la d'esignation du clown Tommy, se dirigea droit au fond de la pi`ece.
Il avisait un homme ras'e, qui, seul dans ce coin obscur, m'editait devant sa consommation.
S’approchant de lui, il interrogea :
— Monsieur Juve, n’est-ce pas ?
— Monsieur le capitaine Loreuil, si je ne me trompe ?
Les deux hommes 'echang`erent une poign'ee de mains machinale.
Le personnage que Juve avait appel'e capitaine Loreuil r'epondait `a mots pr'ecipit'es :
— C’est moi, en effet, mais dans les circonstances actuelles, je suis Tommy, clown musical belge, et vous ^etes M. Paul, impr'esario. Ce sont, n’est-ce pas nos conventions ?
— En effet ! d'eclara Juve `a mi-voix, puis il demanda :