L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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La promesse d’un pourboire aussi royal produisit naturellement son effet sur le wattman abasourdi. Sans se soucier des gestes des agents, des r'ecriminations des passants, `a une allure de vertige, il lanca sa voiture. Apr`es la poursuite `a pied, la poursuite en auto commencait.
H'elas, les deux v'ehicules, celui de Juve et celui de Fant^omas, appartenaient `a la m^eme compagnie, 'etaient du m^eme type, aussi bien r'egl'es l’un que l’autre, conduits aussi expertement. Les deux taxis, sans se distancer, sans se rattraper, pendant de longues minutes, se livr`erent `a une course folle.
— Si seulement, se disait Juve, il a l’id'ee de passer par les quartiers d'eserts, je risque le tout pour le tout, je tire sur lui. Mais il ne l’aurait pas fait.
Boulevard Montparnasse, boulevard Pasteur, boulevard Garibaldi, les deux v'ehicules continuaient leur match poursuite. Puis, brusquement par la rue Desaix, le taxi-auto de Fant^omas obliquait sur la droite.
— O`u va-t-il ?
En m^eme temps, Juve se penchait vers son chauffeur :
— Co^ute que co^ute, il faut les rejoindre, hurlait-il, j’'epingle mille francs sur les coussins de la voiture, c’est pour vous, c’est votre prime, si seulement vous m’amenez `a la hauteur de la voiture que je poursuis.
Avenue de Suffren, la voiture de Fant^omas redoubla de vitesse. Cette fois, on arrivait dans de grandes all'ees d'esertes o`u les chauffeurs pouvaient faire rendre le maximum `a leur moteur. Mais les distances demeuraient 'egales, Fant^omas ne gagnait ni ne perdait sur la voiture de Juve.
Et puis, brusquement, un 'ev'enement que n’avait probablement pr'evu ni le bandit ni le policier, finissait par survenir. Au d'etour d’une rue, au moment o`u il pensait tourner pour rejoindre le quai d’Orsay, un peu en avant du pont d’I'ena, le taxi-auto de Fant^omas heurtait la roue d’un tombereau qui ne s’'etait point rang'e `a temps. L’automobile s’'emietta contre la lourde carcasse du pesant chariot.
Chauffeur et bandit roul`erent sur le sol, Fant^omas se releva, s’enfuit. D'ej`a, Juve, au risque de se rompre le cou avait saut'e de son propre taxi, courait sur les traces du monstre.
Fant^omas, toutefois, avait toujours de l’avance sur Juve. La distance qui s'eparait les deux hommes, n’exc'edait certainement pas une cinquantaine de m`etres, c’'etait suffisant cependant pour que Juve, qui venait de perdre son revolver en sautant de voiture, f^ut absolument impuissant face au bandit.
— Que diable va-t-il inventer encore ? se demandait le policier.
Juve avait raison de se m'efier. Fant^omas, en effet, venait de concevoir une ruse supr^eme : il traversa, courant de toutes ses forces, l’esplanade des Invalides, il atteignit, toujours courant, le pilier nord de la tour Eiffel. Un bond l’amena par-dessus la grille au pied de l’ascenseur.
Mais il 'etait trop tard, Fant^omas venait de d'eclencher le m'ecanisme. L’ascenseur, lentement, montait au long du pyl^one, emportant le bandit.
Mais si Fant^omas avait eu id'ee de g'enie en pensant 'echapper `a Juve en se perdant dans l’ombre des 'etages sup'erieurs de la tour Eiffel, il avait cependant n'eglig'e de compter avec l’incroyable t'enacit'e du policier.
Au moment m^eme o`u l’ascenseur partait, Juve, au risque de se tuer, saisit `a bout de bras les poutres formant le plancher de cet ascenseur et l`a, suspendu dans le vide, invisible pour Fant^omas, narguant le vertige, se cramponnant avec la seule crainte de ne pouvoir tenir jusqu’au bout, 'epuis'e de fatigue, il se laissa enlever.
