La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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— Donnant, donnant, voici ce que vous m’avez demand'e, donnez-moi l’argent.
Timol'eon Fargeaux tendit vers la main qu’il voyait sortir de l’'egout, et sans d’ailleurs pouvoir distinguer les traits de son interlocuteur, une large enveloppe bourr'ee de billets de banque. En m^eme temps, il se saisissait avec une h^ate extr^eme du paquet que lui offrait Juve.
— Vous ^etes satisfait ?
Mais Juve n’acheva pas. `A peine 'etait-il en possession du paquet que Timol'eon Fargeaux, sans en examiner le contenu, le mit dans sa poche, s’'eloigna en toute h^ate.
Il 'etait en quelques m`etres hors de la vue de Juve qui n’entendait plus que son pas, s’'eloignant de plus en plus.
Cette fois le policier 'etait abasourdi.
— Je n’y comprends plus rien de rien, s’avouait Juve, dix minutes plus tard, sortant de l’'egout, en assez piteux 'etat en raison des chutes qu’il avait faites dans le ruisseau, je n’y comprends rien de rien, mais il y a quelque chose qui me semble nettement d'emontr'e. C’est d’abord que je viens de jouer le r^ole d’un ma^itre chanteur et ensuite, que Timol'eon Fargeaux est une belle crapule.
***
Lorsque, la veille, Juve avait apercu le marchand de grains comptant sept enjamb'ees, puis quatre, et s’immobilisant au centre de la chauss'ee, il n’avait, `a vrai dire, rien devin'e, aux motifs qui pouvaient conduire le mari de Delphine Fargeaux `a se livrer `a une pareille manoeuvre.
Lorsqu’il avait 'et'e en possession des morceaux de la lettre d'echir'ee par Timol'eon Fargeaux, la lumi`ere s’'etait faite en son esprit :
— Parbleu, s’'etait dit Juve, tout cela doit vouloir dire ceci : on offre `a Timol'eon Fargeaux de lui restituer quelque chose, moyennant vingt-cinq mille francs s’il veut se rendre au milieu de la chauss'ee de la rue Christine.
Juve alors s’'etait imm'ediatement rendu, malgr'e l’heure tardive de la nuit, dans la petite rue Christine. Avec son habituelle perspicacit'e, Juve n’avait pas 'et'e long `a remarquer qu’`a proximit'e de l’endroit d'esign'e se trouvait une bouche d’'egout :
— H'e, h'e, s’'etait alors dit Juve, est-ce qu’un ma^itre chanteur ing'enieux ne pourrait pas avoir eu cette id'ee : convoquer sa victime dans une rue d'eserte, lui dire :
Le proc'ed'e qu’inventa Juve 'etait en effet nouveau et v'eritablement surprenant. Si r'eellement il s’agissait d’un chantage, le chantage s’annoncait d’une facon int'eressante : on disait `a Timol'eon Fargeaux, en prenant des formes myst'erieuses : « Venez au milieu de la rue Christine, apportez vingt-cinq mille francs et l’on vous rendra ce que vous avez perdu. »
Juve n’avait pas h'esit'e `a conclure que l’on ne pouvait offrir ainsi au grainetier que les document qui lui avaient 'et'e soustraits dans le vol de l’Imp'erial H^otel.
Et tout naturellement Juve s’'etait dit :
— Qui donc peut offrir de restituer ces papiers, si ce n’est le voleur ?
C’'etait donc avec l’espoir de s’emparer de l’audacieux malfaiteur qui avait cambriol'e l’Imp'erial H^otel, c’est-`a-dire de Fant^omas, car Juve 'etait persuad'e que Fant^omas 'etait le coupable, que Juve se rendait dans l’'egout. Malheureusement, ce n’'etait pas Fant^omas. Juve n’avait m^eme pas le temps de reconna^itre les traits de l’individu qui se pr'esentait. 'Etait-ce un lieutenant de Fant^omas ? 'Etait-ce au contraire un quelconque criminel ? Allez savoir.
Il savait encore moins, tout d’abord, ce que pouvait signifier le contenu du paquet qu’il retrouvait dans l’'egout.
