L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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— Dommage, tout de m^eme, murmura le p`ere Denis qui, de temps `a autre, jetait un mauvais regard au mort, il va juste aussi vite que nous ou `a peu pr`es, il nous accompagnera jusqu’`a ce soir. J’aime pas ca.
`A quelque distance de Saint-Denis, cependant, un canot de promenade, mont'e par deux jeunes gens accompagn'es de deux jolies filles, faisaient force de rames. De la fr^ele embarcation, on apercut le noy'e :
— Tiens, regardez, qu’est-ce que c’est ?
`A l’exclamation de l’une des canoti`eres, les autres se retourn`erent et des cris d’horreur jaillirent.
— Mais c’est un mort, c’est un noy'e.
L’un des jeunes gens alors lanca une plaisanterie d’un go^ut douteux :
— On le rep^eche ? on l’invite avec nous ?
— Ah, non alors, quelle horreur. Qu’il aille se faire pendre ailleurs.
Le mort continua son chemin, ballott'e par les flots.
***
L’usine Granjeard, apr`es une p'eriode d’inactivit'e, qui n’avait pas 'et'e longue d’ailleurs, bourdonnait de ses multiples ateliers. Va-et-vient perp'etuel des ouvriers t^oliers, clouant `a grands renforts de masses 'enormes de formidables rivets, marteaux pilons haletant aux ateliers de forges, machines trieuses des ateliers de clouterie, ronflement des dynamos, sifflet des machines `a vapeur scandant le vacarme de l’'enorme entrep^ot. Or, subitement, vers onze heures du matin le silence. L’'electricit'e s’'eteint. Les machines s’arr^etent.
Que se passe-t-il ?
Le contrema^itre Landry frappe discr`etement `a la porte du cabinet de Paul Granjeard :
— Entrez Landry. Qu’est-ce que vous voulez ?
— Monsieur l’ing'enieur, il y a une avarie.
— En effet, je viens d’entendre la cloche. Qu’est-ce que c’est ?
— La pompe `a eau ne fonctionne plus.
— Diable. Qu’est-ce qu’elle a ?
— Je ne sais pas, monsieur l’ing'enieur, j’ai envoy'e les hommes `a la bouche de la Seine, ils sont en train de regarder. Je suis venu vous pr'evenir.
— Vous avez bien fait. Je vous accompagne.
L’usine 'etait b^atie le long des bords de la Seine qui, par une pompe gigantesque, alimentait les chaudi`eres. Or, c’'etait cette pompe `a eau qui venait de s’arr^eter. Au lieu du torrent d’eau qu’elle chargeait habituellement, il ne passait plus dans les tuyaux qu’un mince filet de liquide. La prise devait ^etre obstru'ee le long des berges de la Seine. Paul Granjeard, suivi du contrema^itre principal, atteignit le lieu de l’accident.
— Eh bien ? qu’est-ce qu’il y a ?
Quatre ou cinq ouvriers 'etaient couch'es sur les quais m^eme, regardant l’eau, cependant que d’autres, dans des barques, arm'es de gaffes, s’occupaient `a d'eboucher la prise d’eau.
— Qu’est-ce qu’il y a ? r'ep'etait Paul Granjeard.
L’un des hommes se retourna :
— Monsieur l’ing'enieur, c’est un cadavre, c’est un mort que le courant est venu coller l`a. La prise d’eau l’a aplati contre la grille. Alors il bouche tout.
— Eh bien, rep^echez-le.
Ce qu’ils firent. Avec des cordes, on attacha ses pauvres jambes, puis les ouvriers hal`erent le mort qu’on hissa sur la berge.
— Eh bien, il n’est pas beau, s’'ecria l’un des ouvriers. Ah l`a l`a, monsieur l’ing'enieur, c’est pas du riche travail qu’on fait ce matin.
Paul Granjeard s’'etait pench'e sur le noy'e au moment o`u, `a force de gaffes, on le ramenait `a la surface du fleuve. Et quand il avait 'et'e 'etendu sur la berge, Paul Granjeard s’'etait pris `a examiner ce corps avec un d'ego^ut m^el'e de curiosit'e, une sorte d’attirance aussi.
