L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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— Ce serait une jolie fin, pensa Juve.
Mais, il se roidissait, il se faisait plus fort que sa propre souffrance, il ne voulut pas sentir son mal, il tint bon.
Maintenant, l’ascenseur parvenu `a la hauteur des derni`eres trav'ees de la tour, montait presque perpendiculairement. Les immenses cha^ines `a contrepoids, emplissaient presque en entier la robuste armature que Juve par moments se prenait `a trouver bien fragile.
— D'ecid'ement, pensa Juve, mesurant d’un regard le gouffre de trois cents m`etres qui b'eait sous ses pieds, d'ecid'ement, je ne m’en tirerai pas.
Au m^eme instant, l’ascenseur s’arr^etait.
— Ouf, pensa Juve, je me souviendrais de ce petit voyage.
Avec des pr'ecautions extr^emes, car le brouillard rendant toutes choses humides pouvait lui faire manquer sa prise, le policier abandonnant le dessous de l’ascenseur, gagna les poutrelles m'etalliques.
`A ce moment, au-dessus de lui, il n’y avait plus que le plancher de la troisi`eme plate-forme et certainement, Fant^omas se trouvait l`a, `a quelques centim`etres.
Juve, quelques secondes, se t^int coi, serrant entre ses bras et ses jambes une barre de fer, son seul appui. Le policier s’accordait une seconde pour reprendre haleine. Indiff'erent au danger, il surveillait seulement les portes de l’appareil, prenant garde `a ce que Fant^omas ne se jet^at `a l’int'erieur de l’appareil, n’entrepr^it de descendre `a l’improviste.
Apr`es quelques secondes d’attente, dans le silence de la nuit, Juve entendit des pas :
— C’est lui, se dit-il, il doit se demander o`u je puis ^etre.
Juve se d'ebarrassa de son chapeau qui le g^enait, en l’accrochant `a un croisillon de l’architecture. Puis, plus libre de ses mouvements, il se glissa, au risque de se faire broyer, entre l’ascenseur et le plancher de la plateforme. Un dernier effort et il atteignait, enfin sauv'e du gouffre, le troisi`eme 'etage de la tour. Au-dessus de lui, brillait un phare automatiquement command'e, qui promenait sur la nuit un pinceau lumineux. La plate-forme, tour `a tour, 'etait noy'ee d’ombre et baign'ee de clart'e, 'eclair'ee a giorno.
Juve avait pris pied sur le plancher, profitant d’une 'eclipse. Quand la lumi`ere revint, Juve fouilla du regard le balcon o`u il se trouvait.
O`u avait pass'e Fant^omas ?
Juve l’apercut aussit^ot. Le bandit 'etait `a moins de trois m`etres de lui, t^ete nue, le vent agitait les m`eches de sa chevelure, il 'etait p^ale, il tenait dans ses doigts crisp'es la serviette o`u Juve lui avait vu enfermer la liasse de ses billets de banque, il se penchait au-dessus du vide. Il semblait hallucin'e, hypnotis'e.
— Fant^omas, rends-toi, hurla Juve.
Au m^eme instant, le phare tourna, l’ombre `a nouveau envahissait la plate-forme. Juve, par pr'ecaution, s’adossa `a l’ascenseur qui, 'etant abandonn'e sans m'ecanicien, redescendit lentement, pour s’immobiliser sans doute `a mi-hauteur, `a l’endroit o`u son contrepoids le mettait en 'equilibre.
— Il ne peut pas s’enfuir se dit Juve et si nous devons lutter ici, eh bien, j’aime autant cela, ou j’arriverai `a le mettre hors d’'etat de nuire ou il me lancera dans le vide.
Continuant `a tourner cependant apr`es une 'eclipse qui semblait interminable au policier, le phare de la tour, `a nouveau, baigna de lumi`ere l’'etroite plate-forme. `A ce moment Juve pensait s’'elancer sur le bandit. Or, la lumi`ere n’avait pas r'eapparu que Juve poussait un cri de rage : Fant^omas n’'etait plus sur la plate-forme.
Juve eut beau explorer celle-ci, d’ailleurs peu 'etendue. D’un bout `a l’autre, il n’apercevait plus le bandit.