Que diable pouvait vouloir dire, en effet, cet 'eclat d’obus tach'e de sang ?
Juve, brusquement avait chang'e d’avis : ce que Timol'eon Fargeaux avait pay'e vingt-cinq mille francs, ces vingt-cinq mille francs qu’il avait dans sa poche, c’'etait pr'ecis'ement ce morceau d’obus.
— Donc, concluait Juve, Timol'eon Fargeaux estime que ce morceau d’obus vaut, pour lui, vingt-cinq mille francs. Si Timol'eon Fargeaux paye vingt-cinq mille francs un morceau d’obus tach'e de sang, se disait Juve, c’est que cet obus tach'e de sang a pour lui une grande importance. Or, Timol'eon Fargeaux a peut-^etre tu'e son beau-fr`ere, Martial Altar`es, retrouv'e dans son ch^ateau de Garros, la poitrine d'efonc'ee, 'ecras'ee. Exactement comme s’il avait 'et'e tu'e par un boulet de canon.
Juve, en sortant de l’'egout, en prenant le chemin des quartiers luxueux de Biarritz, r'efl'echissait `a l’'etonnante d'ecouverte qu’il venait de faire :
— Parbleu, se disait le policier, c’est stupide 'evidemment d’aller inventer que Martial Altar`es a 'et'e tu'e d’un coup de canon. Que diable, on ne tire pas le canon en France sans que cela se sache. Et cependant, 'etant donn'ees les circonstances, sait-on jamais.
***
La main sur le bec-de-cane de la porte du commissariat, Juve ouvrait la bouche pour demander `a parler au magistrat, lorsque, n’'etant pas encore rentr'e tout `a fait dans la salle commune, il s’arr^eta, immobile, muet de stup'efaction :
Au centre de cette salle commune, discutant avec le brigadier, il y avait un homme : Timol'eon Fargeaux, tr`es p^ale, qui agitait dans sa main le morceau d’obus tach'e de sang que Juve venait de lui vendre subrepticement.
— Ah ca, hurla le policier, bondissant vers Timol'eon, qu’est-ce que vous faites ici. Monsieur ? comment ^etes-vous l`a ? et qu’est-ce que c’est que ce morceau d’obus ?
Or, si Juve 'etait stup'efait, Timol'eon Fargeaux apparaissait tout aussi ahuri. Le beau-fr`ere du spahi ne connaissait pas Juve. Le brigadier non plus. Aucun des agents qui se trouvaient dans le poste de Biarritz n’avaient jamais eu affaire `a l’inspecteur de la S^uret'e de Paris. Juve devint le centre d’un groupe de gens abasourdis, tous les yeux le fix`erent, cependant que Timol'eon Fargeaux b'egayait :
— Ce que je fais ici ? mais je me plains. Je porte plainte pour un chantage 'epouvantable dont je viens d’^etre victime. Je suis d'eshonor'e. Monsieur, je suis ruin'e, Monsieur, on m’a vol'e des papiers qui me sont indispensables, une lettre anonyme m’a offert leur restitution, moyennant vingt-cinq mille francs, j’ai donn'e ces vingt-cinq mille francs tout `a l’heure, et voil`a ce que l’on m’a remis : ce morceau d’obus o`u il y a du sang.
Timol'eon Fargeaux paraissait parler avec une enti`ere bonne foi. Juve, cependant en l’'ecoutant, se demandait :
— Est-ce qu’il ment, ce bonhomme-l`a ? est-ce qu’il joue une effroyable com'edie ? Pourtant c’est bien volontairement qu’il est venu au poste, et pourtant aussi je ne peux pas douter qu’il venait `a l’'egout pour acheter r'eellement ce morceau d’obus.
`A br^ule-pourpoint, Juve annoncait :
— Monsieur Fargeaux, votre beau-fr`ere, Martial Altar`es est mort, assassin'e. On l’a tu'e chez vous d’un boulet de canon.
Timol'eon Fargeaux, bl^eme, s’'evanouit presque.
Juve l’empoigna par le bras. Il exhiba au brigadier an'eanti sa carte d’agent de la S^uret'e. Il entra^ina le grainetier hors du poste :