L’ascension du premier 'etage dura peut-^etre dix minutes. Juve, sans souci du vide immense, du vide attirant, qui d'ej`a, se creusait sous ses pieds, entendit la porte de l’ascenseur s’ouvrir, se refermer. Fant^omas venait de sortir.
Qu’allait faire le bandit ?
Au prix d’une acrobatie qui 'etait un v'eritable d'efi `a la mort proche, Juve venait d’atteindre la charpente m'etallique de la tour. Lui aussi quittait l’ascenseur. Il se hissa par-dessus le garde-fou, prit pied sur la plate-forme m^eme du premier 'etage, assez `a temps pour voir Fant^omas s’engouffrer dans le nouvel ascenseur qui l’emportait vers le second 'etage.
— M’a-t-il vu ? se demanda Juve.
Comme un fou, le policier se pr'ecipita dans l’'etroit escalier qui m`ene au second 'etage. Juve grimpait en d'esesp'er'e. C’'etait quelque chose d’insens'e que cette poursuite qu’il tentait. `A peine de perdre irr'em'ediablement Fant^omas, Juve, par l’escalier, devait aller aussi vite que l’ascenseur qui emportait le bandit dont le visage contract'e s’apercevait coll'e aux vitres. Nul bruit d’ailleurs. Au fur et `a mesure que Juve s’'elevait dans la tour Eiffel, compl`etement d'eserte `a cette heure, les clameurs de Paris s’effacaient peu `a peu, le vent se faisait plus ^apre. Une impression de solitude pesait sur le prodigieux monument. Seul, le vent, g'emissant sur les innombrables parois m'etalliques, troublait ce silence charg'e.
Ce que tentait Juve 'etait 'evidemment fou, irr'ealisable. Cependant, le grand policier, qui par moments, semblait presque, tant il avait d’intr'epidit'e et de courage un surhomme, un g'enie, cette fois encore, r'ealisa l’impossible. Il n’atteignit pas le second 'etage en m^eme temps que l’ascenseur, mais sans doute, Fant^omas avait 'et'e retard'e par le maniement des appareils, car, au moment o`u Juve d'ebouchait sur la plate-forme, l’appareil s’enlevait lentement, tr`es lentement, droit devant lui.
— Mis'ericorde, s’exclama le policier.
Une 'echelle 'etait l`a, qui pointait vers le ciel, Juve la gravit. Comme pour le premier 'etage, il eut l’audace de s’agripper `a l’ext'erieur des poutres du plancher de l’ascenseur. Juve, cramponn'e dans cette situation invraisemblable, risquant la mort `a toutes les secondes, expos'e au plus affolant des vertiges, se laissait emporter dans l’espace.
L’ascenseur montait vite. Quelques secondes apr`es, Juve le sentit s’immobiliser. De m^eme que Fant^omas quittait l’appareil pour sauter dans celui qui devait l’emporter jusqu’au troisi`eme 'etage, Juve, audacieux jusqu’`a la folie, parvint `a s’agripper une troisi`eme fois, `a se laisser une troisi`eme fois encore emporter, suspendu dans le vide.
— Il ne montera pas plus haut, que diable ! songeait le policier.
`A ce moment des crampes douloureuses commencaient `a faire terriblement souffrir le malheureux Juve. Il baissa la t^ete. Dans la nuit, `a plus de deux cents m`etres sous lui, Paris n’'etait plus qu’une aur'eole de lumi`ere, perdue dans le brouillard, croulant rapidement, si rapidement qu’un vertige prenait le policier `a consid'erer les monuments minuscules dans un vide immense. Le froid, d’ailleurs, devenait terrible. Juve avait l’impression que ses pauvres mains, crisp'ees dans une posture incommode, se crevassaient, que le sang giclait, et que, un par un, ses doigts allaient l^acher prise.