Une fois encore, l’insaisissable bandit avait trouv'e moyen de s’enfuir. Qu’'etait-il devenu ? Comme un fou, Juve courait `a l’endroit o`u Fant^omas lui 'etait en dernier lieu apparu. Juve se hissa, insouciant du danger, sur le garde-fou tr`es 'elev'e qui termine le dernier 'etage de la tour. Il se pencha sur l’ab^ime. Et soudain, Juve poussa un cri de triomphe : o`u 'etait Fant^omas, Juve le savait. Profitant du moment d’obscurit'e qui avait suivi l’arriv'ee de Juve, Fant^omas, en effet, aussi t'em'eraire que l’avait 'et'e le policier, avait enjamb'e la balustrade, tenant entre ses dents la serviette bourr'ee de billets de banque. Souple et leste, il s’'etait, en se cramponnant aux moindres points d’appui, 'evad'e de la troisi`eme plate-forme. Le bandit maintenant 'etreignait la charpente m^eme de la tour, et l`a, cramponn'e aux formes m'etalliques, renouvelant les prouesses des constructeurs de gratte-ciels am'ericains, il s’efforcait de descendre, furtif, inapercu.
— Mis'ericorde ! s’'ecriait Juve, ou il va se tuer ou il va m’'echapper ?
Une seconde, peut-^etre, pas davantage `a coup s^ur, Juve h'esita.
— Que faire ? Quel parti adopter ? Comment rejoindre Fant^omas ?
— Bah, murmura Juve, o`u il a pass'e, je passerai bien, moi aussi. Et quand je devrais me casser les os, je descendrai plus vite que lui, je le rejoindrai.
Faisant preuve `a son tour d’une folle t'em'erit'e, d’une audace inou"ie, Juve enjamba le garde-fou, saisit les derniers montants de la charpente et, suspendu dans le vide, se lanca `a la poursuite du bandit.
D’abord, Juve s’occupa de choisir des points d’appui o`u s’accrocher s^urement. Puis, une 'etrange h^ate de prit, il n'egligea les pr'ecautions 'el'ementaires, de barreau en barreau, il se laissa tomber. `A ce moment, le sang bourdonnait dans ses oreilles, son coeur battait `a coups pr'ecipit'es, le vide semblait vouloir le happer. Et puis, brusquement, `a l’improviste, comme ses mains se coupaient `a une scorie des montants, voil`a que Juve apercut Fant^omas.
La lune, sortie des nuages, inondait le sommet de la tour d’une lumi`ere blafarde. `A sa p^ale clart'e, Juve d'ecouvrit, juste en face de lui, de l’autre c^ot'e du vide, formant en quelque sorte la cage de l’ascenseur, Fant^omas, cramponn'e au montant de la tour, livide, tremblant, yeux fixes, air affol'e.
— Fant^omas, rendez-vous ?
Fant^omas r'epondit d’une voix saccad'ee, haletante, inhumaine :
— N’essayez pas de me prendre, Juve, je suis arm'e, j’ai mon revolver, si vous bougez, je tire.
Juve, en effet, vit le bandit diriger vers lui le canon d’une arme qui luisait.
Mais, alors, que lui-m^eme n’avait plus son revolver, alors qu’il ne pouvait rien pour se d'efendre, si d’aventure Fant^omas faisait feu, ce n’'etait point l’arme braqu'ee vers lui que Juve consid'erait.
Ce qui l’'emouvait, c’'etait le son de la voix de Fant^omas, c’'etait l’attitude an'eantie du bandit.
Et Juve, avec un sourire froidement railleur, r'epondit :
— Allons donc. Tirez si vous l’osez, Fant^omas. Mais prenez garde de l^acher prise, je vois vos mains qui glissent. Trois cents m`etres. Songez-y bien.
Et certes, Juve ne parlait pas au hasard. `A l’attitude du monstre, il avait devin'e le drame effroyable qui se d'ebattait en son ^ame, Fant^omas pouvait bien avoir un revolver, pouvait bien le menacer, c’'etait lui, Juve, le plus fort. Si Fant^omas s’'etait arr^et'e dans sa fuite, il 'etait l`a immobile, livide, d'efaillant, c’est que le vertige, un 'epouvantable vertige s’'etait empar'e de lui.
Certes, la situation de ces deux hommes suspendus `a trois cents m`etres de haut, dans l’inextricable for^et m'etallique que constituent les montants de la tour, 'etait 'epouvantable. Mais Juve m'eprisant le vertige, ne connaissait pas la peur. Fant^omas, au contraire, ne pouvait dompter l’attirance de l’ab^ime. Incapable de r'epondre aux seules paroles de Juve, il fixait de ses yeux hallucin'es, le sol lointain, creus'e, indistinct.
Le Ma^itre de l’Effroi qui jusqu’alors avait ignor'e l’'epouvante, maintenant suait l’angoisse.