L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
Шрифт:
Lorsque Mme Granjeard fut un peu remise, ce fut Juve qui, le premier, proposa :
— Voulez-vous que nous nous retirions dans la pi`ece voisine ? L’identification est d'esormais faite. Nous savons d'esormais que la victime de la Plaine Saint-Denis est M. Didier Granjeard.
— Oui, dit le commissaire, passons dans la pi`ece voisine.
Les Granjeard, d’ailleurs semblaient fort heureux de fuir l’'epouvantable spectacle qu’ils avaient sous les yeux. Juve avait fait signe aux agents de se retirer et, seul, le secr'etaire du commissaire demeurait dans la salle attenant `a la morgue, avec le commissaire lui-m^eme, le policier, et la famille de Didier.
Juve reprit :
— Ce cadavre est celui qui fut retir'e il y a quelques jours de la prise d’eau de votre usine, qu’il obstruait `a l’entr'ee de la Seine. Il est assez curieux, puisque les uns et les autres vous avez vu ce mort au moment o`u on l’a retir'e du fleuve, que vous ne l’ayez pas reconnu.
— C’est tr`es curieux, en effet, reconnut Mme Granjeard, je me demande comment il se fait qu’on n’ait pas reconnu mon fils.
Le commissaire observa :
— Il y a une raison `a cela madame. C’est que votre malheureux enfant qui portait toute sa barbe, a 'et'e compl`etement ras'e par ses assassins. D’autre part, le s'ejour dans l’eau l’a d'efigur'e.
Juve interrompit le commissaire :
— Il ne s’ensuit pas moins, fit-il, que la reconnaissance aurait d^u se faire, ou tout au moins, il me semble que dans la famille Granjeard on aurait d^u avoir une certaine inqui'etude, car l’absence prolong'ee de M. Didier aurait suffi `a la justifier.
— Mais fit Mme Granjeard, nous n’'etions pas inquiets de lui. Pr'ecis'ement, au moment o`u son cadavre a 'et'e d'ecouvert, il venait de nous 'ecrire qu’il ne rentrerait pas de quelque temps.
— Et cela ne vous a pas surpris, madame ? demanda Juve.
— Non, r'epliqua la veuve Granjeard, car nous avions eu une discussion au sujet d’int'er^ets, et mon fils me menacait de se brouiller avec nous si nous n’en passions pas par ses exigences.
— S’agissait-il d’int'er^ets s'erieux ? pr'ecisa encore le myst'erieux policier.
— Oui, tr`es s'erieux.
— Histoire de femme ? d’enfant ? interrogea Juve.
— Plus grave que cela, monsieur, histoire d’argent.
— Ah vous trouvez que c’est plus grave ? fit Juve.
De sa voix sifflante, la veuve Granjeard intervint :
— C’est une affaire d’appr'eciation, dit-elle.
— En effet. On appr'eciera d’ailleurs, madame.
— Que voulez-vous dire ? fit-elle.
Juve, alors, brusquement, 'eclata :
— Je veux dire, madame, que depuis dix minutes, au cours desquelles monsieur le commissaire de police et moi, nous vous avons minutieusement observ'es, vous avez eu, vous et vos fils, une attitude v'eritablement extraordinaire et que l’on n’est pas en droit d’attendre d’une m`ere qui apprend soudain la facon affreuse dont son fils est mort, de la part de fr`eres a^in'es qui apprennent brusquement les circonstances dans lesquelles leur fr`ere cadet est pass'e de vie `a tr'epas.
— Nous avons l’attitude qui nous convient, libre `a nous j’imagine de dissimuler notre douleur s’il ne nous pla^it pas de la montrer devant les indiff'erents, dit Mme Granjeard.
Encourag'es par l’attitude de leur m`ere, les fils Granjeard protest`erent `a leur tour :
— Il est d’ailleurs inutile, d'eclaraient-ils, de poursuivre plus longtemps ces p'enibles entretiens. Nous avons reconnu notre fr`ere, cela doit suffire `a la justice et notre r^ole est d'esormais termin'e. D’ailleurs, la police ferait mieux de s’occuper de rechercher les coupables.
— Et qui vous dit, hurla-t-il, que la police ne s’en occupe pas ? Ici m^eme en ce moment pr'esent ?
— Qu’est-ce que cela signifie ? demanda Mme Granjeard.
— Cela signifie, fit-il, que nous trouvons extraordinaire, inadmissible m^eme, et fort suspect, M. le commissaire de police et moi, que vous n’ayez pas, lorsque le cadavre de Didier vous a 'et'e montr'e une premi`ere fois, reconnu, vous, madame, votre fils, vous, messieurs, votre fr`ere. Il est inadmissible que, n’ayant plus de ses nouvelles pendant six jours, vous soyez rest'es tranquilles sans vous pr'eoccuper de savoir ce qu’il 'etait devenu. Tout cela a besoin d’^etre expliqu'e, 'eclairci.
Hors d’elle-m^eme, Mme Granjeard interrompit Juve :
— Nous n’avons de comptes `a rendre `a personne sur nos attitudes et nos sentiments.
— Possible, madame, mais vous aurez en tout cas, `a assumer la responsabilit'e de vos actes qu’il va falloir expliquer.
— `A qui donc ? monsieur, s’'ecri`erent Paul et Robert.
Juve venait de faire un signe au commissaire de police, puis se tournant vers les Granjeard, il leur d'eclara :
— C’est au juge d’instruction que vous aurez d'esormais affaire, car M. le commissaire d'ecide de vous mettre en 'etat d’arrestation.
— Oui, reprit le magistrat, comme 'electris'e par l’attitude du policier, madame veuve Granjeard, monsieur Paul Granjeard, monsieur Robert Granjeard, au nom de la Loi, je vous arr^ete !
9 – LA VIEILLE 'EPILEPTIQUE
Les gardiennes, avec des gestes qui n’avaient aucune amabilit'e, s’empressaient `a faire circuler dans les couloirs blanchis `a la chaux les d'etenues qu’elles venaient d’extraire de leurs cellules.
C’'etait, dans la prison de Saint-Lazare, dans le b^atiment A, une agitation inhabituelle, des cris, des rires, parfois des chants, le tout coup'e d’injonctions br`eves, d’ordres sans r'eplique :
— Allons, la 433, d'ep^echez-vous, ou je vous prive de cantine. Voulez-vous vous taire, la 73 ? On n’a jamais vu une bavarde comme vous. Pas de vin `a midi si ca continue. Allons, allons, pressons.
Les escaliers qui menaient du premier 'etage aux pr'eaux affect'es `a la promenade des d'etenues s’emplissaient de la foule des condamn'ees que l’on conduisait `a la r'ecr'eation. D’ailleurs, les mesures administratives qui veulent, de facon absolue, que les d'etenues en pr'evention ne soient m^el'ees aux d'etenues accomplissant une peine, n’'etaient pas observ'ees. La mauvaise disposition de Saint-Lazare, un b^atiment archa"ique, nullement fait pour servir de prison, ne permettait pas de respecter la Loi.
Les gardiennes pressaient leur monde sans la moindre piti'e. Le r`eglement pr'evoyait, en effet, que chaque matin et chaque apr`es-midi, par mesure d’hygi`ene, pour mieux r'esister `a l’'etroitesse de ces murs o`u l’atmosph`ere empuantie 'etait asphyxiante, irrespirable, les d'etenues seraient conduites toutes ensemble, dans la grande cour de la prison, o`u elles devraient se promener, par rangs, les unes derri`ere les autres, en rond, de droite `a gauche. Dans la prison, en l’argot familier de la maison, cela s’appelait