C’'etait le corps d’un homme jeune, Il 'etait d'ev^etu, aucun linge ne voilait sa nudit'e, `a peine un soulier demeurait-il, d'echiquet'e. Peut-^etre avait-il longtemps s'ejourn'e dans l’eau car il 'etait boursoufl'e, gonfl'e, ignoble `a voir. Le visage lui-m^eme n’avait plus rien d’humain. Les cheveux coll'es, aplatis, 'etaient emm^el'es de limon et de boue, les yeux rentr'es dans les orbites, arrach'es presque, 'etaient sans regard, les l`evres blanches, une bouffissure gonflait `a ce point les joues et le nez que les traits 'etaient absolument d'eform'es, `a peine pouvait-on remarquer la trace bleue de la barbe et de la moustache qui 'etaient ras'ees.
— Pouah, d'eclarait Paul Granjeard, se redressant, l’abominable spectacle.
D'ej`a tourbillonnaient les mouches. Une pestilence montait qui fit reculer l’assistance.
— Jetez une toile l`a-dessus, ordonna Paul Granjeard, et vous, Landry, courez jusqu’au poste faire la d'eclaration, que l’on nous d'elivre de ce cadavre rapidement. Je ne tiens pas `a ce qu’il y ait une 'epid'emie ici. Ni m^eme `a ce que ma m`ere apprenne la trouvaille qu’on a faite.
Brusquement redress'e, l’ing'enieur se retourna vers les autres ouvriers :
— Eh bien vous, qu’est-ce que vous attendez ? Allons, `a l’atelier ! La prise d’eau est d'ebouch'ee, le travail va reprendre.
Sous une toile, sous une b^ache qu’un ouvrier avait 'et'e chercher, le corps fut laiss'e sur le quai de l’usine.
***
— Alors, vous n’aimez pas les escargots ? Eh bien vous avez tort, vous avez absolument tort. 'Evidemment, c’est lourd `a l’estomac, mais c’est savoureux.
— Oui, la sauce, parce que pour l’escargot lui-m^eme.
— Et puis, il ne s’agit pas de cela. Qu’est-ce que vous me conseillez de faire ?
M. Bagot, commissaire de police de Saint-Denis, d'ejeunait au restaurant de la Mairie, avec un homme grave, fort intelligent, qu’il fr'equentait depuis une dizaine de Jours.
— Qu’est-ce que vous me conseillez de faire ? r'ep'etait M. Bagot, la pince `a escargot d’une main, la fourchette de l’autre et sa serviette soigneusement nou'ee derri`ere la t^ete, d’un grand noeud qui lui faisait derri`ere la t^ete deux 'enormes oreilles d’^ane.
— Mais je ne vous conseille rien, moi.
— Allons donc.
Et comme l’ami du commissaire souriait, M. Bagot reprit :
— Si vous 'etiez Juve, si vous m’aviez dit que vous 'etiez Juve ?
— Oui, mais je ne vous l’ai pas dit.
— C’est entendu, vous ne me l’avez pas dit. Mais quand, avant-hier, je vous ai dit, moi :
— D’accord.
— Donc, si vous 'etiez Juve, qu’est-ce que vous feriez ?
— Si j’'etais M. Bagot, je me frotterais les mains.
— Je ne vous comprends pas du tout.
— Laissez donc. Mangez vos escargots, monsieur Bagot et 'ecoutez-moi : si j’'etais vous, si j’'etais `a votre place, je me frotterais les mains. Pourquoi ? C’est bien simple. Vous avez deux affaires int'eressantes `a 'etudier, et deux affaires qui, pour un policier subtil comme vous, vont vous valoir un beau triomphe.
M. Bagot 'etait de plus en plus stup'efait :
— Expliquez-vous. Quelles sont ces deux affaires ?
— D’abord, expliqua Juve, il y a ce rapport d’agent qui vous signale qu’un gardien de nuit du d'ep^ot des wagons-lits a entendu crier et se d'ebattre quelqu’un. Vers une heure du matin. Du c^ot'e de l’avenue de Saint-Denis. Et la veille, la d'ecouverte du wagon ensanglant'e dans l’entrep^ot.